Je suis morte cette nuit là

Nuit de Printemps 1466.
J’ai pour habitude de me retrouver seule lorsque l’Obscurité tombe, vaquant à mes occupations, me fondant dans la masse, n’étant qu’une Ombre furtive. Auch m’est encore assez inconnue, les bas-fonds de la ville n’ont pas été traversés de part et d’autre, n’y mettant les pieds que la Nuit, faisant bonne figure la journée. Après tout, qui se douterait à me voir ainsi que je comble les insomnies par du sang ou de l’argent.
Errant, cette nuit encore, je reste aux aguets au moindre bruit et le pas léger je passe de ruelle en ruelle. L’Esprit est ailleurs. Soirée animée par l’alcool, et une scène Piastrenne.
Sans avoir le temps de m’en rendre compte, je me retrouve rapidement coincée contre le mur où je prends un coup de tête. Mon nez explose et je perds connaissance. Coup sûr. Coup dur. Vulnérable et alcoolisée, je n’ai le temps de sortir la dague pour me défendre comme il se devrait. Je sens qu’on me traîne par les pieds, je suis « groggy », incapable de résister, mais je commence tout de même à me débattre, à lancer des jurons en ma langue natale, incompréhensible à quiconque. Il ne sert à rien de crier. Ici, les cris sont courants même lorsque la Lune éclaire, et peu sont alertés de ce qu’il se passe. Cela ne sert à rien, alors je continue à maudire le malotru qui ose s’en prendre à moi.

- Attends que j’me relève, et j’te fais ton compte, goujat !
- T’aurais déjà du mieux te défendre. Tu avais la garde baissée la Blanche.

Je prends alors de grandes claques dans la figure, des coups de pieds et de poings pour me faire taire. La saleté. Il ose s’en prendre à moi, ce qui me met alors dans une rage folle.

Règle numéro une : On ne me touche pas.Pourtant j’entends l’homme rire de me voir me débattre. Je ne parviens à l’atteindre qu’une fois, ce qui double sa haine à lui, et ce n’est qu’en levant les yeux sur lui, croisant son regard lugubre que je comprends. La nuit va être très longue, tout mon esprit est tendu vers le seul but de me sortir de là le moins amochée possible. Il faut que je réfléchisse vite, que je prenne les bonnes décisions.
Encore sonnée par les coups, je continue de le maudire et de lui promettre vengeance, ce qui accroît la fureur de mon agresseur qui me frappe à nouveau et me porte la main au cou, serrant si fort que l’air me manque. Me maintenant ainsi afin de garder ce pouvoir sur moi, il arrache de sa main libre la cape, et déchire le décolleté de la robe et jette plus loin ma lame, avant de remonter le tissu en haut de la cuisse.

Et merde.Y aurait-il alors une justice pour le bien ou le mal que nous faisons ? Peinant à prendre la respiration, je n’ai force de me débattre, ayant jusque-là trop gesticulé. Le temps me paraît long, et chaque mot que je pense finalement crier n’est que chuchoter. Le badaud me tripote, visiblement heureux de sa prise du soir. Les doigts courent sur ma peau, avant de venir trouver l’intimité, lui affichant un sale sourire.
Azurs paniqués, me voilà pour la première fois terrorisée imaginant la tournure que prendraient les choses. Il en est hors de question, alors je tente de me relever, et il projette ma tête contre le mur de la bâtisse contre laquelle nous nous trouvons. L’enflure. Est-il de ceux que j’ai pillés et qui vient à se venger, voulant me faire peur ?
Ses intentions semblent être autres lorsque de sa main libre, il insère ses doigts sales à l’endroit qui est interdit. Je suis épuisée, je n’ai plus d’idées, et surtout pour la première fois, j’ai peur. Je m’absente, il ne reste que mon enveloppe. Je ne suis plus là, je n’existe plus. Je ne sens pas son souffle. Je n’entends pas sa voix. Il ne m’arrive rien. Je suis en mille morceaux. Et pourtant chaque parcelle de mon corps me brûle sous les caresses malsaines et les vas et viens de l’homme qui y trouve son compte.
Il finit par râler de plaisir, et comme si je n’étais pas assez salie jusque-là, il déverse sa semence sur mes cuisses et le tissu. Un haut le cœur me prend lorsqu’il se retire. Tête tournée, je vomis la haine et le dégoût. Lui, rieur, se relève me laissant là comme un pantin désarticulé et amoché, le visage tuméfié et ensanglanté. Disparaissant comme il est apparu, je peine à me relever et récupérer mes biens.

Faible.Pour la première fois de mon existence, j’ai été faible et n’ai su réagir. Si je quittais la taverne avec l’apparence bourgeoise, me voilà au lever du soleil comme une pouilleuse, sale, habits déchirés et ne ressemblant plus à rien.
Je ne parviens pas à m'expliquer les longues heures de la nuit, l'Avocate ne comprends pas non plus.. Ne comprends toujours pas ce qui s’est passé, ou ne souhaite plutôt le reconnaître.
Je parcours la ville en boitant, le corps douloureux dans son entièreté.
Je ne suis pas à ma place et mon corps me fait mal. Personne ne réagit, alors que j’en ai croisé, des visages.

Le nez cassé.
La mâchoire fracturée.
Des ecchymoses partout.
Je suis en bouillie.

Ça me met en colère ces fractures, ces traces, ces marques, il n’avait pas le droit de laisser des empreintes que je peux voir, que les autres peuvent voir, des empreintes qui disent que j’ai été violée.
Je suis morte cette nuit-là. Il a tué le peu d’estime que je pouvais avoir de l’être humain. Le peu de tendresse qu’il y avait en moi.
Je choisis finalement de me laisser glisser contre le mur de la taverne municipale, tentant à trouver réconfort dans l’alcool. Regard perdu dans le vide, j'essaie encore de comprendre. Pourquoi. Comment. Qui.
Si je tuais, et voulais tuer. Cette nuit-là, j’ai souhaité ma propre mort.

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1. YulhiaChapitre0 message
2. PiastreChapitre0 message

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