Semaine 10.1 - Le dernier vaisseau

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Samaël posa une main sur la vitre froide pour l'empêcher de trembler. Sa tête pencha en avant et son front effleura le matériau. Derrière, tout était si beau, si paisible. Le vide, immense et glacé. La lueur des étoiles lui parut plus vive que jamais, d'autant plus que le Soleil était de l'autre côté du vaisseau. La planète était si petite...

Depuis cinq ans, ils savaient qu'elle était condamnée. Que sa mort arriverait bien plus vite qu'ils ne l'avaient envisagée. Et si le peuple humain avait pu réagir, c'était uniquement dû au hasard. En effet, une des nombreuses sondes en route vers d'autres galaxies avait été heurté par un objet inconnu, presque sept ans plus tôt. L'impact surprit tout le corps scientifique. Et après vérification... rien ne fut trouvé à l'emplacement où aurait dû être l'objet céleste. L'année suivante, une seconde sonde, placée entre le premier et le globe habité, fut détruite. L'émoi souleva le cœur des chercheurs. Après de nombreuses innovations, ils découvrirent l'origine des troubles : un énorme astéroïde qui, mystérieusement, n'avait jamais été détecté par aucun des appareils, pourtant à la pointe de la technologie. Après un bref moment d'excitation -était-il possible de lancer une expédition pour ramener de ce matériau si étrange ? Et prendre des photos ?- l'angoisse monta. On calcula la trajectoire et il fut clair qu'elle croisait celle de la planète. Aussitôt, les plans changèrent. Comment dévier l'objet funeste ? Comme avertir la population sans que le monde tombe dans l'anarchie ? Comment sauver l'espèce humaine ?

Samaël se souvenait de l'annonce. C'était le 13 juillet, un vendredi. Il était confortablement affalé sur son canapé, un bol de pop-corn sous le bras, avec Élisa, sa fille, assise sur son ventre. Avec son tee-shirt Batman et son tutu violet, elle avait un look bien à elle. L'enfant tendit la main vers la délicieuse nourriture et en fourra une épaisse poignée. Ses joues étaient déjà barbouillées de caramel. Ses grands yeux dorés brillaient. Samaël effleura le nez de la petite, la faisant rire, puis se retourna vers la télé. Ils regardaient un des dessin animé préféré d’Élisa, un truc à propos d'éponges parlantes combattants des méchants en forme de détritus. Pour Samaël, ce n'était guère passionnant mais sa fille était fascinée.

A un moment, il dut s'endormir car le cri de sa fille le réveilla. Il sursauta et lâcha son bol qui roula au sol, les grains se répandant sur le tapis. Le regard d’Élisa était fixé sur la télévision, dépouillé de son habituel pétillement ? La main crispée sur sa peluche, elle semblait... effrayée ? Samaël tourna les yeux pour se figer à son tour. Un flash-info passait, encore et encore. Il ne se rappelle plus des mots exacts mais il était question d'une grande menace pour la planète -mais attention, pas de panique, les meilleurs cerveaux du monde travaillent à une solution en ce moment même. Élisa était trop petite pour comprendre mais la voix tendue du journaliste ne la rassurait guère. Il la prit dans ses bras, la serra en lui disant que ce n'était rien, juste un film pour grands, mais lui-même n'arrivait pas à se persuader que c'était vrai.

Pourtant le voilà, cinq ans plus tard, à bord de la dernière navette.

Lors des années qui ont suivi cette découverte, les gouvernements montèrent des plans, qui tous échouèrent. Ils finirent par décréter, deux ans avant l'impact, qu'il était temps d'évacuer. Des vaisseaux furent construits mais tous savaient que seuls peu d'élus pourraient y monter. L'angoisse crût dans les cœurs. Le taux de naissance augmenta exponentiellement, ce qui exaspéra Samaël -autant de bébés qui seraient tués, autant de vies que les parents avaient volontairement mises au monde en sachant qu'elles seraient courtes-, les suicides devinrent monnaie courante. Dans un premier temps, des guerres internationales éclatèrent, puis les villes connurent des combats entre civils pour la moindre denrée. Une date d'évacuation fut fixée, deux mois avant la collision.

Enfin, la population apprit comment elle serait réalisée.

Samaël serra la main d’Élisa. La fillette, âgée de presque dix ans, était grave. Elle savait ce qu'il se passait, elle avait grandi avec cette menace. Ses yeux se tournèrent vers son père, cherchant du réconfort, et il lui sourit. Mais il ne la regarda pas. Il était tendu. Les lèvres crispées, l'enfant se détourna et fixa le grand écran. Depuis près de trois ans, l'électricité était coupée dans leur quartier, comme dans de nombreux autres, et l'enfant n'avait pas vu d'images animées depuis des mois. La vaste toile était tendue entre deux épais piliers, sur la place principale de la ville. Élisa se mit sur la pointe des pieds pour tenter de voir quelque chose mais les adultes étaient tous trop grands. Samaël s'en rendit compte et la hissa sur ses épaules. L'enfant posa ses mains sur le crâne de son père, glissant ses doigts entre ses boucles souples. Ses propres cheveux volaient dans le vent, s'enroulaient autour de son cou, emmêlés dans un ruisseau de ténèbres. Les projecteurs s'allumèrent et la foule eut un mouvement de surprise. La nuit commençait à tomber et, quand les informations passèrent enfin, le noir s'était déjà fait.

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