Souvenirs

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J’ai toujours su que les mots pouvaient faire du mal mais pas qu’ils pouvaient tuer.

Je l’ai découvert le jour où mon père a poussé ma mère à se pendre.

Parce qu’elle n’avait pas su accomplir son devoir et avait encore accouché d’une fille.

Encore un enfant mort né.

Je suis la première à l’avoir trouvée, à avoir crié en pleurant pour de l’aide.

A son enterrement, un jour de pluie, il n’y avait que moi, ma petite sœur, ma tante et quelques serviteurs qui l’appréciaient assez pour lui rendre un dernier hommage et l’enterrer.

Je me souviens encore de la terre molle et humide qui me rentrait sous les ongles lorsque j’ai grattée avec mes mains pour creuser.

De la pluie qui coulait sur mon visage.

De la sueur due à l’effort qui dégoulinait dans mes yeux et mon dos.

Du visage de ma mère.

Des larmes de ma sœur.

Des lamentations des serviteurs.

Des paroles de ma tante.

Plus tard, du visage de mon père lors de notre retour à la maison. Plein de dégoût à notre encontre, de ses yeux haineux, de sa voix hautaine et de ses mots aussi horribles que son âme.

Après ça, je n’ai plus été capable de parler.

Après ça, ma sœur et moi n’avons plus étés considérées comme les filles du seigneur mais comme de simples servantes.

Ma sœur est tombée malade. Gravement malade.

Mais on ne fait pas venir un médecin pour une servante.

La tristesse sans doute, elle était trop jeune et trop seule dans ce monde d’hommes pour avoir envie de se battre.

Je l’ai enterrée l’hiver de la mort de ma mère.

Une fois encore, je me souviens.

Du froid.

Des premiers flocons qui tombaient.

De la buée qui sortait de ma bouche.

De la terre dure qu’il fallait pourtant creuser.

Du sang sur mes mains parce que mes ongles s’étaient arrachés contre le sol.

Des larmes qui ne coulaient pas sur mes joues.

Des paroles de ma tante.

Plus tard, le printemps est arrivé, avec lui un air de renouveau et une douceur nouvelle. Après lui, l’été. Puis l’automne et enfin l’hiver.

Ainsi le temps est passé et les années se sont écoulées, douces et aigres à la fois.

Je m’échappais ainsi, au printemps, je courais dans les bois écouter le son du vent dans le feuillage des arbres et des ruisseaux qui coulent.

En été, je grimpais dans les arbres et rampais dans les hautes herbes pour entendre le bruit des insectes.

À l’automne, j’allais sur le point le plus haut de la région pour sentir le vent souffler contre moi.

En hiver, je me promenais pour observer la nature endormie et parfois, je pouvais même apercevoir quelques animaux.

Je ne ressentais pas ce besoin d’être avec les autres, mon silence me suffisait et le bruit de la nature m’accompagnait.

Quoiqu’on puisse en dire, je n’étais jamais seule.

Puis un jour, tout a de nouveau basculé comme des années plus tôt.

Mon père avait besoin de forger une alliance avec un puissant seigneur voisin, n’ayant eu que des fils de sa seconde épouse, il se souvenait soudainement de mon existence.

Le mariage fut arrangé et dès le mois suivant la date fut scellée.

Peut importe que je ne parle pas.

Peut importe que je sois ignorante.

Peut importe que je ne sache pas tenir mon rang.

Peut importe que je ne sache pas tenir mon rôle.

Peut importe mon avis.

Ma tante, s’occupa de mon éducation avant et après mon mariage.

Toujours avec patience et douceur.

Elle était un modèle pour moi.

Jamais je ne l’avais vu se plaindre ou pleurer. Elle me semblait aussi solide qu’une montagne.

Pourtant, ma tante, comme toutes les autres, était une femme ; une femme faible.

La maladie finit par l’emporter.

Néanmoins, elle eut le temps de me transmettre un cadeau, quelque chose que lui avait appris sa grand-mère.

À son enterrement, je me souviens du monde qui était présent.

De mon mari, plus gentil que ce que j’aurai cru et de la chaleur de sa main.

De l’absence de mon père.

De l’odeur du printemps qui régnait dans l’air.

De la vie qui bougeait en moi.

De cette libération dans mon cœur.

Des paroles que j’ai prononcées.

«L'espoir est le plus grand des fardeaux, aussi fragile qu'un bourgeon.»

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