Fuite

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Il faut fuir.

Il faut courir.

Il faut se cacher.

C’est la guerre.

Tout le pays est touché.

Tous les pays sont touchés.

Une maladie véreuse et vénéneuse c’est emparé de nos dirigeants : la folie.

Ҫa ne peut être que ça. Pourquoi sinon serions pourchassés et massacrés ?

Il existait des tensions depuis plusieurs semaines, mais je ne m’en étais pas rendu compte.

Peut-être aurais-je du faire plus attention.

Plus attention à la voix de ma mère.

Plus attention aux gestes de mon père.

Plus attention à leurs disputes, à leurs cris.

Seulement quand on a neuf ans, on ne fait pas attention à ce genre de chose.

Quand on a neuf ans, on essaye de faire plaisir à ses parents en étant un bon garçon, en étant polie, en obéissant à la maîtresse et en faisant ses devoirs.

J’ai arrêté d’avoir neuf ans cette nuit.

Quand ils sont venus en défonçant la porte en hurlant des choses que je ne comprenais pas.

Maman m’a dit de fuir.

Papa ma dit de fuir.

Je me suis enfui.

J’ai froid, il pleut et j’ai peur.

J’entends leurs chiens.

J’entends leurs pas.

Soudain, une voix et je pense que c’est la fin.

Que comme papa et maman, je vais finir au sol, sans bouger, sans respirer, sans chaleur et avec un regard de poisson mort : sans vie.

« Qu’est-ce que tu fais par terre ? Dépêche-toi et bouge ou ils vont nous rattraper ! »

Une main me relève de force.

C’est une fille.

Plus âgée que moi mais pas de beaucoup : toujours une enfant.

« Tu veux vivre non ? Alors court ! »

Elle m’entraîne avec elle et je fais de mon mieux pour pouvoir la suivre avec mes petites jambes.

J’ai l’impression de courir pendant des heures, mes poumons me brûlent et mes jambes menacent de me lâcher.

Je ne dis rien parce que je sais, je sais à son regard qu’elle n’acceptera pas cette faiblesse de ma part.

Nous finissons par arriver devant une ferme abandonnée. Aucune lumière, aucun animal ; seulement le bruit du vent et de la pluie.

Elle s’avance vers une trappe menant à un sous-sol. Je lui emboite le pas et nous descendons.

Une douce chaleur m’enveloppe, des adultes sont assis autour d’une table en train de parler de quelque chose : ils sont tendus.

Une femme m’apporte de quoi manger et me réchauffer. Je finis par m’endormir.

Les voix me réveillent.

J’aurais aimé que tout cela ne soit qu’un cauchemar.

Qu’un mauvais rêve qu’on oublie au matin.

Mais c’est tellement plus que ça.

Je les ai rejoints.

Pas parce que je n’avais plus d’endroit où aller.

Ils étaient prêts à me faire passer la frontière : ils avaient l’habitude.

Pas parce que je n’avais plus de famille.

Mais parce que je n’avais plus neuf ans.

Parce que je voulais agir.

Comme elle.

Elle qui avait tout perdu, bien qu’elle ne soit pas comme moi.

Ses parents avaient eu des valeurs qui ne plaisaient pas.

Un accident est si vite arrivé.

Avec elle, j’ai lutté, j’ai organisé, j’ai tué et j’ai sauvé.

Elle dirigeait tous les enfants qui entraient dans nos rangs.

Ces enfants qui n’en étaient plus ; ces enfants avec un regard trop dur pour leur âge.

Les autres, les adultes, étaient contre ; mais on ne se méfie jamais des enfants.

Le temps est passé, nous avons gagné et nous avons perdu.

Difficile dans une guerre de savoir qui est le vrai vainqueur et qui est le vrai perdant.

Comme dans un sablier, le temps qui nous était imparti sur cette Terre vient peu à peu à son terme.

Ma grande amie est morte et la famille m’a invitée à ses funérailles.

Un dernier hommage, un dernier adieu a celle qui m’a sauvée à une période sombre de notre Histoire.

Tout de noire vêtue, c’est sa petite fille, une historienne reconnue malgré sa jeunesse, qui avant la mise en bière, dépose sur le corps de sa grand-mère une branche de cerisier en fleur.

Au même moment, un murmure s’élève de toutes les femmes de la famille.

« L’espoir est le plus grand des fardeaux, aussi fragile qu’un bourgeon. »

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