L'entretien, 2ème partie

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« Qu’est-ce que c’est que ça ?
— Ça, c’est votre kit personnel. Bienvenue au Club, Pierre ! »

Il avait devant lui une boîte blanche de taille moyenne solidement fermée par un lien en plastique. Il la retourna pour chercher un moyen de l’ouvrir mais Maxime interrompit son geste :

« Vous l’ouvrirez chez vous, quand vous serez prêt.
— Qu’est-ce qu’il y a dedans ?
— Ce qu’il y a dans la boîte c’est ce que nous appelons le composé. C’est un produit très complexe élaboré à partir de plus de cent-cinquante substances que nous sommes les seuls à utiliser. Elles sont notre découverte, notre secret ! dit-il avec emphase.
— Un produit ? répondit-il plus décontenancé qu’impressionné.
— Oui, que vous prendrez chez vous quand vous serez prêt. Tout est expliqué dans la boîte.
— Votre soi-disant méthode de transformation c’est une sorte de potion magique ?
— Pas vraiment. Connaissez-vous Arthur C. Clarke ?
— Comme tout le monde, pourquoi ?
— Il a dit que toute technologie suffisamment avancée ressemble à de la magie. C’est ce que nous faisons. »

Il fixa Maxime abasourdi, espérant une explication plus rationnelle qui ne venait pas, alors que ce dernier continuait à lui sourire avec son irritante bonhomie.

« Le composé dans votre kit a été synthétisé selon une formule unique basée sur vos réponses. Au bout de quelques prises il va…
— Quelques prises ? Combien ? Vous croyez vraiment que je vais avaler ce truc ?
— La personne qui vous a parlé de nous avait de bonnes raisons de le croire, sinon vous ne seriez pas ici, n’est-ce pas ?
— Peut-être, mais si j’avais su vos méthodes je ne serais certainement pas venu !
— Et vous seriez passé à côté d’une aventure formidable !
— Mais ce n’est pas une aventure formidable, c’est juste avaler un… un philtre !
— Ce n’est pas un philtre, il n’y a aucune magie. C’est une méthode qui vous permet de vous mettre en phase avec la personne idéale. Quand vous la rencontrerez, vous la reconnaîtrez tout de suite ! C’est le début d’une belle histoire… »

Après un questionnaire interminable et une présentation pas très honnête, cette méthode pseudo-scientifique à base de produit douteux était la goutte de trop. Il se demandait maintenant si Antoine ne s’était pas moqué de lui en l’inscrivant sur la liste du Club et se promit de l’interpeller plus tard. En attendant il devait mettre fin au plus vite à son rendez-vous chez ceux qu’il considérait désormais comme des charlatans, mais avant de fuir il voulait les convaincre de ne plus s’intéresser à lui. Il décida d’avancer un argument qu’il pensait imparable :

« Il y a vraiment un malentendu, je ne m’attendais pas du tout à ça. Et puis ça doit certainement coûter très cher et je n’ai pas les moyens…
— Les six premières semaines sont gratuites et…
— Il y a combien de semaines en tout ?
— Six pendant la période d’essai, après cela dépend de vous. Mais ces modalités sont expliquées dans le contrat, l’avez-vous lu ?
— Quel contrat ? Je n’ai rien signé !
— Laissez-moi vérifier… Vous avez opté pour la signature rapide…
— La quoi ?
— Lorsque vous avez installé notre application, vous aviez le choix entre signature lente ou rapide, vous avez choisi la rapide. »

Il se revoyait effectivement, pendant l’installation de l’application, valider avec son empreinte une longue série d’écrans qu’il avait pris pour des conditions d’utilisation très détaillées.

« Vous voulez dire qu’en installant votre application j’ai signé un contrat ?
— Oui Pierre, vous n’aviez pas remarqué ?
— Non…
— Pourtant, dans votre branche on doit bien avoir l’habitude de ce genre de procédure… On dit toujours que les cordonniers sont les plus mal chaussés, n’est-ce pas ?
— Admettons… »

Il fit un rapide calcul. S’il avait réellement signé un contrat, la date de signature remontait à trop longtemps pour qu’il puisse se rétracter. Il était dans ce cas réellement pris au piège. Maxime acheva de démolir son argument :

« Vous n’aurez rien à payer si vous ne dépassez pas la période d’essai. Vous allez rentrer chez vous avec votre kit. Quand vous serez prêt, vous prendrez la première prise. Nous vous enverrons ensuite cinq autres kits, un par semaine. Ça, c’est la période d’essai. À la fin nous ferons un bilan, après lequel vous serez libre de rester avec nous en vous abonnant ou de nous quitter. »

Il fit mine de réfléchir :

« Très bien je vais essayer.
— Êtes-vous bien sûr d’avoir compris cette fois ?
— Oui je prends vos kits et dans six semaines je décide de m’abonner ou pas.
— Vous vous engagez donc à prendre votre composé pendant la période d’essai ?
— Oui je le prendrai… dit-il d’un ton désinvolte qu’il regretta aussitôt.
— Attention Pierre, nous saurons si vous respectez votre engagement !
— Pardon ?
— Nous aurons un moyen de savoir si vous avez réellement pris votre produit ou si avez juste cherché à gagner du temps !
— Vous vous moquez de moi ?
— Pas du tout, nous avons juste pris toutes nos précautions pour protéger nos recherches et notre investissement…
— …
— Pouvons-nous éviter d’envisager cette situation ? Tout ce que vous avez à faire c’est de prendre votre composé pendant six semaines, après quoi vous serez libre de poursuivre l’aventure ou de nous quitter. Ce n’est pas très compliqué n’est-ce pas ?
— Pourquoi insistez-vous autant ? Qu’est-ce vous avez à y gagner ?
— Vous devez bien vous en douter un peu ? En nous rejoignant, vous vivrez LA rencontre mais vous nous aiderez aussi à faire progresser nos recherches.
— Et si je refuse ?
— Si vous refusez, ou si vous essayez de tricher, vous devrez nous dédommager pour la recherche interrompue.
— Combien ?
— Nous avons fixé l’indemnité de rupture à un mois de votre salaire.
— Vous n’avez pas le droit de faire ça !
— Personne ne vous a obligé à signer… »

Il était à court d’argument mais il essaya de plaider sa cause une dernière fois :

« Vous croyez que c’est facile de se décider comme ça ? Vous me demandez de participer à une expérience ou de vous verser un mois de salaire… Ça demande un minimum de réflexion non ?
— Bien sûr, nous ne vous demandons pas de vous décider tout de suite. Nous vous laissons un mois pour cela. Si dans un mois vous n’avez rien fait, nous ferons jouer la clause de rupture anticipée.
— Et si je me décide ?
— Vous n’aurez rien à faire, nous le saurons.
— Comment ?
— Vous le comprendrez en ouvrant la boîte… »

Maxime lui laissa un moment pour assimiler ces dispositions.

« Avez-vous d’autres questions ? Non ? Je vous propose d’en rester là, vous devez sûrement avoir envie de vous reposer. Une dernière chose, je vais vous demander de me remettre votre carte, nous vous en remettrons une autre si vous restez avec nous après la période d’essai. »

Il hocha la tête avec résignation et lui tendit sa carte. C’était fini, il n’y avait plus rien à ajouter tant le Club semblait avoir tout prévu. Il sentit d’un seul coup retomber le poids de cet après-midi interminable, et se souvint qu’il n’avait rien bu avant de rencontrer Maxime.

« Je prendrais bien un café avant de partir si c’est possible, dit-il en désignant l’armoire que l’assistante avait refermée lorsqu’il était entré.
— Hélène, appela-t-il, pouvez-vous apporter un café pour Pierre s’il vous plait ? »

Puis il ajouta, suivant le regard intrigué de Pierre sur l’armoire :

« Ça, ce n’est pas une machine à café… »

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