Semaine 8.4 - Les disparus du phare

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Marshall le retient juste à temps avant qu'il ne glisse à terre.

- MacArthur ! Besoin d'aide !

Le vieil homme dévale les escaliers, ignorant les douleurs qui parcourent son corps. Marshall tenant leur compagnon par les épaules, MacArthur lui frappe doucement les joues, puis avec plus de force. Ducat ouvre les yeux avec une lenteur infinie. Son regard est trouble. Il lève des doigts hésitants vers le visage qui lui fait face.

- Pourquoi il y a deux MacArthur ?

Il plisse les yeux, son front se ridant plus encore.

- Ah non, un seul.

A nouveau, son corps tombe en arrière avec la grâce d'un cachalot. Son visage s'est détendu, revêtant une expression si douce qu'elle paraît enfantine. Marshall ôte peu à peu ses mains de ses épaules, échangeant un long regard avec MacArthur. Comme Ducat ne paraît plus susceptible de s’écrouler, ils s'éloignent légèrement. Lui arbore un sourire d'une rare innocence. Il éclate de rire, tel un enfant ravi, alors qu'il lève la main pour toucher quelque chose que lui seul peut voir.

Les deux gardiens le fixent, stupéfaits par son comportement. Il semblerait qu’il ait perdu l'esprit. Avant qu'ils n'aient pu réfléchir au phénomène, Ducat baille longuement, s'étire avec langueur avant de croiser les bras sur la table, de poser sa tête par-dessus et de s'endormir promptement.

Marshall cligne les yeux, n'en revenant pas. Il tourne légèrement la tête, histoire de vérifier que MacArthur a lui aussi vu la scène. En effet, il est immobile, la bouche légèrement bée.

Alors que vingt-trois heures approche, Ducat quitte le sommeil, l'esprit tranquille.

- Mais tu ne te souviens de rien ?

- Pour la troisième fois, non, répète-t-il, l'air agacé.

Le coup d’œil entre Marshall et MacArthur achève de l'irriter.

- L'un de vous peut-il m'expliquer ce qu'il s'est passé, cordieu ?

Tandis que le plus vieux tente de lui résumer la situation, le second l'examine. Ducat semble totalement remis. Son regard est clair, ses manières franches, sa parole vive. Comme d'habitude. Peut-être avait-ce été une crise de démence précoce ? Si ce n'est par la façon dont MacArthur se comporte, il aurait été persuadé d'avoir été lui-même victime d'une hallucination tant tout semble normal.

Ducat lâche une exclamation incrédule en entendant le récit de son passage à vide puis de son égarement. Marshall secoue la tête. Dehors, la tempête gonfle toujours plus. Le cor d'un navire gronde dans le lointain, rappelant soudainement les gardiens à leur devoir. Avec un juron fleuri, Marshall gravit la centaine de marches menant en haut du phare. La douce et chaude lueur des lampes à pétrole l'accueille, le faisant soupirer. Bien que tout semble en ordre, il vérifie avec attention chacune des vitres, cherchant la moindre fissure, mais le verre résiste à l'ouragan et aucune trace n'est à noter. Soulagé, le quinquagénaire retourne dans la pièce commune à une vitesse modérée, la douleur dans son dos s'étant réveillée.

Marshall retrouve MacArthur et Ducat accoudés côté à côté autour d'un nouveau bol de riz sucré. Il les rejoint rapidement, alléché par l'attirant fumet. La petite horloge murale sonne les vingt-trois heures. Ils dévorent le dessert avec bon appétit, le bruit de mastication couvert par celui de l'ouragan derrière la porte.

Une nouvelle demi-heure passe. Ducat est monté dormir, sous l'insistance de ses collègues ; MacArthur range machinalement la cuisine, savonnant les bols dans l'évier, et Marshall passe la serpillière sur le carrelage du rez-de-chaussée. Il faut bien s'occuper. Plongé dans ses pensées, ce dernier n'entend pas tout de suite le petit son, mais, quand il se répète, son oreille l'a repéré, reconnaissant un bruit humain. Il semble que c'est une sorte de... sanglots ? Surpris, le vieil homme se redresse. Abandonnant le balai contre le mur, il se glisse dans la pièce principale, découvrant avec une stupeur plus grande encore MacArthur, accroupi dans un angle, le visage plongé dans ses mains, les épaules secouées par des pleurs silencieux. Le doyen gémit comme un enfant.

Marshall hésite, la main à moitié tendue vers le vieil homme. Peut-être ne veut-il pas être vu dans cet état ? Puis il se décide et ses doigts effleurent le bras flétri par le temps. Avant qu'il n'ait pu s'en rendre compte, MacArthur s'est redressé et enserre son collègue, ses pleurs redoublant. Marshall fait un pas en arrière, surpris par l'attitude du sexagénaire, puis tapote machinalement le dos de celui qui, pendu à son cou, irradie une peur telle qu'elle envahit peu à peu Marshall.

- Elle me regarde.

Il sursaute. La voix de MacArthur est si étrange ! Si différente de la normale... Rauque mais presque aiguë, un peu sifflante tout en hoquetant par moment. Les yeux de l'homme bougent dans tous les sens comme s'ils cherchent quelque chose dans la pièce. Ils roulent, grand ouverts, écarquillés sur une vision qu'eux seuls perçoivent.

- Elle me regarde, murmure à nouveau MacArthur dans un nouveau sanglot. Elle est là, Elle me regarde...

Marshall lance un regard autour de lui mais ne voit rien. La main du doyen s'agrippe fermement à son col pour capter son attention. Ses prunelles humides paraissent incapables de rester concentrées sur un point unique.

- Fais-La fuir, reprend-il de sa voix cassée, fais-La fuir, fais-La fuir, fais-La fuir ! Elle me regarde...

Puis ses pleurs redoublent à nouveau, les larmes trempant la chemise de son camarade. Marshall le fixe, hébété, et doigt par doigt parvient à le décrocher. Gardant ses mains dans les siennes, il guide MacArthur jusqu'à une chaise où il s'effondre. Il a arrêté de pleurer mais gémit toujours. Son regard ne se fixe pas encore mais sa respiration est moins saccadée.

- MacArthur ? MacArthur, répète Marshall en claquant des doigts sous son nez pour attirer son attention. Calme-toi, il n'y a personne.

Le doyen marmonne, le visage un peu plus fermé.

- Qu'est-ce que tu as dit ?

- Bien sûr que si, y'a quelqu'un, Elle est là, derrière toi, tu ne La vois pas ?

Un frisson court le long de la colonne vertébrale de Marshall, comme si un seau d'eau glacé s'était renversé dans son dos. Il se retourne mais encore une fois ne remarque rien de singulier. La porte est fermée, les joints qui empêchent les vagues de se glisser sous sont scellés et intacts. Les fenêtres et les volets n'ont pas bougé, la buée les poissant. Rien.

- MacArthur, c'est dans ta tête, d'accord ?

Il ne faut surtout pas qu'il se laisse entraîner dans l'angoisse du vieil homme. Il n'y a personne, il en est sûr. Il faut qu'il en soit sûr. Des craquements les font sursauter et se tourner, la mine effrayée, vers l'escalier, mais ce n'est que Ducat qui descend. Il s'étire avant d'arrêter son geste en voyant ses deux collègues. Ses yeux glissent de Marshall, droit devant la table, à MacArthur, assis sur sa chaise, qui enserre ses genoux de ses bras tout en se balançant lentement.

- Que se passe-t-il ici ?

En quelques minutes, Marshall lui a résumé la situation. Ducat secoue la tête, incrédule. MacArthur est le plus terre à terre des quatre gardiens du phare. Ou du moins l'est-il habituellement. Là, gisant tel un enfant, dodelinant de la tête comme s'il avait cinq ans, il semble avoir à son tour perdu l'esprit. Avec mille douceurs, Ducat parvient à le convaincre de lâcher ses genoux pour se lever puis l'accompagne à l'étage. Sur le trajet, MacArthur se remet à pleurer mais ce ne sont plus des sanglots de peur, ils expriment un soulagement intense.

- Elle est partie, chuchote-il à Ducat. C'est merveilleux, Elle est partie !

Son rire s'enfuit, aussi léger qu'un papillon.

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