Transmission

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J’ai toujours été une bonne chasseuse.

Meilleure que mes frères.

Plus rapide. Plus silencieuse.

Mais cette vie ne me suffisait pas.

Je voulais faire des études et aller vivre en ville.

Notre campagne était trop arriérée pour moi.

Je voulais m’intéresser à la politique de notre gouvernement.

Après des années de guerre entre clans, un gouvernement stable avait enfin réussi à prendre le pouvoir et à faire courber l’échine de ceux qui se croyaient tout permis et au-dessus des lois.

« Je veux faire des études. »

La phrase est sortie toute seule durant le repas.

« Tu sais déjà lire, écrire et compter, c’est bien suffisant pour notre vie. »

« Mais je veux savoir plus choses. Je veux comprendre comment le monde fonctionne. »

« On n’a pas assez d’argent pour. Si quelqu’un doit faire des études dans cette famille ce sera l’un de tes frères. »

« Pourquoi ? »

« Parce que c’est nous l’avenir de la famille. De toute façon les études ça sert à rien, on s’en sort très bien sans, m’a répondu un de mes frères. »

« Il a raison, toi tu es une fille, a continué ma mère. On doit d’abord privilégier tes frères. Tu veux qu’on t’envoie faire des études alors qu’on n’a même pas de quoi te faire une dot. Une fois que tu quitteras définitivement la maison, ça nous fera une bouche en moins à nourrir. »

« Mais, je suis meilleure que mes frères. »

Ma mère s’est arrêtée de manger et ces derniers ont grogné leur mécontentement.

« Je cours plus vite qu’eux, je suis toujours la meilleure à la chasse, je comprends plus vite et mieux qu’eux, je sais lire, je sais écrire et compter alors qu’ils savent à peine écrire leur prénom. Maman, s’il-te plaît, je ne veux pas de cette vie. »

Le bruit de la gifle avait fini de résonner que je n’avais toujours pas compris ce qu’il venait de se passer.

Des larmes plein les yeux et la main sur la joue, je l’ai regardé les yeux écarquillés d’incompréhension.

« Tu es une fille, apprends où est ta place, m’a dit ma mère la main toujours en l’air. À la maison à t’occuper de la cuisine et des enfants. »

Après ça, j’ai quitté la table en courant, pressée de m’éloigner de cette maison.

Je ne suis rentrée que très tard le soir. Mon père m’attendait sur sa chaise en bois devant la cheminée.

Il n’était pas si âgé que ça, mais les travaux dans les champs l’avaient vieilli avant l’heure, tout comme ma mère.

Je me suis approché de lui, prête à défendre ma cause bec et ongles ; mais avant de n’avoir ne serait-ce qu’ouvert la bouche, il a posé ses mains abimées et à la forte poigne sur mes épaules.

« Mon unique fille fera des études. »

« Mais, ai-je bégayé, et mes frères. »

« Il ne sert à rien d’investir dans un champ infertile. »

Je ne remercierais jamais assez mon père de m’avoir offert cette chance unique d’aller étudier.

Ils se sont beaucoup disputés, ma mère et lui, mais sa décision était prise et il est resté inflexible là-dessus.

Plus tard, après que je sois devenue professeure, que des années se soient écoulées et que mes parents soient morts ; je me suis mis en tête de traduire la devise familiale.

Écrite en une langue ancienne et sur toutes les tombes que j’ai pu retrouver des femmes de ma famille, je m’étais toujours interrogé sur son sens et son histoire.

Je n’ai pas encore pu remonter à l’origine de cette phrase qui va sans doute de pair avec la tradition que nous avons de déposer une branche de bourgeon de cerisier sur nos mortes.

J’ai seulement pu la traduire :

« L’espoir est le plus grand des fardeaux, aussi fragile qu’un bourgeon. »

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