Semaine 20.1 - Hockey mortel

4 minutes de lecture

Depuis plus d'une semaine, le froid avait envahi la petite ville tranquille de Winterswijk. Les enfants, surexcités, attendaient que le lac Het Hilgelo ait suffisamment gelé pour pouvoir patiner dessus. Puis l’un d’eux arriva un matin en cours, de la glace dans les cheveux, le visage rouge mais un grand sourire aux lèvres. Il n’eut pas à dire un mot, tous avaient parfaitement compris et la journée fut bien longue pour toutes ses petites jambes ne voulant rien de plus que glisser sur l’étendue figée. Le professeur, devinant la raison de leur excitation, et sachant à quel point ils ne pourraient se concentrer longtemps, les libéra dès le midi. Il les observa récupérer leurs affaires à toute vitesse, amusé et nostalgique de sa propre enfance. L'institutrice des filles capitula tout autant quand elle remarqua les frimousses rouges derrière ses fenêtres.

Tous coururent aussi vite qu'ils le purent chez eux pour balancer leurs sacs à l'intérieur et attraper au passage leurs patins. Bientôt, tous se retrouvèrent à nouveau devant le Het Hilgelo. Le groupe était assez important, presque une vingtaine d'enfants âgés de six à treize ans, filles et garçons mélangés. Le nez et les joues colorés, ils enfilèrent tant bien que mal leurs chausses, les doigts rendus gourds par le froid ou les moufles. Quelques uns des plus jeunes avaient des difficultés à glisser les lacets dans les boucles, et leurs aînés les aidaient.

Enfin, ils se tinrent face au lac. Face à cette grande surface gelée. Déserte. Rien que pour eux. Un des garçons les plus âgés s’aventura le premier. Avec un soin et une précision démontrant sa longue pratique des gestes, il tâtait la glace, évaluant l’épaisseur et la sûreté qu’elle leur procurerait. Il serait en effet idiot de se retrouver avec l’un des petits à l’eau. Quand il se retourna depuis le milieu du lac, agitant les bras, la troupe l’acclama et le suivit. C'était une joyeuse cacophonie, une de celles qui sont plaisantes à entendre et auxquelles on veut participer.

Les buts construits quelques années plus tôt furent retrouvés sous des branchages, à peine abîmés par l'année en plein air. On les traîna, sortit les palets, les crosses, enseigna aux plus jeunes comment jouer, et voilà la bande glissant sur la glace. Les chutes furent nombreuses, mais les rires plus encore, et quand le soir tomba toutes les joues étaient rouges et gonflées par l’excitation, malgré les paumes ou les genoux écorchées. Quelques jupes et pantalons allaient devoir être raccommodé mais qu’importe, ils s’étaient bien amusés. Les enfants quittèrent la surface du Het Hilgelo à regret, laissant en place les cages et les crosses. Après tout, ils seraient de retour dès le lendemain.

Sous les arbres, l'obscurité était si totale qu’on ne pouvait pas même distinguer ses propres pieds, mais le lac était illuminé par la pleine lune et brillait comme s’il avait été taillé dans un diamant poli. Un homme se tenait au bord. Son visage n’était pas discernable. Son pantalon trop large flottait autour de ses chevilles, et sa chemise étrangement ouverte claquait contre son ventre nu, comme si le froid n’avait aucune emprise sur lui. Il resta ainsi immobile un long moment. Enfin, une seconde personne se détacha de l’ombre des arbres. Elle avança, se tint à son côté. Ses cheveux étaient serrés dans un chignon mais elle arracha le cordon qui les retenait et ils s’envolèrent avec le vent. L’inconnu en chemise ne bougea toujours pas. Le couple resta ainsi pendant quelques minutes. Aucun ne parla, chacun restant statique à sa place.

Puis l’homme se mouva si rapidement que son geste en devint indiscernable. Il fit volte face, sa main agrippant la chevelure dansante de sa compagne. La tête de cette dernière, brutalement tirée en arrière, fut frappée par un rayon de lune, marquant plus encore l’horreur sur ses traits. Un cri sortit de ses lèvres glacées mais déjà la seconde main était dessus. Il appuyait, le visage neutre. Elle se débattait, ses paupières frémissant de plus en plus lentement. Quand son corps se relâcha, devenant aussi mou qu’une poupée de chiffon, l’homme relâcha enfin la pression. Son expression restait inchangée. L’espace d’une ou deux secondes, il resta immobile puis, alors que la personne étendue à ses pieds reprenait conscience, se pencha vers elle.

Les gestes empreints d’une sorte d’habitude, il sortit de sous sa ceinture un coutelas dont la lame brillait sous la pleine lune. Sa main gauche retrouva naturellement sa place entre les mèches de sa victime alors que la droite approchait l’arme de son visage. La pointe toucha son front, juste à la base des premiers cheveux. Il s’y enfonça doucement, traça une ligne si fine qu’elle aurait pu être invisible si seulement elle n’avait saigné. La femme s’agita, brutalement tirée des torpeurs de l’évanouissement sous l’effet la douleur. Elle cria, chercha à s’enfuir, mais l’homme la tenait fermement et ses pieds grattaient vainement la neige. La mine peu perturbée, il enfonça le coutelas dans la terre dure, puis glissa deux doigts dans la plaie. Opérant avec la plus grande délicatesse, il sépara lentement la peau de la chair. La femme hurlait. Cependant, il ne semblait pas le remarquer et poursuivait son ouvrage. Très lentement, ajoutant ci et là de nouvelles ouvertures, il détacha la chevelure du crâne de sa victime. La neige autour d’eux était gorgée de sang.

La femme pleurait, toujours consciente. Elle implorait son agresseur, et il ne paraissait pas l’entendre. Il souleva le scalp à la lumière de la lune, son visage prenant un air béat. Il l’accrocha enfin à la branche de l’arbre le plus proche, prenant soin à ne pas l’abîmer. Il l’admira un bref instant avant que son attention ne revienne sur la femme. Elle était recroquevillée sur elle-même dans la neige boueuse et souillée de sang. L’homme se pencha en avant, arrachant son coutelas du sol. Son visage était neutre. Impassible. Ressentait-il seulement un semblant d’émotion ? Peut-être que non.

Il avança d’un pas, son arme à la main, et sa victime se courba encore plus, ses pleurs se transformant en pitoyables gémissements. Ses vaisseaux se contractaient sous l’effet du froid si bien que, si elle avait mal, le flot de sang se réduisait. Mais cet homme semblait le savoir. Il paraissait savoir exactement ce qu’il faisait.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Jo March ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0