Semaine 4.3 - Un livre pour s'évader

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Après une toilette rudimentaire, Camille se glisse dans son lit. La position allongée est un délice et elle étire les orteils de contentement. Quand elle se retourne, quelque chose de dur darde son coin contre ses côtes. La petite maugrée en se relevant. Elle ne peut vraiment pas dormir ! Elle passe une main sous ses draps avant de rencontrer l'objet de son malheur. Elle ouvre la bouche de surprise. Le livre ! Elle l'avait oublié avec tout ça.

La fillette le tire de sa cachette. Marchant sur la pointe des pieds pour ne réveiller personne, elle s'installe sur un banc près de la fenêtre. La lune est haute dans le ciel, et pleine. La lumière est faible, mais suffisante pour voir les lettres rondes et sombres. Avec curiosité, Camille ouvre sa trouvaille. Le papier est fin et souple. Agréable au toucher. Le nez collé au livre, l'enfant déchiffre le sous-titre de la préface, « dans laquelle il est établi que malgré leurs noms en os et en is, les héros de l'histoire que nous allons avoir l'honneur de raconter à nos lecteurs n'ont rien de mythologique. » De plus en plus dévorée par l'envie de poursuivre, Camille tend l'oreille et, n'entendant rien de plus que le léger ronflement de ses camarades, craque une allumette pour allumer une chandelle. Puis, elle se plonge dans la lecture de son trésor.

Une main la secoue sans ménagement.

- Mademoiselle Camille !

Elle lève la tête, désorientée. Soeur Constance est là, face à elle, les poings sur les hanches, l'air de méchante humeur. Derrière elle, les têtes de ses camarades, peu réveillées, pointent de sous leur couverture, les cheveux en bataille. Elles chuchotent entre elles, se demandant sûrement ce que fait Camille sur son banc, question que répète la sœur. La petite, à peine sortie de son somme, frotte ses yeux de la paume.

- Je... je me suis... endormie ?

L'enfant n'est pas trop sûre de la réponse adéquate. La main de la sœur saisit le livre que couvre le bras de Camille.

- Endormie sur cela ?

Elle le tient du bout des doigts, comme si le livre était toxique. La fillette bondit en avant pour l'attraper mais déjà l'autre a dressé le bras vers le plafond pour le mettre hors de sa portée. Le nez froncé, la sœur décrypte à voix haute la première page :

- Les Trois Mousquetaires, par Monsieur Alexandre Dumas. Pouah. Cela semble bon pour les ordures, jeune fille.

Camille serre les poings le long de ses flancs.

- Rendez-le moi, s'il vous plaît.

- Tut tut tut. Ce n'est pas une lecture pour une demoiselle bien élevée. N'est-ce pas, mesdemoiselles ?

Un concert de murmures approbateurs monte dans son dos. Sœur Constance lève un sourcil, l'air de dire « tu vois ? Qu'est-ce que je disais ? » Camille aimerait bien lui envoyer un coup dans le ventre pour récupérer son trésor mais se dit que c'est probablement une mauvaise idée. Alors elle crispe plus encore ses poings, ses ongles s'enfonçant dans la chair tendre de sa paume. Son regard est fixe, dur, posé sur un point inexistant à côté des pieds de la responsable. Le souffle rendu un peu court par l'énervement, Camille essaye de se calmer. Après tout, si elle se met en colère contre Soeur Constance, elle sera sûre de voir son livre partir définitivement.

- S'il vous plaît, Sœur Constance, ce n'est pas si terrible que ça.

Elle siffle entre ses dents serrées. Implorer ne fait pas partie de ses habitudes et elle déteste en être arrivé là. Son visage est figé comme celui des saintes en marbre. Sans émotion aucune. Un simple visage que l'on regarde en s'interrogeant sur ce qu'il peut se passer derrière. La sœur la fixe. Elle a croisé les bras sur sa poitrine et le livre pend mollement sous son coude, ouvert. Les pages supérieures sont froissées et pliées par le contact du tissu rêche de la robe noire. Camille a mal au coeur de voir son trésor ainsi malmené.

- Mademoiselle Camille ?

- Oui, Sœur Constance ?

- Qu'ai-je dit à propos de cette ouvrage ?

- Qu'il n'est pas une lecture convenable, grommelle l'enfant.

- Répète en articulant, intime la sœur. Une fille bien élevée sait se faire comprendre facilement.

- Qu'il n'est pas une lecture convenable, s'égosille Camille, le visage toujours plus tendu.

- Bien.

Soeur Constance glisse le livre sous son aisselle et frappe plusieurs fois des mains.

- Mesdemoiselles, mesdemoiselles, préparez-vous vite pour le petit-déjeuner, vous êtes en retard.

Les fillettes s'éparpillent avec quelques cris d'exclamations ici et là. Pour la seconde fois en moins de vingt-quatre heures, Camille se retrouve seule devant une sœur. Cette dernière claque des doigts sous le nez de l'enfant.

- Mademoiselle, votre attention.

Camille se redresse. Elle veut sortir. Mais avant ça, elle veut récupérer son trésor. Alors elle reste plantée là, les bras dans le dos. Sœur Constance est droite face à elle, le nez levé avec dédain.

- A partir de ce soir, vous serez à l'église dès le souper fini, et ce, jusqu'à ce qu'il neige à nouveau. Vous comprendrez peut-être enfin ce que signifie l'obéissance et cesserez ces sottises que vous enfilez.

La fillette rentre la tête dans les épaules mais ne réplique rien. Cela ne ferait que durcir la punition.

- Bien. Maintenant, filez faire vos ablutions.

Camille fait deux pas, s'arrête et se retourne. Son visage est animé d'espoir.

- Et mon livre ?

Sœur Constance baisse le regard, comme surprise de le tenir encore.

- Oh. Lui.

Ses yeux parcourent le dortoir avant de trouver ce qu'elle cherche. A grands pas, elle avance et lance l'objet dans la cheminée, son feu ayant été tout juste renouvelé. Camille lâche un cri et se jette en avant tout en sachant qu'il est trop tard. Les flammes dévorent la couverture écarlate, rongent les pages pâles. Elle entend à peine la sœur quitter la pièce.

Accroupie sur les pierres froides, Camille regarde l'âtre où les petites lettres noires, synonymes de tant de rêves, partent en fumée.

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