Semaine 17 - Le SMS

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Émilie s'étire de tout son long. Hum, ça fait du bien. Elle vient de passer deux heures sur son devoir. L'évolution de la figure de l'enfant dans le cinéma néerlandais aux XX° et XXI° siècles. Elle réprime un bâillement. Fascinant.

Son cou craque avec délice. Buvant lentement le fond de sa bouteille d'eau, Émilie observe autour d'elle. Ses camarades sont calmes. Tous sont courbés au-dessus d'exercices, de cours, de fiches. Son regard glisse vers l'horloge et elle s'arrête. Bouse de cafard, déjà vingt heures ? Mais America arrive dans moins d'une heure ! A toute vitesse, la jeune fille fourre ses affaires dans son sac. Elle éteint la petite lampe de bureau, range sa chaise et vérifie d'un coup d'œil qu'elle n'oublie rien avant de se dépêcher vers la sortie.

Dans la rue, quelques âmes perdues. Le quartier n'est pas très vivant, occupé par quelques étudiants studieux seulement. Le pas d'Émilie se fait plus rapide. Son ancienne coloc', America, est censée revenir, ce soir. Cela fait longtemps qu'elles ne se sont pas vues. Mais encore fallait-il qu'elle arrive à l'heure. Pauvre Ame, à attendre dans le froid et dans le noir.

Les écouteurs dans les oreilles, Émilie avance d'un bon pas. Son sac se balance dans son dos, cognant parfois un peu plus fort dans les escaliers. Une sonnerie résonne. Surprise, il lui faut un moment pour comprendre qu'elle vient de son téléphone. Un nouveau SMS. C'est America qui lui apprend qu'elle ne peut pas venir ce soir. Émilie fait la moue. Elle qui se faisait un plaisir de l'accueillir ! Lui répondant rapidement pour en connaître la raison, elle reprend sa route.

Sa main pousse doucement le portillon. Il grince un peu. Hum, il va falloir lui ajouter de la graisse. Après un très court jardin, la petite maison se dresse. Habituellement, Émilie la partage avec deux autres étudiantes, mais elles sont rentrées chez elles pour les vacances et elle se retrouve seule. Elle n'aime pas être seule.

Émilie entre. La porte aussi grince légèrement. Pas bon tout ça, la maison manque d'entretien. Elle baille, jette les clés sur le buffet d'entrée et repousse la porte.

- Home, sweet home, marmonne-t-elle.

Elle actionne les interrupteurs, le salon s'illumine. Son sac glisse à terre, atterrissant avec un petit bruit sourd. La démarche traînante, Émilie se dirige vers la cuisine où elle ouvre le réfrigérateur. Il est presque vide, à l'exception d'un ou deux repas préparés le week-end précédent et attendant qu'on les réchauffe. Des courses sont à faire. Silencieusement, Émilie les ajoute à sa liste mentale.

Enfin, Ame répond. Sa grand-mère a été envoyée aux urgences pour un léger malaise, ils la gardent en observation à cause de son âge avancé et elle va donc devoir lui tenir compagnie. Désolée pour la soirée, mais tu comprends, je ne vais pas la laisser seule... Émilie balaie rapidement ses inquiétudes et demande à son amie de transmettre ses meilleurs vœux de rétablissement. Cela fait, la jeune fille pose son téléphone et le met à charger.

Avec un soupir de bonheur, elle dégrafe son soutien-gorge, troque son jean pour un survêtement doux et chaud avant de s'enfoncer dans le canapé, un bol de soupe dans la main. Le plaisir à l'état brut. Elle hésite à mettre un film. Ça l'occuperait. Mais, non, ce ne serait pas sérieux, elle serait trop tentée à l'idée de s'endormir tard, et le silence a un quelque chose d'apaisant. Au même moment, un miaulement retentit. Elle soupire. Misty est de retour.

La chatte pénètre dans la pièce telle une reine, sa longue queue balayant l'air derrière elle. Dans un bond, elle rejoint Émilie. Cette dernière apprécie la bête, bien qu'elle ne soit pas à elle mais à l'une de ses coloc'. Grattant son crâne, elle éloigne son bol du pelage fourni. Aucune envie de retrouver des poils dans sa soupe. Aussi envahissante qu'à son habitude, Misty grimpe sur ses jambes et s'installe. Un nouveau miaulement pour réclamer des caresses et madame est prête pour faire sa sieste. Émilie sourit. Un peu de compagnie ne lui fera pas de mal. Finalement, sans s'en rendre compte, elle s'endort.

C'est un bruit de verre cassé qui la réveille en sursaut. Sa montre indique vingt-trois heures passées. Elle se frotte les yeux. Autant de temps ? Émilie se lève pour regarder ce qu'il est arrivé. Dans la cuisine, les débris sont partout. Et, au centre, Misty, face à la fenêtre, qui grogne, le pelage gonflé. Elle a renversé un vase.

- Misty ! Vilaine fille !

Émilie soupire. Et maintenant c'est à elle de tout ranger. Enfilant par précaution les premières chaussures passant sous sa main - des baskets appartenant à l'une ou l'autre de ses coloc' - elle commence par évacuer la chatte avant qu'elle ne se blesse. Cette dernière miaule et feule, protestant contre ce traitement.

- Si tu n'es pas contente, tu n'avais qu'à ne rien casser ! maugrée Émilie.

Misty feule à nouveau, tournant en rond. Puis elle s'échappe vers l'étage. La jeune fille soupire, baille et se met au travail. Elle passe le balai, l'aspirateur pour les plus petits morceaux. Le vase n'est pas une grande perte, le cadeau d'un énième petit ami d'Ame qu'elle avait fini par lui laisser tant il était hideux. Les débris soigneusement déblayés, la cuisine est à nouveau sûre.

Émilie réprime un nouveau bâillement, jette un coup d'œil circulaire à la pièce. Tout est en ordre. Dehors, la nuit est noire. Un frisson court dans son dos et elle ferme les rideaux, prise d'un stress aussi soudain qu'irrationnel. À l'étage, Misty feule à nouveau.

- Quoi encore ?!

Glissant ses pieds hors des chaussures, elle gravit les escaliers. La chatte est terrée sous un lit, son regard brillant vers la fenêtre. Émilie s'accroupit à côté.

- Toi non plus tu n'aimes pas le noir Misty ?

Un miaulement lui répond. Enfin, l'animal sort de sa cache, son pelage ayant doublé de volume. Un nouveau frisson coule dans le dos d'Émilie. L'angoisse de la bête déteint sur elle. Un rire nerveux manque de s'échapper de ses lèvres. Saleté d'imagination. Avec soin pourtant, elle remet les volets en place.

La jeune fille descend les escaliers, reprenant sa place sur le canapé. Un plaid enroulé autour d'elle, Émilie choisit de finalement regarder quelque chose. Se décidant sur une énième comédie romantique, elle s'enfonce confortablement entre les coussins.

À un moment donné, le chien des voisins aboie. Erf, s'il pouvait bien se taire. Un instant, Émilie songe à se lever, ouvrir la porte et lui crier d'arrêter mais la flemme l'emporte et elle se fond plus profondément encore sur le canapé. Son téléphone vibre. Oh, un nouveau message d'Ame. Son père est arrivé et va donc rester avec sa grand-mère, peut-elle venir squatter ? Évidemment, elle est toujours la bienvenue. D'autant plus qu'Émilie souhaite de moins en moins finir la nuit seule dans cette maison. Un frisson se faufile le long de son dos et elle resserre son plaid. Le chauffage se serait-il encore coupé ? Et ce chien qui recommence à s'égosiller !

De mauvaise humeur, Émilie se lève, le plaid en polaire confortablement enroulé autour du cou. Elle traverse le salon jusqu'au moniteur qui contrôle le chauffage, mais rien n'a changé. La jeune fille retourne sur son canapé, maugréant, avant de remarquer qu'un nouveau message est arrivé. Oh, Ame est au portail ! Soudainement joyeuse, Émilie lâche sa couverture. Elle va sortir de la pièce quand une mélodie des Beatles résonne. C'est son téléphone qui sonne. Elle ne connaît pas le numéro. Et qui appelle à minuit ? La jeune fille décroche tout en se dirigeant vers la porte d'entrée.

- Émilie ?

- Ame ? T'inquiète, je vais t'ouvrir.

Il y a un court silence à l'autre bout.

- De quoi tu parles ? Je suis à l'hôpital. Je suis vraiment vraiment désolée pour ce soir, ma grand-mère s'est cassée la cheville, du coup je n'ai pas pu venir.

- Elle n'a pas fait un malaise ?

Émilie pose distraitement la main sur la poignée. Mince, où sont les clés ? Elle se frotte les yeux, l'esprit encore enrobé de sommeil.

- Je t'ouvre dès que je retrouve mon trousseau.

- Mais... Quoi ? Je suis à l'hôpital, je viens de te le dire.

La jeune fille enfonce victorieusement la bonne clé. Enfin ! Elle l'actionne, le verrou se déclenchant avec un petit son grinçant. Hum, il faut vraiment qu'elle l'huile, ce n'est pas bien discret.

- Pardon, tu disais ?

De l'autre côté du fil, Ame semble perplexe. Ah, tiens, le chien des voisins a enfin arrêté d'aboyer. Son amie reprend la parole, la voix un peu tendue :

- Tu es bizarre, Émilie. Merde attends, je vais devoir raccrocher, mon père veut son tel.

- Oh, ton père est avec toi ? Tu crois que ça va le déranger que je sois mal habillée ?

- Mais... Émilie, on est à l'hôpital... Je viens de te le dire, tu t'en rappelles ? Tu es sûre que ça va ?

Émilie s'immobilise, les mots heurtant enfin sa pensée endormie.

- Mais... tu ne m'as pas envoyé de messages ?

- Non, j'ai perdu mon tel dans la journée, on a dû me le piquer dans le métro ou je ne sais pas quoi. C'est chiant, je vais devoir en acheter un nouveau. Pourquoi ? Tu en as reçu ?

La gorge de la jeune fille se serre d'un coup.

- Ame... c'est une blague, n'est-ce pas ?

Le stress s'installe dans le cœur d'Émilie. Sa main tremble sur la poignée qu'elle serre toujours. L'ombre se dessine toujours derrière la fenêtre, floutée par le brise vue.

- C'est une blague, hein ? répète-t-elle d'une voix à la limite de l'hystérie.

- Euh... non... Émilie, tu es sûre que ça va ?

- Ce n'est pas toi qui as envoyé les messages ?

- Mais quels messages ? Émilie ?

- Ame... je crois qu'il y a quelqu'un dans mon jardin...

Elle recule précipitamment, le cœur battant. La poignée remonte dans un sursaut, le mécanisme cognant avec un bruit net.

- Y'a quelqu'un dans mon jardin ! crie Émilie.

L'angoisse la prenant, elle fait volte face et court vers le salon. Faisant peu attention dans sa précipitation, elle trébuche sur le porte-parapluie, manque de tomber mais se rattrape de justesse au mur et claque le battant séparant l'entrée de la cuisine.

- Émilie ? Qu'est-ce qui se passe ?

La voix d'Ame est nettement plus tendue. Émilie ne répond rien, cherchant parmi les couverts une arme. La porte du devant s'ouvre lentement avec un léger grincement. Sa main lâche le téléphone qui rebondit au sol.

- Émilie ? répète la voix d'Ame à travers le haut-parleur, légèrement déformée par le choc.

Elle entend un cri, puis des pas qui approchent du téléphone. Enfin, la ligne est coupée, et il n'y a plus que le silence.

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