Semaine 8.7 - Les disparus du phare

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- Ducat ?

L'interpellé lève un visage livide. Il chuchote :

- Elle est revenue.

Ses yeux sautent, fixant un point juste derrière l'épaule de Marshall. Ce dernier réprime sa première impulsion qui est de vérifier. Non, ce n'est pas rationnel.

- Elle est revenue pour nous tuer.

MacArthur opine vigoureusement et poursuit sur la même lancée :

- C'est vrai, Marshall, Elle nous l'a dit. Elle dit que nous devons pas rester plus longtemps sur Eilean Mor, parce que c'est son île. Elle dit qu'un an c'est déjà trop long.

- Et aussi que si on part pas maintenant, Elle va nous manger. Tu l'as dit ça, MacArthur ?

Le nommé secoue la tête.

- Non, mais c'est vrai qu'Elle a dit ça aussi.

Il lève un regard implorant vers Marshall.

- Dis, tu veux bien qu'on s'en aille ?

Le gardien s'accroupit doucement devant les deux fous, espérant ne pas leur faire peur.

- Le bateau arrivera la semaine prochaine, vous vous en rappelez ?

MacArthur ouvre des grands yeux effarés.

- Mais c'est beaucoup trop tard !

Il bondit en avant, agrippant le bras de Marshall. Son regard délirant se plante dans le sien.

- C'est beaucoup trop tard, répète-t-il, il faut qu'on parte avant. Elle l'a dit, Elle l'a dit qu'il faut qu'on parte avant.

Ses lèvres tremblent. Il recule, s'adossant à nouveau à son mur. Ducat passe un bras autour de ses épaules et chuchote quelque chose à son oreille. Cela semble le détendre car son visage se lisse et il ferme les yeux. Ducat lance un regard à Marshall, l'air de dire qu'il maîtrise la situation. Sans demander plus, ce dernier s'échappe, laissant les deux fous ensemble.

Le vieil homme s’assoit, fourbu. Il baille, ferme les yeux pour les reposer légèrement. En l'espace de quelques secondes, il sombre dans le sommeil sans s'en apercevoir.

Un courant d'air frais le frôle. Il s'enroule autour de ses pieds, s'insinue sournoisement sous son pantalon, son pull, chatouille son ventre et son cou. Il se réveille. L'espace d'un instant, Marshall, encore immergé dans son rêve, ne se souvient plus de rien. Où est-il ? Puis il se rappelle et ses épaules s'affaissent. Eilean Mor. Toujours Eilean Mor. Le vieil homme soupire, s'étire avant de s'immobiliser. Pourquoi la porte est-elle grande ouverte ? Il plisse les yeux, ayant perdu l'habitude de voir la lumière du soleil. Un éclat de rire retentit dehors. Pris d'une pensée soudaine, Marshall se tourne vers les porte-manteaux, ses doutes se concrétisant : les cirés et les bottes de Ducat et de MacArthur ont disparu. Un frisson le parcourt. Ne voulant pas perdre de temps, il se rue hors de la maison en chaussons sans enfiler son manteau et ses propres chaussures. Le froid mord ses bras nus, les semelles claquent contre ses talons.

Il ne lui faut que peu de temps avant de trouver les deux déments. En effet, ces derniers ne se sont guère éloignés et ont pris le chemin le plus direct vers la falaise, c'est-à-dire tout droit en coupant par la bruyère. Grommelant, Marshall les imite pour les rejoindre. Quand il arrive à leur niveau, Ducat et MacArthur se tiennent proches du bord, serrés l'un contre l'autre.

- Tu es sûr ? demande Ducat d'une voix un peu trop aiguë.

- Oui. Tu as entendu Marshall, le bateau ne va pas venir avant une semaine. Si on ne saute pas, Elle va nous manger. Tu as entendu ce qu'Elle a dit n'est-ce pas ?

Ducat hoche la tête. Il sursaute et se retourne, la mine coupable, quand l’intrus fait craquer une branche.

- Marshall ! croasse-t-il.

Ce dernier lève les mains pour montrer qu'il ne leur veut pas de mal. Il fait encore un pas en avant, tentant d'ignorer les vagues qui s'écrasent une cinquantaine de mètres plus bas.

- Ducat, MacArthur, vous voulez bien rentrer avec moi ?

Le doyen secoue vigoureusement la tête, ses mèches emmêlées volant tout autour.

- Non, Elle ne veut pas de nous ici.

- Je suis sûr que je peux La convaincre de nous laisser tranquille le temps que le bateau arrive. Tu veux bien essayer avec moi ?

La volonté de Ducat semble légèrement flancher. MacArthur s'en rend compte et serre son bras, répliquant plus fort :

- Non, Elle ne veut pas de nous ici, Elle l'a dit, il faut que nous partions.

Il fait volte face. Marshall tend la main en avant mais le vieil homme a déjà sauté, emportant Ducat dans son sillage. Ce dernier, dans un instant de lucidité, cherche à se rattraper. Il ne trouve rien, si ce n'est la manche de Marshall. Le tissu se déchire pourtant, c'est déjà trop tard : il a perdu l'équilibre. Ses chaussons glissent dans l'herbe mouillée et il tombe à son tour.

Sa chute lui semble ralentie. L'air glisse entre ses doigts, plaque ses cheveux sur son visage. Dans un dernier éclat de lucidité, Marshall se demande si quelqu'un le regrettera.

Puis l'eau se referme sur lui, telle un lourd linceul sombre.

Joseph Moore débarque sur Eilean Mor le 26 décembre. Ayant quitté la terre ferme le 21, le navire a été pris dans une violente tempête et n'a pas pu accoster avant ce jour. Son soulagement est teinté d'inquiétude : sur le quai, il n'y a ni caisse vide, ni corde d'amarrage prête pour eux. Le gardien fronce les sourcils, soucieux. A pas vifs, il grimpe jusqu'au phare. Le portail et la porte principale sont grand ouverts. Une flaque s'est étendue sur le seuil, la pluie ne rencontrant aucun obstacle. Dans la cuisine, tout est en ordre, les couteaux sagement rangés, la vaisselle soigneusement lavées. Moore hausse la voix, appelant ses collègues mais seul le silence lui répond. Craignant de trouver les cadavres des trois autres s'il continue, il recule et attend que deux marins l'aient rejoint. Le trio ainsi formé s'enfonce dans le phare. Les lits dans la chambre sont propres et faits. Les lampes, au dernier étage, ont été récurées, remplies de pétrole et sont prêtes à être allumées. Un frisson parcourt Moore. Mais où ont-ils pu passer ? Les marins et lui dévalent les escaliers, s'époumonant. Ils parcourent l'île mais doivent bien se rendre à l'évidence : les trois gardiens se sont évanouis dans la nature.

De retour au phare, Moore espère trouver une réponse dans le carnet de bord mais son trouble croît : de quelle tempête son collègue parle-t-il ? De l'ouragan que lui-même a essuyé la veille ? Mais où se serait-il caché ces dix derniers jours ? Et puis, un temps si terrible que ses camarades, pourtant marins aguerris et peu pieux, ont commencé à prier ? Il ne comprend rien. Fermant lourdement le cahier, Moore retourne au bateau. Sur terre et en mer, les recherches sont lancées. De longs mois passèrent sans nouvelles des trois hommes.

Encore aujourd’hui, cette mystérieuse disparition n’a pas été résolue. De nombreuses théories ont été énoncées, les aliens, une folie peu à peu installée, un nouveau triangle des Bermudes, mais rien n’a jamais été prouvé.

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