Semaine 7 - Trafic d'agrumes

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Hildegarde soupire tout en massant son poignet. Par les citrons de Satan, ce qu'il est douloureux ! C'est qu'attendre dans l'humidité n'est plus de son âge. Elle souffle à nouveau par le nez, lentement et silencieusement. Un petit nuage de buée se forme devant ses narines. Si Annm n'arrive pas rapidement, tant pis, elle partira. Après tout, celui qui a fixé ce rendez-vous, qui a choisi cette heure tardive et ce taudis miteux, ce n'est pas elle, mais le trafiquant de mandarines.

Un grattement sur le sol tend Hildegarde. Elle plisse la bouche de dégoût. Fichus rats. L'un d'eux glisse entre ses deux jambes, elle lève le pied et l'abat sur le nuisible. Ce dernier couine pitoyablement quand son crâne s'écrase contre la terre battue. La mine fripée, Hildegarde essuie le dessous de sa chaussure sur le mur puis croise les bras. Son regard est décidé. En face de la trafiquante, son garde, le valeureux Feedlest, avale difficilement sa salive. Les yeux de la vieille femme semblent envoyer des rayons mortels. Il ne veut pas fondre.

Un nouveau bruit les fait se redresser. Celui-là est humain. Des pas qui éclatent dans les flaques d'eau. Hildegarde réfléchit, l'oreille attentive. Il semblerait que les nouveaux venus soient trois. L'un d'eux a une démarche un peu hésitante, presque traînante. Enfin, ils poussent la porte. Le premier perce du regard les deux présents, étudiant leur comportement et leurs positions. Puis il laisse passer son employeur, un petit homme accompagné d'une seconde garde. Avec son nez long et pointu, ses minuscules yeux noirs et vifs et sa tête ronde enfoncée entre ses épaules, il ressemble en tout point à une souris. Ou plutôt à un rat. Il tend la main vers Hildegarde et baise la sienne.

- Ma chère !

Elle réprime un frisson. Elle déteste ce contact froid et presque gluant mais se retient de reculer.

- Annm, le salue-t-elle. Vous êtes en retard.

Sa voix est froide et grave après celle du Rat, aiguë et criarde. Un large sourire dévoile les dents légèrement jaunies de ce dernier. Il fait un vague geste de la main.

- Quelques flics tournaient autour de la planque, il me fallait les éviter. Vous comprendrez, ma chère, de l'importance de mon geste et m'excuserez.

Annm réalise un simulacre de révérence, la main d'Hildegarde toujours dans la sienne. Cette fois, elle recule et se libère. Ses doigts effleurent le mur derrière elle. La surface est rugueuse. Mortier ou béton ? Qu'importe. La face de rat en face d'elle ne se départ pas de son sourire.

- Que voulez-vous, Annm ?

- Oh mais vous prévenir, très chère.

Hildegarde le regarde, l’œil suspicieux. Elle constate que les deux gardes du trafiquant se sont stratégiquement disposés autour de Feedlest. Annm le remarque et éclate de rire, un rire gras qui révulse son interlocutrice.

- Ne t'inquiète pas, Lolali et Austin n'interviendront qu'en cas de trouble. Mais vous serez sage, n'est-ce pas, ma chère ?

Son ton mielleux fait frissonner Hildegarde. Elle réplique sèchement :

- De quoi vouliez-vous me prévenir ?

- Votre nouveau client, Niny. C'est une flic, vous êtes au courant ?

C'est au tour de la femme de rire. Le son fait penser au froissement des roseaux quand un vent les traverse et les agite.

- Oh, Annm, soyons sérieux un instant. Vous croyez vraiment que j'aurais laissé passer quelque chose de si gros ? Évidemment que je le sais, je sais tout de mes clients.

Annm cligne lentement des yeux.

- Vous jouez dangereusement, ma chère, mais n'oubliez pas, même les funambules peuvent tomber.

Hildegarde hoche lentement de la tête puis rejette une épaisse mèche de cheveux derrière son épaule. Sa chevelure est l'une de ses plus grandes fiertés, juste après sa fortune d'agrumes. Son caractère voluptueux fait pâlir d'envie des plus jeunes. Elle tapote l'épaule du petit homme.

- Ne vous inquiétez pas, j'ai un excellent équilibre.

Le contournant, elle évite soigneusement de le frôler. Non pas qu'elle ait peur de lui, mais son contact la révulse. Arrivée à la porte, elle s'immobilise. Sans se retourner, elle reprend :

- Annm, une dernière chose. Junara monte une attaque pour vous supplanter en tant que chef du gang des mandarines. Vous devriez vous méfier d'elle.

Une information contre une autre, c'est le prix juste. A peine a-t-elle fini de parler qu'elle s'en va, Feedlest dans son dos. Plus loin dans la ville, la trafiquante serre les dents en approchant la minuscules salle de concert où une ancienne célébrité anime les quelques fans qu'il lui reste. Le visage tendu, Hildegarde pénètre dans le bâtiment par une porte dérobée. Sur scène, la chanteuse se dandine, sa tenue chatoyant sous les projecteurs.

Hildegarde grimace. Elle n'a jamais apprécié ce dernier album. C'est dommage, Lady Gaga était douée, avant. Elle poursuit son chemin. Feedlest traîne un peu. Il aurait aimé rester un peu plus mais le devoir l'appelle sous la forme d'une vieille trafiquante toujours sexy. Il soupire. Il y a pire comme boulot. Sa boss est déjà à l'étage supérieur. Il monte les escaliers, sautant les marches pour aller plus vite. Si Hildegarde déteste quelque chose, c'est bien que le travail ne soit pas fait, or il doit toujours être dans son ombre. Enfin, il la rattrape. Elle ne lui jette qu'un rapide coup d’œil tout en tournant la clé dans la serrure. La porte s'ouvre.

Derrière, une vaste pièce se dévoile. Elle est lumineuse, spacieuse. Rien à voir avec la miteuse salle de concert d'en bas. Hildegarde s'installe en silence à son bureau. Comme à son habitude, elle sort son stylo plume. Il est spécial. Les cartouches ont été tout particulièrement conçues pour elle, remplie de jus de citron pour un courrier thermo-actif. Outre la discrétion, c'est aussi une preuve de son immense fortune, si importante qu'elle peut se permettre d’utiliser des agrumes comme encre.

Comme d'usuel, Feedlest parcourt soigneusement et silencieusement la salle, inspectant les moindres recoins. Ayant vérifié que rien ne menace la boss, le jeune garde ferme lentement la porte sur le sérieux de cette dernière. Droit, il se tient devant le battant, la main sur la crosse de son arme.

L'attente débute.

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