Semaine 16.2 - Méduse et l'anneau

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Le lendemain, Méduse tressa ses cheveux, comme elle le faisait toujours avant une tâche particulièrement délicate. André la taquinait à ce sujet, mais elle n'avait jamais cessé. En ordonnant ses mèches, elle avait l'impression que son propre esprit se rangeait, se calmait, tranquillement et docilement. Cela lui procurait un sentiment de paix. La jeune fille souffla lentement par la bouche. Elle pouvait le faire. Méduse fit glisser l'anneau sur sa chaîne et l'attacha à son cou. Le bout de métal était froid contre sa peau. Bien qu'elle n'ait pas l'intention d'aller en cours, elle prit ses cahiers, les fourrant sans soin dans son sac. Enfin, elle passa ce dernier à son épaule. Enfonça la clé dans la serrure et ferma la porte. Puis le froid de la saison des nuits l'accueillit.

Méduse frissonna et resserra son manteau autour de son cou. Diable, dire qu'il faisait si beau quelques semaines plus tôt ! Ignorant les courants de transports, la jeune fille se dirigea d'un pas pressé vers la ville. André avait choisi une minuscule maison en banlieue pour eux, ne voulant pas qu'elle grandisse sous les regards suspicieux des citadins, et elle n'avait jamais eu le cœur de quitter l'endroit après sa mort. De plus, elle avait appris à aimer cette tranquillité.

Ses pieds bottés s'enfonçaient dans la neige jaune. Pouah. Les mains dans les poches, elle marchait vivement, tant pour se réchauffer que pour se débarrasser le plus vite possible de sa corvée. Enfin, une dizaine de minutes plus tard, Méduse se glissa dans la bibliothèque.

De l'extérieur, le bâtiment faisait mauvaise image. La bâtisse était tordue, grisâtre et mal entretenue, mais à l'intérieur s'opérait un vrai miracle : les étagères s'étendaient sur des mètres et des mètres, les rayons soigneusement organisés, croulant sous le poids de centaines d’ouvrages. Méduse avait toujours été fascinée par cette magie d'agrandissement bien que, maintenant qu'elle avait grandi, elle savait que le sort n'était pas des plus complexes.

Secouant son manteau enneigé, Méduse haussa la voix :

- Maître ?

Une flammèche de fumée se faufila jusqu'à ses pieds. Se retenant de reculer, la jeune fille la laissa s'approcher. Elle tâta, effleura le cuir de ses bottes et la toile de son pantalon, cherchant sa signature. Avec un effort qui lui parut surhumain, Méduse tendit la main et l'enfonça dans la vapeur grise. La sensation était perturbante, elle avait l'impression que son flux magique lui était aspiré. La fumée se retira. Méduse n'en était pas soulagée. Le Maître savait seulement qu'elle était là.

- Serait-ce la petite mademoiselle Méduse ? gronda une voix au-dessus d'elle.

La jeune fille faillit s'enfuir. Infiniment lentement, elle se retourna, recula de quelques pas avant de lever la tête. Dans un premier temps, tout ce qu'elle put voir était de la vapeur grisonnante. Puis, peu à peu, les formes se précisèrent. D'imposants tentacules, un corps massif, deux gros yeux exorbités aux pupilles longues et verticales. Une paire de lunettes semblait flotter devant cet être si peu tangible.

Méduse s'inclina, empêchant son sac de tomber d’une maine sur l’épaule.

- Maître Octopus.

- Comment allez-vous, ma chère ? Et votre frère ? André, c'est bien ça ? Ah, cela fait bien longtemps que le garçon n'est pas venu me voir.

Méduse déglutit difficilement, la gorge serrée.

- André est mort, Maître, vous vous en souvenez ?

L'énorme pieuvre s'immobilisa.

- Oh. Oui. Oui bien sûr. Pauvre enfant. Si jeune. Quel âge avait-il déjà ? Vingt ans ?

La jeune fille ravala son chagrin. Saleté d'animal. Pourtant, elle répondit :

- Vingt-sept.

- Que le temps passe vite.

Méduse fut surprise d'entendre une pointe de regret dans la voix du Maître. Peut-être avait-il vraiment apprécié son frère. Après tout, ce dernier le visitait souvent. À vrai dire, il devait même être l'un des seuls à avoir eu un semblant de relation avec le bibliothécaire. Elle secoua la tête. Non, songer à André n'était pas une bonne idée. Pas comme ça.

- Maître, je suis venue en quête de vos lumières.

Elle glissa la main sous la chaîne et la tira hors de son pull.

- Avant de... mourir, André m'a laissé cet anneau. Il m'a dit que c'était une clé, mais je ne sais pas pour quoi. Par hasard... sauriez-vous quelque chose, vous ?

Le Maître s'approcha. Méduse serra les dents, se retenant de courir. Le souffle chaud caressa sa peau exposée alors que l'animal se penchait sur l'objet.

- Oui, je vois.

Il recula, marmonnant dans sa fumée. Un de ses tentacules courait entre les rayons mais il se semblait pas le remarquer.

- Mademoiselle Méduse, seriez-vous, par hasard, coutumière des termes strom sed ertiam ?

Elle fronça les sourcils. Non. Et pourtant... les mots réveillaient en elle des souvenirs. Elle les avait déjà entendus.

- Qu'est-ce ?

Le Maître soupira. Son corps flotta jusqu'à une table de travail. De mauvaise grâce, Méduse le suivit.

- Votre frère André en était un.

- Un quoi ?

- Un maître des morts, mademoiselle Méduse.

Elle recula, le souffle coupé. Elle ne connaissait pas cette expression mais quelque chose résonnait en elle.

- On ne devient pas maître des morts, on l'est de naissance, expliqua le bibliothécaire. Ils sont rares. Pourquoi pensiez-vous donc que votre frère était si souvent demandé aux quatre coins de la ville et du pays en général ?

- Mais... qu'est-ce que c'est, en vrai ?

La pieuvre soupira.

- Le terme est assez flou. J'ai cru comprendre qu'André pouvait communiquer avec les morts, mais aussi les envoyer où il voulait et demander leur protection. Cet anneau que vous portez au cou, il le passait à son doigt pour contrôler son don. Sans, il ne pouvait pas l'activer. Il était la clé de son don.

Les doigts de la jeune fille se fermèrent sur l'objet. Alors pourquoi s'en serait-il séparé avant sa dernière mission ? Pourquoi ne pas l'avoir gardé ? Savait-il ce qui allait arriver ? Pourquoi était-il parti dans tous les cas ? Pourquoi le lui avoir laissé ? D'un geste énervé, Méduse tira et la fine chaîne se brisa. L'anneau tomba à terre. Les énormes yeux du Maître le suivirent. L'un de ses tentacules s'approcha sans le toucher.

- Vous devriez le ramasser, Mademoiselle Méduse, il est puissant.

Les larmes la faisaient étouffer. Elle ne pouvait pas pleurer. Non. Elle ne pleurerait pas. Elle ne pouvait pas. Rageusement, elle avala sa peine, sa colère, sa peur. Tout aurait été tellement plus simple si André n'avait pas été tué !

Méduse s'agenouilla à contre cœur et attrapa du bout des doigts l'anneau. Il lui parut plus froid encore qu'à l'habitude. L'enfonçant dans sa poche, elle leva la tête vers la pieuvre.

- Maître, en savez-vous plus ?

Malheureusement, il secoua la tête.

- J’ai déjà tout dit, Mademoiselle Méduse, j'en suis désolé. J'aurais aimé vous aider davantage, chère petite.

Méduse se mordit la joue. Son écharpe ayant glissé sur son épaule, elle la remit en place. Ce serait tout. Du bout des lèvres, elle remercia le bibliothécaire et s'enfuit sous la neige. Dans son dos, les yeux du Maître la suivaient. Pauvre petite, disaient-ils, mais elle s'en fichait. Elle n'avait pas besoin de la pitié d'un vieux monstre solitaire.

Ses pas la menèrent au terrain vague. Là, sa colère l'abandonna d'un coup, ne laissant qu'un immense puit de tristesse. Sa main glissa dans sa poche, cueillant l'anneau. Placé au centre de sa paume, il lui semblait insignifiant. Un petit morceau de métal froid. Rien d'important. Un rayon glissa sur sa courbe, faisant chatoyer une inscription. Méduse fronça les sourcils. Elle avait tourné l'anneau dans tous les sens et ne l'avait pourtant jamais remarquée. Approchant l'objet de son visage, elle la décrypta avec application, butant sur certains mots :

- Ervuo serret altee veles... leic eleuq ?

Rien. Aucune lumière, aucun chuchotement. Rien. Rien qu’un bout de métal inutile. Rien que le souvenir amer d'un frère disparu. Un coup de vent se faufila sous son manteau. Fichu temps. Son bras retomba le long de son corps, l'anneau glissant à terre. Il s'enfonça de quelques centimètres dans la neige, petit éclat poli au milieu de la poudreuse jaune.

Une main se posa sur son épaule, la faisant sursauter. Elle fit volte face. Sa bouche s'ouvrit grand sous l'effet de la surprise.

- André ?

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