Semaine 14.1 - Farine

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Nous arrivons en gare de Paris Saint-Lazare. Merci de ne rien oublier derrière vous, des poubelles sont à votre disposition sur le quai. Transilien vous souhaite une agréable journée.

Gna gna gna, pensa Sansa. Les bras croisés sur sa poitrine dans un vain effort pour se réchauffer, elle zigzaguait entre les personnes. Elles sortaient du train telles un vomi continu. Beurk. La jeune fille rentra la tête entre ses épaules, de fort mauvaise humeur. Piétiner, non mais vraiment ! Dans ses oreilles résonnait une de ces chansons dites « joyeuses ». Un ramassis de bêtises à son humble avis.

Elle feinta sur la droite et se retrouva bloquée par une imposante vieille dame. Sansa retint un juron. Non mais vraiment ? Sa main se crispa sur son coude. Sale bique. Enfin, elle se gara à l'angle d'un virage, permettant à Sansa de passer. Cette dernière faillit lui envoyer des noms d'oiseaux mais tourna sa langue dans sa bouche et marmonna un « merci » de mauvaise foi. Le visage renfrogné, elle passa sa carte sur le lecteur, glissa entre les battants des portails avant de s'engouffrer dans la marée humaine qui envahissait les escalators. Beurk, tous ces corps, serrés les uns contre les autres. Pourtant les escaliers ne sont pas un meilleur choix, empestant la pisse et la sueur, quand ce n'est pas pire.

Sansa roula les yeux, excédée. Paris, Paris. Je t'aime Paris, mais tu pues. Sa réplique intérieure lui arracha un sourire. Alors qu'elle passait devant l’une des vitrines, elle se figea. Un trace blanchâtre courait entre son nez et sa lèvre supérieure, débordant un peu sur sa joue. De la farine. Quelle imbécile, sortir comme ça ! D'un geste énervé, Sansa s'essuya. Appliqua une nouvelle couche de couleur sur sa bouche. Envoya un baiser à son reflet avant de lui tourner le dos et de rejoindre son métro.

Le wagon n'était pas plein, pour son plus grand bonheur. La main posée sur la barre, Sansa balançait la tête en harmonie avec sa chanson. Finalement, elle n'était pas si mal. Sa desserte arriva rapidement. Sourire aux lèvres, la jeune fille gravit les escaliers et sortit à la lumière du jour. Ah, cette belle lueur du soleil à peine levé ! Elle inspira profondément, l'air frais envahissant sa cavité nasale.

À l'entrée de la fac, Sansa ouvrit son sac devant le vigile avant de poursuivre son chemin. Son amphi n'était pas loin de ce côté-ci, deux ou trois cents mètres. Au niveau du patio en plus ! Même pas d'escaliers à monter. Quelle belle journée ! Sur le chemin l'attendait Ame, son amie. Elle se pencha pour lui faire la bise, sincèrement ravie de la voir après ce long week-end. Elles poussèrent les portes qui grincèrent légèrement. Peu d'étudiants étaient déjà installés. Après tout, il était encore tôt. Sansa suivit Ame qui décréta que le troisième rang serait pour elles. Son amie pouffa mais ne répliqua rien. Elle avait l'impression de connaître la petite chinoise depuis toujours, mais ne l'avait rencontrée que deux semaines plus tôt, quand elles s'étaient plaintes de la voix trop basse du professeur dans un même geste.

Alors que l'heure avançait, les étudiants peuplèrent l'amphithéâtre au compte-goutte. Une grosse centaine d'élèves étaient présents. Pas si terrible que ça. Ça représentait un peu plus de la moitié des inscrits.

Sansa déroula son écharpe. Ciel, il faisait chaud. Sur sa gauche, Ame griffonnait sur sa feuille. Une sorte de monstre souriant, avec des feuilles sur le crâne et des ailes squelettiques dans le dos. Pourquoi pas ? Elle baissa les yeux vers son propre bloc-note. Les pages étaient encore vierges de toute inscription.

Enfin, le professeur entra. Il les salua poliment et ses élèves l’ignorèrent comme à leur habitude. Sansa trouvait cette attitude assez peu civile mais, puisqu'elle même ne répondait jamais, elle ne pouvait décemment pas le leur reprocher.

- Bien. Aujourd'hui, nous poursuivrons notre chapitre sur l'équilibre d'un système mécanique avec le moment d'une force, la notion du bras de levier et les conditions d'équilibre d'un solide, puis l'étude de cas particuliers, comme vous pouvez le voir sur ce transparent.

« Transparent » Le terme de transparent ne convenait plus, lui qui provenait des décennies passées et qui avait été remplacé depuis quelques années sinon plus par des PowerPoints... Ralala ces profs, à ne pas évoluer avec leur temps !

Très rapidement après la présentation du programme, Sansa commença à décrocher. Elle alluma son téléphone, ouvrit cette nouvelle application qu’elle avait installée la veille, celle pour faire des puzzles. Ame se pencha vers la jeune fille, poussa doucement son épaule et chuchota :

- Beep, beep, I'm a sheep, I said, beep, beep I'm a sheep.

Sansa se tourna vers son amie.

- Ame, c'est pas gentil ! J'avais réussi à me la sortir de la tête !

L'autre sourit largement, dévoilant avec insolence ses dents blanches.

- Je sais.

Sansa secoua la tête. Chantonna à son tour :

- If I wanna die die die, die die die, it's muffin time, if I wanna die die die.

Vengeance. Elle tira la langue à Ame. Elles éclatèrent de rire. Les deux garçons devant elles se retournèrent, surpris, ce qui redoubla leur hilarité.

- Aaa-a-a-a-ah, Esteban Zia, Tao la cité d'ooo-or, aaa-a-a-a-ah, Esteban Zia, Tao la cité d'or. Tu-tu-tu, la cité d'ooor.

Sansa plongea son visage dans son coude pour étouffer le son alors qu'Ame prenait une respiration explosive, ce qui lui valut un regard courroucé de la part de sa voisine.

Puis le calme revint aussi rapidement qu'il avait été brisé. Ame se lança dans un sudoku, Sansa reprit son puzzle, notant distraitement les détails importants du cours.

À un moment donné, trois-quarts d'heure après le début du cours, les portes grincèrent à nouveau. Sansa se retourna pour savoir qui osait entrer avec un tel retard, avant de se frotter les yeux, incrédule quant à ce qu'elle voyait. Le garçon était-il vraiment en train de descendre les escaliers… sur les mains ? Les sneakers grises tressautaient au gré des marches. La fille l'accompagnant semblait trouver cela parfaitement normal. Sansa cligna des yeux et l'étudiant se remit sur ses pieds, l'air dégagé, comme si rien ne s'était passé. Pourtant elle n’avait pas tout imaginé !

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