Semaine 18.2 - Lison et Auguste

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Quelques jours passèrent. Lison suivait toujours la grille du Manoir Solitaire matin et soir, mais quelque chose avait changé. Elle savait désormais ce qu'elle cachait, ce garçon cloîtré à l'aspect si amène. Plusieurs fois, elle fut tentée de pénétrer à nouveau par effraction dans le parc mais se retint toujours. Elle ne voulait pas causer d'ennuis à Auguste. Puis enfin, près de deux semaines plus tard, Lison décida d'y retourner afin de présenter ses excuses. Toute occupée par son désir de repentance, il ne lui vint pas à l'esprit que ce geste pouvait à nouveau lui attirer des remontrances.

Rassemblant sa jupe pour l'empêcher de se prendre dans une ronce abandonnée, Lison se faufila à travers les quelques mètres qui séparaient la rue de la fenêtre. La lampe brûlait doucement derrière, nimbant l'air d'une belle lueur dorée. Après que la boule de neige se fut écrasée sur la vitre, il ne fallut que peu de temps avant qu'elle ne s'ouvre grand, laissant place à Auguste. Le froid provoqua une toux sèche et visiblement douloureuse mais il ne bougea pas, ajustant ses lunettes pour mieux scruter l'obscurité.

- Lison ? C'est vous ?

La jeune fille avança d'un pas, entrant dans le halo de lumière. Le sourire du garçon s'effaça quand il remarqua sa mine affectée.

- Que se passe-t-il ? Vous allez bien ?

- Oh. Oh, oui, oui, je vais bien, ne vous inquiétez pas. Et vous ?

L'air préoccupé du garçon persistait. Il répondit du bout des lèvres à l'affirmative.

- J'avais craint que vous ne veniez plus, lui confia-t-il.

Lison se mordit la joue. Il avait un visage si candide, si plein d'espoir. Elle allait briser tout cela.

- Je ne suis venue que pour vous présenter mes excuses. Je vous ai attiré des ennuis la dernière fois, et ce n'était pas mon intention. En plus, vous êtes malade, je ne veux pas aggraver votre état. Aussi... je vous présente mes excuses et je ne reviendrai plus vous déranger.

Elle fixait le sol, trop gênée pour le regarder en face. Ses mains étaient sagement croisées dans son dos bien qu'elle les frottât l'une contre l'autre dans un geste nerveux. Enfin, le silence s'éternisant, Lison leva timidement la tête, s'attendant presque à voir une fenêtre close. Cependant, elle tomba sur une mine attristée. Auguste n'avait pas bougé, ses mains crispées au rebord, ses lèvres si serrées qu'elles avaient perdu de leur couleur.

- Auguste ? intervint-elle d'une voix hésitante.

- Oh.

Il secoua la tête, semblant sortir de ses pensées. Il toussa deux fois avant de planter son regard dans celui de la jeune fille.

- Vous ne me dérangez pas, Lison, soupira-t-il enfin, votre venue l'autre jour m'a fait du bien. C'est que je ne vois pas grand monde, vous savez.

- Mais...

Il balaya sa protestation de la main, et poursuivit :

- Mon père me surprotège, mais ce n'est pas une vie que de rester enfermé entre quatre murs sans même pouvoir respirer un...

Une toux le coupa à point nommé. Lison se mordit la lèvre, sentant une pointe de culpabilité la percer.

- Auguste, rentrez vous mettre au chaud...

Le garçon essuya sa bouche avec un coin de son mouchoir avant de le glisser dans sa poche. Il secouait la tête, l'air borné. La jeune fille roula les yeux, amusée malgré elle.

- Pouvez-vous au moins mettre un manteau ? Ou une écharpe ?

Auguste sembla réfléchir à cette proposition, disparut et revint couvert. Lison était attendrie de son empressement. Il devait vraiment se sentir seul.

- Cela vous suffit-il, mademoiselle Lison ? s'enquit-il d'un ton plus moqueur qu'offusqué.

Se détendant imperctiblement, Lison tapota sa bouche de son index.

- Hum. Un tour de plus peut-être.

Obéissant, le garçon enroula encore une fois son écharpe, lui procurant un cou si épais qu'il en devenait comique. Il écarta les bras.

- Autre chose ?

Lison pencha la tête sur le côté, faisant mine de l'inspecter.

- Cela sera suffisant pour le moment.

Elle avala un rire. Il avait l'air ridicule. Enfin, Auguste s'agenouilla, croisant les bras sur le rebord avant de placer son menton sur ses mains. Lison regarda autour d'elle, cherchant où elle pourrait s'installer pour ne pas avoir trop mal aux jambes. Enfin, elle se décida sur un grand sapin dont l'épais feuillage avait empêché la neige de mouiller le pied et s’assit sur l’une de ses racines. Resserrant son châle autour de ses épaules, elle appuya la tête sur le tronc. Parfait.

- Que faites-vous de vos journées ?

Elle rit.

- Vraiment ? Rien de bien exceptionnel, je le crains.

- Dites toujours, cela ne peut être plus morne que mes propres occupations.

- Hum. Ah, mais votre père ne va-t-il pas encore nous entendre ? C’est que je n’aimerais pas vous attirer encore des ennuis.

- Papa n'est pas à la maison, je suis seul avec quelques domestiques, mais ils sont discrets. Vous n'avez rien à craindre.

La jeune fille faillit répliquer qu'elle ne s'inquiétait pas pour elle mais pour lui mais elle tint sa langue, ne le connaissant pas assez pour savoir comment il prendrait cette confidence.

- Mes journées donc. Eh bien, je vais en classe, je fais mes devoirs et, suivant la saison, j'aide ma mère à la maison ou mon père avec les bêtes.

Il ouvrit des grands yeux.

- Vos parents sont fermiers ?

Lison serra les lèvres, ne sachant comment interpréter son expression. Etait-il en train de réviser son opinion d'elle, sachant maintenant avec certitude qu'elle n'était pas du même milieu social que lui ? Peut-être. Probablement.

- Je n'ai jamais approché un animal de ma vie, si on excepte le perroquet de mon père. Papa dit qu'ils sont trop imprévisibles et qu'ils risqueraient de me blesser. Est-ce vrai ? Cela doit être dangereux ! Vous n'avez pas peur de vous en approcher vous ? Avez-vous déjà été blessée par un animal ?

Elle cligna des yeux sous l'avalanche de questions. Auguste, se rendant compte de son trouble, se tut soudainement. Il toussa plusieurs fois, son visage pâlissant encore plus. Il reprit, glissant un doigt le long de son nez pour redresser ses lunettes :

- Excusez mon excitation et mon ignorance, mais vous savez et vivez tant de choses que je ne peux qu'imaginer !

Lison déglutit et sourit. Si cela pouvait lui faire plaisir… Elle commença lentement, levant un nouveau doigt à chaque argument :

- Un, ils ne sont pas si imprévisibles que ça. Quand on commence à les connaître, on peut prévoir leur actions, et ce n'est pas si compliqué. Au final, ils me semblent même plus rationnels que la plupart des humains que je côtoie. Deux, dangereux, parfois. Mais on apprend à ne pas être imprudent. Passer derrière un cheval peut être risqué car il pourrait prendre peur et ruer, mais donc on apprend à ne pas le faire, et ce danger disparaît. Simple. Trois, non, je n'ai pas peur. J'ai grandi avec eux. Ceux que je n'ai pas vu naître, ils m'ont vu naître moi, alors ils font plus partie de ma famille qu'autre chose. Ah, et j'ai oublié une question.

Elle se tapota le menton, faussement pensive.

- Ah oui, blessée. Euh, oui, j'ai bien dû me casser le poignet une fois. Peut-être. Je ne m'en rappelle pas en réalité.

La jeune fille croisa les bras, un sourire victorieux aux lèvres.

- Questions suivantes !

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