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«Laissez-moi sortir !»

Ces mots ont durement raisonné en moi. C'était comme si je les vivais, les ressentais à travers chaque fibre de mon corps, endurais leur souffrance.

Une souffrance innommable.

On venait d'enfermer la chair de ma chair, la deuxième partie de moi qui existait sur cette Terre : ma sœur jumelle.

Du plus loin que je me souviens, elle et moi avons toujours été ensemble, nous avons toujours tout fait sans que personne ne vienne se mettre en travers de notre chemin.

Pourtant, ce jour était celui de notre séparation.

Bien que je m'y sois préparé, voir le carrosse partir avec elle dedans, me broya le cœur.

Dans un élan que je ne contrôlais pas, je me mis à courir derrière celui-ci dans l'espoir fou de pouvoir tout arrêter.

Trop tard. Ma moitié dans ce monde venait de sortir de ma vie, le jour de nos quatorze ans.

Depuis, le temps a passé et tout comme mon père l'avait un jour appris du sien, il m'a enseigné comment diriger, protéger et faire prospérer nos affaires.

Cependant, le vide qui existait dans mon cœur ne se referma jamais totalement et cela, même après que plusieurs décennies se soient écoulées.

C'est vers la fin de ma vie que les souvenirs de cette époque me sont revenus.

Cette discussion avait eu lieu pendant un entraînement au tir à l'arc :

«Père m'a dit qu'il m'avait trouvé un époux, m'annonça-t-elle soudainement. »

« Vraiment, lui demandais-je surpris. »

« Seulement, je n'ai pas envie de me marier. »

« Tu devrais au contraire être honorée de pouvoir épouser le prétendant que père t'a choisi. C'est sûrement un très bon parti. »

« Il existe plus de bons partis que de bons maris chez les nobles. »

« Père est un bon mari, la contredis-je aussitôt. »

« Il est vrai que père ne nous fait pas l'affront d'amener sa maîtresse à table, dit-elle sarcastique en touchant le centre de sa cible. »

« Mère possède autant de robe et de bijoux qu'une femme peut l'espérer ! »

« Mère vit prisonnière d'une cage dorée ! »

« Tu racontes vraiment n'importe quoi ! »

« J'avais espoir, que toi qui es ma moitié sur cette Terre et dans les cieux, toi qui es mon frère, tu me comprennes. Je ne veux pas vivre comme mère, enfermée dans le luxe et entourée de serviteurs. Je veux pouvoir aller et venir à ma guise ! Pouvoir chasser à l'arc et parcourir la forêt au galop sur ma jument des journées entières ! Je veux être aussi libre que le vent ! Je veux être aussi libre que toi ! »

Après cela, devant mon air étonné, les yeux remplis de tristesse et de rage, elle tourna les talons, ignorant mes appels demandant des explications.

Nous qui étions une seule et même âme séparée en deux, n'étions-nous pas aussi libre l'un que l'autre ?

Ce fut ma première et dernière dispute avec ma sœur, elle partit peu de temps après et jamais je ne la revis.

Quelques mois plus tard, son corps nous était revenu. Reniée par son mari qui l'avait battue à mort ; tellement qu'elle n'était plus qu'une poupée de chiffons sanguinolente.

Sur son bûcher funéraire, ma mère déposa entre ses mains une branche de bourgeons de cerisiers dont quelques-uns venaient à peine de fleurir.

Doucement, si doucement que je fus le seul à l’entendre, elle murmura :

« L'espoir est le plus grand des fardeaux, aussi fragile qu'un bourgeon.»

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