Ma définition

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Il a fallu que j'attende la majorité pour prendre conscience de la réalité et parvenir à mettre des mots sur moi-même. Pas la majorité intellectuelle ; celle-ci n'est qu'une abstraction, probablement absurde. Il y aura toujours des lacunes, parce que l'esprit est un cosmos ; et si la Nature déteste le vide, l'Univers, lui, les multiplie : la preuve la plus éminente en est l'existence du trou noir – quoi de plus vide que le néant, l'anti-matière ? À vrai dire, après dix-huit années d'existence – ce qu'on appelle avec prétention la majorité – je me considère toujours comme un songe. Je suis encore en train de coucher mes pensées sur une page. C'est une réalité : rien ne prend davantage de place dans ma vie que ma pensée ; c'est par elle seule que j'existe, de façon absolue. Il m'a néanmoins fallu admettre que mon existence de songe n'est rendue possible que par mon action cérébrale. Cet organe que j'ai toujours rêvé de creuser chez autrui est celui même par le biais duquel tous ces mots, toutes ces idées, tous ces fantasmes prennent leur forme. Révélation futile, me direz vous. Pas totalement. Si logiquement on n'a aucun mal à admettre que notre existence absolue n'est possible qu'au travers de notre corps, conditionnée par lui – et notre esprit n'est donc pas aussi libre qu'il le prétend – il est, pour cette raison même, beaucoup plus difficile d'accepter cette réalité bien trop peu satisfaisante. L'océan de songes où je voguais tout ce temps, ce qu'il y a de plus véritable à mes yeux, n'est qu'un large horizon insaisissable, imperceptible – pour ainsi dire inexistant. Il n'est rien de plus que mon monde intérieur, invisible et incompréhensible pour tout autre que moi. Et ce micro-cosmos qui m'habite bien davantage que moi je ne l'habite et qui n'a de réalité qu'à mes yeux ne serait rien sans les engrenages concepteurs qui s’entrechoquent au fond de mon crâne. Ces mots ne seraient que des idées muettes et stériles si nulle bouche n'avait pris la peine d'en former les syllabes. Ces lignes ne seraient pas, tout simplement, sans la main qui les trace. Aussi, après avoir vécue une longue utopie, je me vois contrainte de me redéfinir moi-même. Je suis un songe, certes, mais un songe incarné. A-t-on jamais entendu parler d'une telle chose ?

Il m'est venu à l'idée, dernièrement, que j'étais ce qu'on pourrait appeler un alien : un étranger surgi du lointain monde de son esprit – qui serait d'ailleurs plus de l'ordre d'une dimension parallèle. Je suis un être hybride, à mi-chemin entre le poète et la furie : une graine de philosophe qui tente de germer dans un esprit débile ; un amas rigide mais fragile, comme une falaise crayeuse ; un petit organisme à la fois doux et venimeux, pareil à une anémone ; qui s’imprègne et se vide tel une éponge que l'on presse mais qui toujours retrouve son contour propre ; et dont l'allure générale m'apparaît désormais comme une imposante discrétion. Au fils du temps, malgré les tempêtes qui m'ébranlent et l'évolution continue qui opère en moi, je constate que ma nature profonde demeure constante : en définitif, je suis un oxymore.

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