Le fils du Père Noël

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J’ai vaguement l’impression que je ne suis pas seule, mais je ne parviens pas à soulever les paupières. Mes yeux me brûlent de l’intérieur, ma bouche est pâteuse. N’ai-je pas entendu la sonnerie de la porte d’entrée ? Et un bruit de clef ? Si ça se trouve, Alex est revenu chercher Melchior. Ah, le salaud ! Il va m’entendre après tout ce temps !

Je réussis à ouvrir à moitié les yeux. Mais, étrangement, ce sont mes oreilles qui fonctionnent mieux. Et les chants des petits chanteurs de Noël qui passent à la télévision m’irritent au plus haut point. Je tends ma main vers la table basse, espérant y trouver la télécommande pour leur couper le sifflet, mais c’est une paume plus fraîche que la mienne que je rencontre.

Je sursaute, à l’intérieur. Car je suis bien trop faible pour avoir ce genre de réaction.

– Amélie ?

La voix est grave. Mais ce n’est pas celle d’Alex. Elle est beaucoup plus douce à mes oreilles, et je mets quelques secondes avant de m’inquiéter. Il y a un inconnu chez moi ?

J’ouvre les yeux pour de bon et un rayon de lumière agresse mes pupilles. Je plisse les yeux et j’ai l’impression d’être dans un tunnel. Suis-je encore plus mal que ce que je croyais ? C’est quoi ce tunnel ? Je cligne des yeux et réussis enfin à voir le visage carré du brun qui me tient toujours la main. Un vêtement rouge attire mon regard. Je tente de me concentrer sur le visage qui me fait face, en vain : c’est comme si de la neige tombait devant mes yeux. Ce type, je ne le connais pas. Mon cœur s’accélère sous l’effet de la peur qui réussit à se diffuser malgré la fièvre qui diminue mes capacités.

– Qui… z’êtes ?

Je bafouille. J’ai l’impression d’être aux commandes d’un corps qui n’est pas le mien.

– Je m’appelle Laurent. C’est votre grand-mère qui m’envoie.

Je tente de réfléchir et je crois que j’arrive à aligner une ou deux pensées cohérentes. Les autres me disent juste que Laurent c’est un chouette prénom, que ça donne Lorenzo en italien, qu’il a des cheveux en bataille et une peau plutôt douce.

– Mais mamy a des infirmières.

Victoire ! Une phrase complète.

– Je suis le remplaçant de Sabine. C’est moi qui travaille le soir des deux réveillons cette année. Votre grand-mère était très inquiète et m’a demandé de passer. Elle m’a donné vos clefs.

– Moui…

Mon esprit, rassuré par son discours, semble de nouveau décidé à faire fi de la réalité. Je suis attirée par la voix des chanteurs à la télévision. Je me tourne en grognant vers l’écran mais Laurent, plus rapide que moi, attrape la télécommande et éteint. Je soupire, reconnaissante du calme qui s’installe.

Je devrais m’asseoir, lui faire face, le rassurer, et le renvoyer chez ma grand-mère, mais j’en suis incapable. Ma tête repose de nouveau sur le coussin du canapé. Je sens Laurent qui se penche vers moi. Sa main n’a pas lâché la mienne et, inexplicablement, cela me rassure. J’entends un petit bip.

– Vous avez 40,2°. Ce serait mieux d’appeler un médecin.

Je grogne, espérant lui faire comprendre que ce n’est pas la peine.

– Votre grand-mère m’a dit que vous diriez cela.

Il ne manque pas d’humour.

– Je voudrais juste m’assurer que c’est a priori la grippe, ok ? Je vais manipuler votre cou pour voir si votre nuque est souple.

– Mmmmh…

J’ai refermé les yeux. Je sens ses mains fraîches se poser autour de mon cou, ses doigts se glisser dans ma chevelure à la recherche de ma nuque. Je frissonne. Ma tête dodeline sous les pressions qu’il exerce, puis se repose de nouveau sur le coussin.

– Amélie ? Vous m’entendez ?

C’est décidé, j’adore sa voix. Je suis sûre que le Père Noël a la même : douce, grave, avec une pointe d’inquiétude… Si ça se trouve, il n’est pas du tout infirmier. Si ça se trouve, c’est le fils du Père Noël qui va déposer mes cadeaux au pied du sapin… Je l’entends reposer sa question. Il faut que je lui réponde mais je n’arrive plus à parler. J’ai comme du coton dans la bouche, dans la tête. Je voudrais juste dormir. Non, il faut que je fasse un effort…

– Mmmh, dormir…

J’ai l’impression de l’entendre sourire puis s’éloigner. Il va me laisser ? Je tends une main pour ramener mon plaid sur moi. J’ai froid. Mais il a dû glisser. Mes doigts courent le long de mon collant noir, en vain. Puis, sans que j’ai le temps de comprendre, je m’envole. Le fils du Père Noël me porte. A moins que ce ne soit un de ses lutins ? Un grand lutin alors ! Je flotte dans les airs, contre lui. Mon visage se niche dans son cou. J’atterris sur un nuage de douceur, un nuage bien plus frais que mon canapé. Des mains courent sur mes jambes, mes bras, ma peau me brûle mais je ne me débats pas. J’en suis incapable. J’ai l’impression de vivre un moment détaché du temps mais aussi de mon propre corps. Un tissu léger m’enveloppe. Ma tête roule sur le côté. Je sens un souffle contre mon oreille. Un murmure grave pénètre jusqu’à mon cerveau.

– Amélie ? Dormez. Je vais voir quelques patients mais je reviendrai dans la nuit pour m’assurer que vous allez bien. Reposez-vous…

Je voudrais le remercier mais le pays des rêves m’a déjà happée. Des Louboutins ailés s’y baladent au milieu de Père Noël bruns torse nu…

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