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J'avais pris un léger retard ce matin, raison pour laquelle j'avais demandé au Lieutenant Koma de me devancer sur la scène de crime. Un corps avait été retrouvé sur la plage d'Arobo et d'après ce que m'avait dit Koma au téléphone, ce n'était pas très beau à voir.

Je garai ma voiture de service près des autres, déjà stationnées non loin. J'arrêtai ensuite le contact et mis le frein à main. Je saisis mon grand gobelet en plastique rempli d'un café bien noir avant d'y balancer un comprimé de paracétamol effervescent. Une migraine horrible me comprimait le cerveau depuis la veille. J'espérais sincèrement que ce que j'étais en train de boire - avec un visage crispé - allait me soulager à court terme.

Je m'essuyai les lèvres puis sortis de la voiture, en claquant bruyamment la portière. Je jetai le gobelet dans une benne à ordures non loin avant de me diriger vers les falaises escarpées de la Corniche Est d'Arobo.

Malgré le temps ensoleillé, un froid mordant se faisait particulièrement ressentir aujourd'hui. Le climat en ce début d'année allait s'avérer particulièrement rude selon les métérologues. Comme pour confirmer cette prévision, un vent humide se leva, ce qui m'obligea à réajuster le col de mon uniforme noir de police.

Celui-ci, comme tous les uniformes de notre police nationale, était composé d'une chemise noire légèrement déboutonnée pour laisser entrevoir une infime partie de la brassière blanche au-dessous, avec les manches relevées jusqu'au coude. Ma plaque de police comportant mon numéro de matricule était accrochée sur la poche avant de ma chemise. Et pour finir, un pantalon noir assorti, des bottes militaires ainsi qu'un béret rouge vissé sur ma longue chevelure attachée en chignon bas, complétaient l'ensemble

Des policiers, dont l'un d'eux qui tenait un appareil professionnel avec un objectif long comme mon avant-bras, s'activaient sur un côté de la falaise. J'aperçus de petites pancartes jaunes qui indiquaient des indices trouvés sur place et un adjudant m'informa qu'il s'agissait en réalité de traces de sang et du contenu du sac de la victime probalement.

J'arpentais prudemment un chemin balisé le long de la falaise afin d'accéder ensuite et directement à la plage en contrebas, où grouillaient des éléments de notre poste de police. Une fois sur la plage, j'aperçus de loin mon coéquipier Dawilé Koma.

Je me sentis soudain nauséeuse, tandis que je me rapprochai du corps et de notre équipe.

Dawilé vint à ma rencontre, avec son bic et un bloc-notes qu'il semblait avoir en permanence dans la main.

  • Bonjour, Capitaine Mensah, me salua-t-il avec un léger sourire.

Dans la vie privée, étant donné que nous étions les meilleurs amis du monde, on s'appelait naturellement par nos prénoms. Par-contre, dans le cadre professionnel, on avait décidé de garder une belle amitié, mais en tenant compte de nos grades respectifs.

  • Bonjour, Lieutenant. Encore désolée pour le retard de ce matin, je ne me sentais pas très bien, mais ça va aller.
  • Tu es sûre ? me demanda-t-il en me dévisageant avec son regard d'aigle et ses yeux magnifiques.

Il était pas mal. Pas mal du tout. Mais j'avais su ne pas tomber sous son charme fort heureusement depuis qu'on se connaissait, et cela remontait à l'Ecole de Police.

  • Oui, un mal de tête et un mauvais oreiller, le rassurai-je avec un pâle sourire. Ok, qu'est-ce qu'on a?

Je m'approchai et vis le corps sans vie d'une jeune femme très amoché. Je faillis défaillir lorsque je reconnus le visage de la victime.

C'est pas vrai...

Dawilé dut ressentir mon malaise car il me murmura, l'air inquiet:

  • Akawo, tu vas bien ?
  • Oui... Enfin, non. Je... je connais la victime.
  • Quoi ?

Je regardai mon coéquipier dans les yeux.

  • Il s'agit bien de Tamara Owonko, n'est-ce pas ?

Dawilé eut l'air légèrement surpris avant d'acquiescer lentement.

  • C'était une amie à toi ? me demanda-t-il.
  • Bien plus que ça, répondis-je dans un soupir, tout en allant m'accroupir auprès du corps de celle qui a été ma seule amie depuis toute ces années. Elle... elle était comme une soeur pour moi. Mais... qu'est-ce qui a bien pu se passer ?

Elle portait encore son tailleur en wax avec des motifs imprimés rouges et or et elle chaussait encore un de ses escarpins noirs sur son pied droit. Ses cheveux tressés et une partie de son visage tuméfié étaient couverts de sable. Je fermai mes yeux une seconde avant de les rouvrir. Il ne s'agissait malheureusement pas d'un cauchemar. Le corps autrefois si plein de vie de mon amie était toujours là, aussi inerte qu'une marionnette désarticulée.

Mes yeux s'embuèrent de larmes et je les clignais plusieurs fois en regardant de l'autre côté pour me donner bonne figure.

Dawilé me fixa d'un drôle d'air avant de reporter son regard sur ses notes.

  • Bien. On a pu identifier la victime grâce à ses papiers et à son téléphone portable qui se trouvaient dans son sac à main. Il semblerait qu'elle soit venue ici à pied ou avec un taxi car on a relevé des traces de roues en haut, sur la falaise. La victime a été retrouvée ce matin vers 6h15 par des jeunes du quartier qui faisaient leur jogging. Nos hommes continuent à ratisser le secteur, mais je peux d'ores et déjà affirmer que le tueur a dû agir de manière impulsive.
  • Tu penses à un crime passionnel ?
  • Probalement. En tout cas, elle ne s'attendait sûrement pas à être défigurée de cette manière.

Je portai mon regard à nouveau vers le corps de Tamara. Elle portait une de ses paires de boucles d'oreilles préférées en cristal. Mais son bijou fétiche ne se trouvait étrangement pas autour de son cou.

  • Lorsqu'on l'a retrouvé, elle ne portait pas un pendentif ? Un pendentif avec une améthyste ?
  • Pas à ma connaissance, répondit Dawilé en jetant un oeil dans son bloc-notes. Les premières photos prises par nos unités juste après la découverte du cadavre montrent qu'elle ne portait rien autour du cou, comme présentement. Pourquoi ?
  • Elle l'avait toujours sur elle. Ce pendentif. C'est pour cela que ça m'a intrigué qu'elle ne l'ait pas porté ici. Il se peut que le tueur l'ait emporté, ajoutais-je en regardant Dawilé.
  • D'accord, je note ça, dit-il en griffonnant sur son bloc-notes.

Le médecin légiste, qui collaborait avec nous depuis une dizaine d'années sur nos enquêtes était le Dr Cissé Wassy. Il s'approcha tout en s'excusant brièvement de son retard.

  • Capitaine, Lieutenant, désolée pour le retard, j'ai été averti seulement il y a une heure.
  • Je sais ce que c'est, déclarai-je sur un ton légèrement sarcastique malgré la situation actuelle.

Il prit le temps de mettre sa combinaison et ses gants, avant de s'accroupir pour mieux examiner le visage et le corps de Tamara, que j'avais de plus en plus de mal à regarder. Ma nausée sembla augmenter d'un cran.

Wassy leva les yeux vers la falaise avant de reporter son regard sur le corps.

  • A-t-on retrouvé des indices là-haut ? nous demanda-t-il.
  • Des traces de roues et du sang, répondit Dawilé.
  • Bon, reprit Wassy. Mais à première vue, je peux affirmer que la victime a été brutalement passée à tabac. Il se peut qu'elle ait ensuite été jetée du haut de la falaise. Mais je dois d'abord monter là-haut prélever des échantillons et faire une autopsie du corps pour pouvoir vous donner du concret, les gars. Il se peut peut même que la scène de crime initiale se trouve sur la falaise.
  • Et à quelle heure peut-on estimer la mort ? demandais-je d'une voix sourde.
  • La température du foie indique qu'elle a été tuée entre 1 heure et 3 heures du matin. Encore une fois, je dois l'examiner de plus près avant de pouvoir affirmer quoi que ce soit.
  • Très bien, merci Wassy, lui dis-je avec une voix cassée, tandis que son adjoint couvrit subitement le corps de Tamara avec un drap blanc.

Les médecins légistes la transportèrent ensuite jusqu'à leur mini-van de service stationné non loin. Le photographe de la police scientifique prenait les dernières prises de vues.

Je sentis la main de mon coéquipier me presser doucement l'épaule.

  • Akawo, me murmura-t-il, je comprendrai si tu veux prendre un moment... pour... Je ne sais pas si tu seras en mesure de mener cette enquête et...
  • Je vais bien, Dawilé. Je vais bien.

Il me regarda sans mot dire et je me rendis compte un peu tard que le ton de ma voix commençait à être quelque peu désagrable.

  • Excuse-moi. Dès qu'on sera rentrés au poste, j'informerai Gassoba de la situation, à savoir que je connaissais Tamara. Ok ?
  • Ok. Je l'espère pour toi, car ce serait dommage qu'il te retire de cette enquête s'il l'apprenait d'une autre source.

Une fois dans ma voiture, je me rappelai que j'avais omis un détail important tandis que je remettai le contact.

  • Dawilé, la famille de Tamara a-t-elle été prévenue ?
  • Pas encore.

Il mit sa ceinture de sécurité avant de reprendre :

  • Gassoba nous avait ordonné d'inspecter la scène de crime en premier lieu.
  • Sais-tu qui est le père de Tamara ?

Intrigué, il me fit non de la tête.

  • Son père est Madou Owonko, l'un des chefs d'entreprise les plus influents du continent. Il a créé il y a une vingtaine d'années un empire agro-alimentaire, spécialisé dans la confiserie traditionnelle africaine et classé parmi les meilleurs au monde.

Dawilé sembla comprendre où je voulais en venir.

  • Tu penses que la mort de Tamara est liée à la fortune familiale ou au boulot du père ?
  • C'est une possibilité à explorer.

Je démarrai la voiture.

  • Avant que leur famille ne l'apprenne par les médias, on a intérêt à leur annoncer nous-mêmes la mauvaise nouvelle. Je les connais bien et je sais que ça va les anéantir.

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