Semaine 8.2 - Les disparus du phare

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MacArthur et Marshall lèvent la tête, peu surpris. Après tout, ils sont dans la saison violente depuis deux bons mois. En revanche, l'air vide de Ducat les laissent interdits. Il semble fixer un point invisible sur la table mais, avant que ses collègues puissent l'interroger, son regard s’éclaircit soudainement. Il s'ébroue comme un chien sortant de l'eau. D'un geste de la main, il les rassure puis reprend silencieusement son visage enjoué. L'espace d'un instant, il a cru voir une sorte de brume flotter au-dessus du bois, mais il a dû rêver. D'autant plus qu'aucune vapeur ne peut sourire ainsi.

A seize heure, la nuit tombe déjà et MacArthur gravit les étages pour allumer les milliers de bougies qui assurent la vie aux navires. Comme les premières bouffées de la tempête les frappent déjà, il ne s'attarde guère au sommet. Aucune envie que les vitres explosent et que les éclats le transpercent. C'est déjà arrivé, dix mois plus tôt, et le souvenir est particulièrement douloureux, même s'il n'a été que peu atteint.

Ses vieux os protestent à chaque marche pourtant, stoïque, il poursuit. Il sait qu'il ne tiendra pas plusieurs hivers à ce train-là mais, après tout, sa retraite est proche.

Il s'installe à la cuisinière, faisant lentement bouillir le lait. Ducat pense que c'est une boisson de faible, pour les femmes et les enfants mais MacArthur sait qu'il n'en est rien. Après tout, il en boit bien, lui. De plus, qui n'aime pas le riz-au-lait ? Un dessert chaud, sucré, qui tient à l'estomac et réconforte les gardiens pendant leurs longues veillées. MacArthur agite une main au-dessus de la casserole d'étain, attirant les effluves jusqu'à son nez. Un régale. Il ferme les yeux, savourant l'odeur sucrée. Se relevant, il attache distraitement sa chevelure blanche. Elle n'est pas très fournie mais toujours plus que celle de Moore, qui est presque chauve.

Marshall est installé à la table de la petite cuisine, penché sur l'épais cahier où il enregistre leurs journées. Le visage pensif, il gratte contre son menton le bout de son porte-plume à réservoir. Il a entendu parler il y a peu d'un nouveau nom pour l'objet, le « stylographe », et il est vrai que c'est bien plus court. En revanche, il ne sait toujours pas bien maîtriser l'outil. Il le secoue trop fort et projette des gouttes d'encre sur la feuille, ou encore pas assez et il n'écrit plus, ou même il renverse l'encrier en remplissant le petit réservoir. Pourtant, il avoue qu’il est pratique, une fois maîtrisé.

L'horloge sonnant les dix-sept heures le fait sursauter. Marshall vérifie à droite puis à gauche qu'il n'a pas été surpris dans sa rêverie. Non, Ducat est toujours dehors, en train de vérifier que toutes les caisses ont été rentrées tandis que MacArthur a disparu, laissant son précieux dessert mijoter. Il reviendra rapidement puisqu'il ne doit pas brûler. Le regard du vieil homme se tourne avec envie vers la grosse casserole. Au début, il doit admettre qu’il était assez suspicieux, pourtant, dès la première bouchée, il a été conquis. Passant sa langue sur sa lèvre sèche, Marshall se détourne. Non, ce n'est pas pour maintenant.

Son attention revient sur le carnet de suivi. La dernière entrée date de ce matin. Le bout de son porte-plume contre sa joue, il se relit. C'est succinct, comme toujours. 12 décembre. 9 heures. Temps nuageux. Vents forts mais habituels. Le vieil homme retire brusquement l'objet de là où il avait glissé, c'est-à-dire sous sa dent, quand le goût âcre de l'encre se répand sur sa langue. Il plisse le nez, le visage froissé. Il sort son gobelet, le remplit d'eau et se gargarise avant de cracher dans le seau. Beurk.

MacArthur le fixe étrangement quand il revient dans la pièce. Il cligne lentement les yeux.

- Ducat a besoin d'aide, une des caisses a été oubliée.

Marshall hoche la tête et se redresse, bien qu'ayant toujours l'affreux goût de l'encre dans la bouche. Il retient un haut le cœur et sort, stoïque, se drapant dans son ciré. A peine a-t-il clos la porte qu'une bourrasque le cueille. Les pans de son habit volent, battant ses flancs avec force avant qu'il ne parvienne à le fermer. Son écharpe manque de lui échapper. Ses doigts sont déjà gourds. La vision rendue trouble par le vent, Marshall se repère plus par ses souvenirs que par ses yeux. Il manque plusieurs fois de s'écraser à terre mais parvient chaque fois à reprendre son équilibre. Et heureusement car une chute dans de pareilles conditions aurait été réellement infortune.

Ducat est là, sur le quai de débarquement nord, tentant en vain d'attacher une imposante caisse. Même si MacArthur l’avait prévenu, Marshall est surpris : ne les avaient-ils pas toutes rentrées la semaine dernière ? Qu'importe. Elle ne doit pas se perdre. Prenant place à côté de son compagnon, Marshall s'appuie de tout son poids sur l'énorme objet, passant outre ses articulations protestantes. La nuit sera douloureuse. Pendant ce temps, Ducat, reconnaissant, est parvenu à entourer la caisse de la corde, l'enroulant adroitement avant de l'attacher fermement à une des bittes d'amarrage. Puis les deux compères s'en vont, bon gré, mal gré, aidés par de violentes poussées dans leur dos.

Plusieurs fois, l'un manque de tomber, trébuchant sur un caillou, sa chute précipitée par les coups de vent mais ses genoux ne touchent jamais le sol car son compagnon l'a retenu. Enfin, ils parviennent au phare. Délaissant la porte principale, trop grande pour être ouverte par un tel temps, ils pénètrent dans le bâtiment par une petite ouverture sur la face sud -si tant est qu'une tour circulaire puisse avoir une face sud- c'est-à-dire la moins exposée à la tempête. Le calme soudain qui envahit leurs oreilles à un quelque chose d'inquiétant et d'angoissant mais déjà MacArthur les entoure d'attentions, les aidant à ôter le ciré trempé qui s'est collé à leur peau, tirant vers eux les pantoufles chauffées par la cheminée. Avec un plaisir non contenu, Ducat et Marshall enfilent les chaussons fourrés, passant avec délectation un épais chandail autour de leurs épaules.

- Eh bah c'est pas ce soir qu'on verra les étoiles, bougonne le plus jeune.

MacArthur rit nerveusement.

- Non en effet, ce sera déjà salutaire si aucun navire ne s'échoue. Je déteste entendre les cris des naufragés.

Il frissonne soudainement et son regard laisse percer une pointe de peur. Il hésite mais lâche finalement, trop nerveux pour se contenir :

- Vous pensez que les each uisge se risquent à entrer dans les maisons ?

Marshall se mord la lèvre. Ce foutu démon. Puis il secoue la tête, ses mèches grises projetant des gouttelettes dans l'air.

- Non, ils ne font que parcourir la lande et les bords de mer. N'est-ce-pas, Ducat ?

Ce dernier ne répond que par un « Mmf » peu commode. Il étire le dos, ses épaules carrées pointant sous l'épais tissu de son gilet. Son regard est étrangement dur ; où est passé l'homme jovial que tous connaissent ? Marshall se mord la joue mais ne commente pas. Après tout, la tempête met leurs nerfs à rude épreuve. MacArthur, lui, ouvre la bouche pour répliquer mais le coup d’œil que lui jette son compagnon l'encourage à rester muet. Le silence s'installe dans la pièce, entrecoupé par moment par les bûches qui craquent dans la cheminée.

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