L'agence

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Avenue de Torenne, vendredi 4 mars.

Pierre marchait vivement le long de la contre-allée, indifférent à l’activité de ce bel après-midi ensoleillé, ne reprenant conscience de son environnement que pour éviter les obstacles. Alors qu’approchait l’heure de son rendez-vous, la moitié de lui qui voulait fuir essayait une dernière fois de le convaincre de renoncer. Cependant, son conflit intérieur diminuait alors qu’augmentaient les numéros sur les façades. Après tout, il ne voulait pas se décevoir lui-même ni même Antoine. 66, 68, 70 : c’était là.

Examinant le portail de cet immeuble haussmannien un peu en retrait, il ne fut pas vraiment étonné de ne voir aucune plaque. Seul un nom sur l’interphone confirmait l’adresse de son rendez-vous. Encore un peu hésitant, il appuya sur le bouton intitulé sobrement "Le Club" en s’attendant à devoir décliner son identité à un ou une réceptionniste. Au lieu de cela, au bout d’une vingtaine de secondes interminables, le portail s’ouvrit simplement avec un bourdonnement électrique si fort qu'il le fit sursauter.

Derrière le portail s’ouvrait un hall suivi d’une cour intérieure. De part et d’autre du hall et au fond de la cour, trois cages d’escalier fermées par une porte vitrée montaient à l’assaut de cet immeuble de six étages. La plaque en cuivre de l'agence était vissée sur la porte à sa gauche mais ne mentionnait pas l'étage. Il délaissa donc le petit ascenseur pour grimper les marches recouvertes de moquette fatiguée en scrutant les noms sur les deux portes à chaque palier.

Au 4ème, l’absence de nom à gauche et un simple "Sonnez et entrez" à droite semblaient signaler la présence de l’agence. Mais il n'y avait aucune sonnerie, pas plus que de poignée sur aucune des portes. Était-il réellement au bon endroit ? Il parcourut les deux étages restants afin d’écarter toute erreur, puis redescendit examiner la porte de plus près, mais ne vit rien qui lui aurait permis d’entrer.

Pendant qu’il restait là ne sachant que faire, la lumière de la cage d’escalier s’éteignit. Il s’apprêtait à rallumer quand une faible lueur rouge attira son attention et interrompit son geste : elle provenait d’une petite diode, à la place de la sonnerie, qui projetait une lumière en forme de croix sur le montant opposé. La porte de l’agence, aussi anodine fût-elle, ne s’ouvrait visiblement qu’avec un scanner…

De plus en plus intrigué, il commençait à comprendre pourquoi Antoine lui avait tellement vanté les méthodes uniques du Club. Il examina de nouveau la carte de visite qu’il avait reçue après que son ami l’avait inscrit : d’un côté le logo, en caractères blancs sur fond noir, sans aucune indication supplémentaire ; de l’autre côté le code barre qu’il avait scanné pour installer l’application sur son téléphone, créer son profil et obtenir un rendez-vous. Mais peut-être ce code avait-il d’autres fonctions ? Il l’approcha du scanner et, à son grand soulagement, un déclic se fit entendre et la porte s’entrouvrit. Il entra donc enfin, laissant la porte se refermer derrière lui dans un claquement sec.

Après une telle entrée en matière, il s’attendait à pénétrer dans des locaux futuristes, où une charmante secrétaire l’aurait accueilli en souriant derrière son bureau design. Au lieu de cela, il se trouvait dans un simple vestibule très sobre peint en blanc des plinthes jusqu’aux moulures et dépourvu de toute décoration, plante ou ornement. Seul le logo de l’agence, en noir sur le mur face à lui, rompait la monochromie de la pièce. De part et d’autre de l’enseigne, plusieurs portes ponctuaient cet espace bien peu accueillant pour une agence matrimoniale. Elles étaient toutes fermées sauf celle de la salle d’attente, pour l’instant vide. Il entra, pris sur la table basse une revue que bien sûr il ne lirait jamais, et alla s’asseoir sur la chaise la plus éloignée sous une photo de plage tropicale.

Ce n’est qu’une fois assis qu’il réalisa qu’il n’avait ni vu ni parlé ni même interagi d’aucune façon avec quiconque depuis son arrivée. En tendant l’oreille, il ne percevait que la rumeur diffuse de l’immeuble, sans pouvoir dire s’il y avait de l’activité à son étage. Et s’il s’était trompé de jour ou d’heure ? Mais non, c’était bien le 4 mars à 15h. Il se résolut donc à attendre qu’on vînt le chercher en tournant sans les voir les pages de la revue de sports mécaniques qu’il avait saisie machinalement.

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