Semaine 4.2 - Un livre pour s'évader

4 minutes de lecture

Les yeux brillant de l'excitation de l'aventure, Camille s'assoit sur son lit. Il est très rudimentaire, un simple sommier sur lequel on a posé un matelas de paille et des draps de gros coton. Déroulant son habit, la fillette découvre le livre. Elle repousse une mèche mouillée derrière son oreille afin de l'empêcher de goutter sur sa trouvaille. Avec précaution, elle l'ouvre et parcourt le titre du doigt, Les Trois Mousquetaires, avant d'effleurer le nom de l'auteur, M. Alexandre Dumas. Elle fronce les sourcils. Elle ne connaît pas. Camille ferme d'un coup sec le livre en entendant un son dans le couloir. Il y a une petite fente dans le drap, la couture a éclaté il y a quelques mois et parfois quelques brins de pailles viennent la chatouiller la nuit. La fillette y glisse son trésor et se redresse précipitamment, juste à temps pour voir la porte s'ouvrir.

- Tu es en retard.

Le ton sec claque dans ses oreilles. La petite se lève, lisse le devant de sa robe en baissant la tête.

- Je suis désolée, Sœur Constance. J'ai été surprise par la pluie et je voulais me changer.

- Ce n'est pas une bonne raison pour sécher, jeune fille. Si tu avais quitté la cour comme les autres, tu n'aurais pas été trempée. Maintenant, file en classe.

- Puis-je me changer, Sœur Constance ?

- Non. Le bon Dieu a envoyé cette pluie pour te punir, tu dois l'accepter. Remercie-le de sa clémence.

- Cause toujours, marmonne Camille.

- Parle plus clair que je puisse comprendre.

- Loué soit-Il, piaille la fille.

La Sœur la pousse dehors d'une frappe sur les fesses.

- File.

Camille grimace. Elle n'aime pas Sœur Constance, qui est trop carrée à son goût. Dès qu'elle sort de son champ de vision, la fillette singe son aînée, moqueuse, frottant son derrière endolori. Dieu qu'elle est ennuyante. Par habitude, l'enfant se signe pour faire pardonner son blasphème tout en maugréant contre ce réflexe.

La journée passe trop lentement pour Camille. Elle n'en peut plus. Ce matin, elle était punie de son retard, obligée à rester debout à côté du tableau, exposée aux regards de ses camarades. Sans rien pour se distraire, elle ne pouvait se soustraire aux lourdes paroles de la Sœur responsable de la classe qui leur expliquait pour une énième fois la genèse. Le repas a été léger, comme d'usuel, un simple pain plongé dans une soupe sans goût. Le réfectoire était plongé dans le silence, entrecoupé seulement par les mastications des centaines de petites filles que venait ponctuer Soeur Prudence de sa voix aigre quand elle lisait des passages bibliques.

Le regard de la fillette glisse vers la fenêtre de la classe. Le soleil n'est plus très haut dans le ciel. La fin de la journée scolaire approche. Enfin ! Elle se retient de laisser tomber sa tête sur la table, il ne manquerait plus qu'elle soit punie pour paresse et ne puisse par sortir avec les autres ! Tournant son stylo entre ses doigts fins, elle fixe les quelques gouttes qui se sont échappées de la plume. Les tâches s'étiolent sur le papier. Le buvard est à portée de main mais l'encre noire lui donne une occupation. Elle semble vivante, se mouvant dans toutes les directions pour coloniser le blanc de la feuille. La petite mordille le bout de son stylo et commence à relier les petits points entre eux. Une constellation naît.

Un coup envoie sa tête en avant.

- Mademoiselle Camille !

La dénommée frotte l'arrière de son crâne. Une bible, c'est lourd tout de même.

- Oui ? bougonne-t-elle.

- Pouvez-vous répondre à ma question ?

Camille lève les yeux vers le tableau. Un unique mot, Moïse, est écrit. Mince, elle ne sait pas où elles en sont dans cette histoire-là. Elle tente le tout pour le tout d'une petite voix légèrement trop aiguë :

- Euh... Moïse a ouvert la Mer Rouge pour les autres car ils savent pas marcher sur l'eau ?

Les fillettes autour d'elle éclatent de rire. La sœur, elle, ne goûte guère cette réponse approximative. Son visage prend une dangereuse teinte rouge. Camille rentre la tête dans les épaules.

- Vous n'écoutiez pas, Mademoiselle Camille ?

- Non, Sœur Prudence.

- Savez-vous le sort réservé aux indolentes, Mademoiselle Camille ?

- Oui, Sœur Prudence.

L'enfant se lève et avance vers le tableau d'un pas traînant quand la cloche de fin des cours résonne. La sœur soupire.

- Vous pouvez disposer.

Les fillettes s'éparpillent avec des cris joyeux. Camille s'apprête à les suivre mais une main forte agrippe son bras et la retient en arrière. Elle redresse la tête.

- Oui, Sœur Prudence ?

- Ne croyez pas votre peine levée. Ce soir, après le souper, rejoignez l'église.

- Oui, Sœur Prudence.

Camille s'enfuit. Elle grogne. La corvée d'église est l'une des plus pénibles : il s'agit de laver le sol du bâtiment saint avec une petite brosse et un peu d'eau savonneuse. Toutes les filles répugnent de le faire. C'est lent, long et on ne se relève que plusieurs heures après avoir commencé, les bras meurtris par les mouvements répétitifs, le dos craquant d'être resté si longtemps dans la même position dans le froid et les genoux écorchés par la pierre dure. Brrr, rien que d'y penser, Camille sent la morsure glacée sur ses membres.

La nuit est bien avancée quand l'enfant rejoint son dortoir, épuisée. Elle roule la tête sur son épaule dans l'espoir de débloquer son cou. Ciel, c'est douloureux. Par réflexe, ses doigts volent vers son front mais elle les arrête. Après tout, si Dieu a fait la religion si ennuyante, au point qu'elle manque de dormir pendant les cours, et si Dieu est juste, alors il ne devrait pas la punir pour ça. Comme il le fait, alors il ne mérite pas que la fillette fasse des efforts pour se faire pardonner. Non mais !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 2 versions.

Vous aimez lire Jo March ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0