8.

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Avant de nous rendre au domicile de Karys, Dawilé et moi allions trouver Lanssana Agbo à l’accueil.

Il se tenait devant un des avis de recherche qui venait d’être apposé sur notre tableau de service de notre département et qui représentait un agrandissement du visage de l’homme à l'œil de verre.

  • Bonjour, Mr Agbo, merci d’être...
  • C’est lui ! m’interrompit-il en désignant du doigt la figure de notre suspect principal.
  • De quoi parlez-vous ? lui demanda Dawilé.
  • Cet homme ! Cest lui que j’ai vu en compagnie de Tamara ces derniers temps, celui dont je vous ai parlé hier ! Son amant !
  • En êtes-vous sûr ?
  • Oui, Lieutenant ! Je pourrais le reconnaître n'importe où, avec un visage pareil !

Il s'assit sur une des chaises posées non loin à l'intention des visiteurs, l'air hagard. Il couvrit ensuite son visage avec ses mains.

  • Mr Agbo, nous devons poursuivre notre enquête, mais un agent va prendre votre déposition si vous le voulez bien, lui dis-je en lui mettant la main sur l'épaule.

L'adjudant Adowa nous fit un signe de la main, afin de s'entretenir avec nous en aparté.

  • Oui, Adowa ? lui demandais-je.

Il nous remit à chacun une copie d'un document.

  • Il s'agit du rapport des gars au labo. Ils ont vérifié l'alibi de Lanssana Agbo, grâce aux caméras de surveillance du parking de la startup et celles de son quartier résidentiel, la nuit du meurtre. Il se trouve qu'il est bel et bien resté sur son lieu de travail en début de soirée. Au moment où le meurtre s'est produit, il était déjà chez lui et il n'en est pas ressorti jusqu'au lendemain.
  • J'avoue que je suis soulagée qu'il ne soit pas le meurtrier, murmurais-je. Il a l'air sincèrement accablé par tout ce qui se passe.
  • Très bien, Adjudant, transmettez une copie de ce rapport au commandant.
  • Oui, Lieutenant !

Je me tournai vers Lanssana, qui semblait avoir vieilli de quinze ans.

  • Mr Agbo, vous devriez rentrer chez vous et vous reposer.
  • Vous me croyez alors ?
  • Oui, Mr Agbo. Vous êtes libre, mais avant cela, comme je vous l'ai dis tantôt, un agent va devoir prendre votre déposition.

Il ferma lentement les yeux puis hocha doucement la tête.

  • Si vous attrapez son meurtrier, je vous en prie, faites-le moi savoir.

Une demi-heure plus tard, nous arrivions devant l'immeuble de Karys, dans la périphérie de la ville. Le quartier n'était pas des plus agréables. Des jeunes des environs, assis sur les marches des immeubles aux alentours ou adossés sur des pans de murs crasseux, fumaient ce qui ne semblaient pas être des cigarettes ordinaires. Toutefois, en voyant nos uniformes, ils jetèrent et écrasèrent d'un même geste leur mégots respectifs, avant de mettre leurs mains dans leurs poches, l'air innocent.

Grâce à la photocopie de sa carte d'identité qui avait été ajoutée la veille à son dossier, nous savions exactement où se situait son appartement.

Dawilé frappa à la porte à plusieurs reprises. Aucune réponse.

  • Mlle Dabo, s'écria-t-il, c'est la police ! Ouvrez !

Aucun bruit ne se faisait entendre de l'intérieur et les rideaux derrière les fenêtres, qui donnaient sur le couloir, étaient tirés.

  • On a pas de mandat pour entrer, me dit Dawilé.
  • Ok, je prends ça sur moi. Qui sait si elle n'est pas en danger à l'heure qu'il est ?

Mon coéquipier aquiesça et nous sortîmes de nos holsters nos armes de service. Il prit son élan et fracassa la porte en contreplaqué.

  • Police ! Mlle Dab...

Karys était étendue par terre, dos au sol, dans la principale pièce qui servait de séjour dans le petit studio. Son soutien-gorge était visible sous sa chemise blanche et des gouttes de sang étaient visibles sur son jean noir et ses baskets neuves à lacets. Des filets de sang s'écoulaient de multiples plaies sur son visage.

Je m'accroupissai afin de placer prudemment deux doigts sur son cou, pour m'assurer qu'elle était encore vivante.

Un pouls très faible se fit sentir.

  • Dawilé, appelle le Samu et la police scientifique d'Arobo !

Il avait déjà commencé à composer un numéro et je me tournai à nouveau vers Karys. Mon regard se porta ensuite sur ce qui se trouvait sur la table du séjour, posée non loin.

Une trentaine de flacons et de plaquettes de médicaments en tout genre.

  • Et merde, murmurai-je.
  • Tu penses qu'elle est liée au meurtre de Tamara ? me demanda Dawilé, après qu'il ait appelé les secours.
  • Peut-être. Étant donné que Youssou Owonko est aux abonnés absents depuis hier, ce n'est pas une coïncidence.

Je me rappelai de la curieuse phrase que Karys avait dit la veille, tandis qu'elle nous ouvrait la porte, avant même l'annonce du meurtre de Tamara.

Il s'est passé quelque chose, n'est-ce pas ?

  • C'est compliqué, repris-je en me levant. Ces médicaments aussi ne sont pas là par hasard. Je suppose que ce n'est pas pour un traitement quotidien. Nous devrions également informer nos collègues de la BMDJ, à commencer par le Capitaine Pako.
  • Tu as raison. Aussi, attendons l'expertise de la police scientifique pour éviter de faire des conclusions hâtives, suggéra Dawilé, en s'accroupissant près de Karys. J'espère que les secours sont bientôt là !
  • Moi aussi.

Les médecins nous annoncèrent par téléphone en début d'après-midi que Karys était loin d'être tirée d'affaire. Son agresseur n'y était pas allé de main morte et elle avait sombré dans un coma profond. Selon les analyses du Dr Wassy au Centre médico-légal, il se pourrait qu'elle ait été battue par la même arme employée dans le meurtre de Tamara.

Les investigations dans l'appartement de Karys n'ont également rien donné de probant. Aucune empreinte n'avait pu être relevé sur les lieux. Chose étrange, les ongles de Tamara avaient été coupés net. Cela c'était sûrement passé après l'agression, sûrement dans le but qu'on n'y relève pas des bouts de peau qui auraient pu permettre d'identifier l'assaillant mystère, grâce à un échantillon d'ADN.

L’homme à l'œil de verre et Youssou Owonko étaient désormais considérés commes les principaux suspects. Le frère de Tamara était toujours en cavale et l'équipe du Capitaine Pako était toujours à ses trousses. Le troisième candidat soupçonné également d'avoir commis le meurtre, à savoir le mystérieux Fadyl54, demeurait introuvable. Tout comme le fameux pendentif de Tamara.

Après le boulot, Dawilé m’avait renouvelé son invitation à dîner. Vu la journée éprouvante qui venait de se passer, j’avais accepté sans hésiter, en espérant que cela me fasse un peu de bien.

Je passai chez moi me préparer rapidement, avant de rejoindre mon ami dans un fast-food traditionnel au centre-ville, qui s'appelait Chez Papou. Le propriétaire des lieux, qui avait donné son nom à l'établissement, réalisait avec ses équipes de bouchers professionnels les meilleures grillades des environs.

Le lieu du rendez-vous se trouvait à un quart d'heure de marche de mon immeuble, je décidai donc de m'y rendre à pied. J'étais presque arrivée, lorsque je sentis une présence derrière moi.

Je me retournai brusquement. Seuls quelques passants et habitants du quartier se trouvaient sur place.

Une certaine anxiété me prit à la gorge et je me mis à accélérer le pas pour m’engouffrer dans le fast-food, avec un certain soulagement.

Dawilé m’y attendait déjà, attablé du côté de la baie vitrée qui donnait sur la rue. Je ne pus m'empêcher de ressentir une certaine excitation en le voyant, malgré le trouble qui m'habitait depuis quelques minutes. Il dut s'en apercevoir, surtout lorsque je m’assis avec une certaine maladresse sur mon siège.

  • Ça va, toi ? me demanda-t-il, les sourcils froncés.
  • Euh… oui. Oui, je vais bien, tentais-je de le rassurer avec un pâle sourire. C’est juste que…
  • Que quoi ?
  • Bonsoir ! Comment allez-vous ? nous demanda une voix pleine d’entrain.

Papou en personne déposa un menu devant chacun d’entre nous. Il n’avait pas changé, avec son éternel tablier de travail, sa mine joviale et sa barbe grisonnante.

  • Bonsoir, Papou, on va bien, merci, lui répondit Dawilé. Et vous ?
  • Ha, tant qu’on est en vie, ça va, répondit-t-il avec un sourire franc.
  • Qu’est-ce tu nous suggères ce soir? lui demandais-je sur un ton qui se voulait énergique, tout en parcourant le menu des yeux.
  • Les poulets braisés sont divins !
  • Ça te va ? me demanda Dawilé.
  • Oui. Et comme accompagnement, de la banane plantain frite, si possible.
  • Je prends la même chose, dit Dawilé, en rendant les cartes à Papou.
  • Et comme boisson ?
  • Pour moi, du jus d'ananas. Et toi, Dawilé ?
  • La même chose.
  • Ok !

Mon coéquipier attendit que Papou s'éloigne pour me redemander :

  • Alors ?
  • Tu vas penser que je suis parano mais… je crois qu'on m'a suivie en venant ici ?
  • Quoi ?

Il jeta instinctivement un œil par la fenêtre puis dans la salle bondée du fast-food. Les coudes posés sur la table, il se pencha ensuite vers moi.

  • Akawo, je sais que tu n’aimes pas cette idée, mais il te faut une protection policière.
  • Je suis flic, Dawilé, et de surcroît un capitaine de police bien entraîné. C’est vrai que c’est flippant, mais je ne dois pas montrer à ce type qu’il m’impressionne.
  • Ok.

Un serveur vint déposer devant nous un plat de poulets braisés énormes et juteux. Un autre apporta trois minutes plus tard, sur un plateau, un bol de bananes plantain frites coupées en rondelles, ainsi deux gros verres de jus d’ananas.

Papou n’avait pas exagéré ses propos. Les poulets étaient succulents.

  • Ça revigore en tout cas, opina Dawilé, en s'essuyant les doigts.

Il avait un bout de banane sur le coin de sa bouche et avec un sourire, je le dévisageais sans m'en rendre compte.

  • J'espère que je n'ai pas de poivre entre les dents, me taquina-t-il.
  • Tu as plutôt un bout de banane entre les lèvres et la joue, lui dis-je avec un sourire. Pour tes dents, rien à signaler, elles sont parfaites.

Il s'essuya lentement la bouche et me fixa quelques secondes sans rien dire. J'eus l'impression de manquer d'air.

  • J'espère que Karys va s'en sortir, m'enquis-je au bout d’un moment.
  • Tout à l'heure, les médecins étaient assez optimistes, même si son état reste critique. Mais ils affirment que c'est une battante. Raison pour laquelle Gassoba a fait poster deux policiers devant sa chambre d'hôpital, dans le cas où son agresseur voudrait s'en prendre à elle une nouvelle fois.
  • On aurait dit qu'elle connaissait son agresseur, étant donné que la porte n'a pas été fracturée, opinai-je.
  • C'est vrai, tu as raison. Aussi, vu la posture dans laquelle elle se trouvait, on pourrait penser également que c'est une tentative de viol qui a mal tourné.

Il but un verre d'eau et reprit :

  • Tu sais, je pensais à un truc, Akawo. Fadyl54 et notre type peuvent très bien être une seule et même personne. Il harcèle Tamara par mail, la menace, commence à la suivre puis il finit par la tuer.
  • Mais pourquoi serait-elle allée seule le voir en pleine nuit et dans un endroit pareil ? Ce n’était pas son genre !
  • Et si, comme l’atteste Lanssana, il s’agissait de son amant ? Sans doute le type à l'œil de verre s’est-il révélé assez collant et inquiétant, une raison suffisante pour que Tamara commence à repousser ses avances. Il l’a sans doute très mal pris et on connaît la suite.
  • Hmm. Je ne sais pas trop, dis-je en buvant quelques gorgées de jus d’ananas. Et puis, pourquoi s’acharner sur moi désormais ? Je ne le connais même pas !
  • N’oublie pas que lui te connaît. Mais au moins, on sait maintenant que Lanssana n’est pas lié à l’affaire, mais on le garde à l’oeil quand même.

Machinalement, je regardais par la fenêtre et c’est là que je le vis. Le type à l'œil de verre.

En train de nous observer de l’autre côté de la rue. Il était affublé d’un sweat à capuche, qu’il avait relevé sur sa tête.

Je fis semblant de ne pas l'avoir remarqué et du bout des lèvres, j’informais mon coéquipier de la situation. Dawilé comprit aussitôt et sans regarder par la fenêtre, me glissa l’argent de l’addition sous la table avant de se lever aussitôt pour sortir du fast-food. Je le suivis immédiatement, après avoir déposé sur les billets de banque sur la table et averti un des serveurs que nous devions partir en urgence.

Dawilé avait d'ores et déjà pris en chasse notre suspect en piquant un sprint et j’en fis de même. Notre suspect en fuite semblait être un adepte du Parkour, sautant d’un bâtiment à l’autre, comme porté sur des ressorts. Nous le suivions de près, à nos risques et périls. Mais nous étions cependant si déterminés à lui mettre la main dessus que ça valait le coup de se casser une jambe si nécessaire.

Soudain, il sauta du haut d'un immeuble, pour retomber miraculeusement sur ses jambes trois mètres plus loin sur une terrasse privée, avant de nous fausser compagnie.

  • Je ne suis pas suicidaire, rassure-toi, me dit Dawilé en tentant de reprendre son souffle. On doit immédiatement avertir Gassoba et le poste pour circonscrire le périmètre ! Je te raccompagne tout de suite chez toi.

Une fois arrivés devant la porte de mon appartement, nous remarquions que celle-ci était entrouverte.

Dawilé me fit signe de le laisser passer d’abord et il ouvrit prudemment la porte, tout en allumant l’interrupteur de la lampe du séjour, qui se trouvait à proximité.

Un spectacle de désolation nous frappa aussitôt. On aurait dit qu’un tremblement de terre avait dévasté mon appartement. Tout était sans dessus-dessous. Mon canapé était lacéré comme si un ours s’en était chargé. Mes meubles étaient renversés par terre, ainsi que mes étagères, leur contenu et celui des placards de ma cuisine. Les photos encadrées sous verre où je me trouvais avec ma mère n'avaient pas reçu de dommages, fort heureusement.

Dawilé vérifia les deux autres pièces de l’appartement, dont ma chambre. En comparaison, le séjour était en meilleur état.

Les draps et le matelas qui composaient mon lit étaient déchirés par endroits. Les tiroirs de ma coiffeuse étaient par terre ainsi que mes effets personnels; la porte de mon placard était fracassée et laissait entrevoir mes vêtements dans un piteux état.

  • Akawo, regarde.

Il se dirigea vers le lit et c’est seulement à cet instant que j'y vis posé l’agenda ouvert de Tamara. Plusieurs pages manquaient et sur celle qui marquait la date d’aujourd’hui était inscrit un message, en lettres capitales rouge sang.

JE T’AVAIS DIT DE NE PAS INSISTER. TAMARA.

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