Nébuleuse

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Aujourd'hui, je réalise à quel point le monde qui m'entoure est complexe. Je suis assise dans un fauteuil, entourée de personnes que je ne parviens à cerner, dévorant des yeux un déroutant spectacle. Alors seulement, je réalise que c'est la vie que j'observe : la société qui devant moi entame un ballet audacieux, les masques qui passent de visage en visage et confondent mon esprit. Il y a d'un côté les propos que les gens tiennent, de l'autre la réalité qu'ils créent. Les deux ne s'accordent pas. Ça me tracasse au plus haut point.

Mon esprit s'acharne à essayer d'attribuer un sens à chacune des choses qu'il rencontre. Il le fait presque contre mon grès. Si ça ne tenait qu'à moi, je me garderais bien d'essayer de trop comprendre. J'ai tendance à penser que les choses n'ont pas vraiment besoin de sens. J'existe. Je sais que j'existe. Le monde peut bien s'effondrer autour de moi, ça ne m'ôtera pas cette conviction. Mais si j'existe, d'autre part, il serait dommage de ne pas en profiter pour entreprendre quelque interaction avec le monde environnant. Et toute interaction est vouée à l'échec si je ne puis saisir la nature de l'entité vers laquelle je m'avance. Décider de vivre en dehors du monde, ça serait une perte de temps total. Ce ne serait qu'existence, mais pas ce qu'on pourrait qualifier de vie. Néanmoins, se jeter à corps perdu dans un milieu inconnu et potentiellement hostile, c'est tout aussi raisonnable que de s'en aller au front à l'aveugle avec pour seule arme un stylo à billes.

Le fait est que, par nature, je suis déraisonnable. Une petite étincelle en moi revient toujours me piquer et me pousse au devant d'actes dont je me sentirais d'ordinaire incapable. L'instinct au fond de moi me murmure que c'est le seul et unique moyen d'avancer. Parce que vivre, c'est aspirer à plus d'opportunités, continuellement. Et, pendant que le spectacle de la vie se déploie devant mes yeux, tout ce que je désire c'est m'en délecter, sans chercher à le comprendre réellement. Pourtant, parce que je suis humaine, une part de moi ressent un besoin excessif de saisir le sens profond de tout ce qui l’entoure, se torture de questions superflue, et empêche le reste de mon être de se laisser entraîner par le tourbillon de la vie qui l'appelle.

Quand je ne comprends pas, ça a le don de m'énerver. Parce que je sais que, tant que les questionnements subsisteront en moi, je ne serai jamais libre. Alors je continue à me triturer les méninges et livre d'improbables équations pour tenter de résoudre mon énigme. Mais voilà, aujourd'hui, je réalise que la vérité n'est jamais à portée de main. Tout ce qu'on croit avoir est perpétuellement remis en cause, chaque conviction reçoit un coup de massue impitoyable et nos idéaux s'érodent avec le temps. Devant le nombre de contradictions indémêlables qui sans cesse se dressent sur ma route, je ne peux pas m'empêcher de désespérer. Je ferme les yeux et je me mets à imaginer une autre façon de concevoir le monde. Que ne donnerais-je pas pour avoir la faculté de décrypter les messages flous qui s'insinuent dans les songes de mes congénères ? La vie serait tellement plus simple si je pouvais profiter d'une vue panoramique sur un cerveau mis à nu.

Admettre que ce fantasme est écœurant me console de l'évidence selon laquelle il me serait impossible de le mettre en pratique. Je n'en demeure pas moins persuadée – et personne ne devrait me contredire – que tout serait plus simple si on connaissait d'avance le fond de la pensée d'autrui. Chaque question trouverait réponse avant même d'être posée ; les tourments qui nous habitent laisseraient la place à un flot de certitudes ; nul n'aurait plus peur de la portée de ses aveux et les non-dits qui continuellement nous hantent n'auraient plus raison de nos âmes.

Il me faut cependant me contenter du monde tel qu'il est. Complexe. Je dois me contenter d'avancer à l'aveugle, sans arme ni défense ; avec d'une part la volonté de me préparer à encaisser les coups, et d'autre part une complète ignorance de l'impact de ces derniers. Tout ça pour dire que j'ai souvent la sensation de tourner en rond, égarée dans des suites d’interrogations inépuisables. C'est moi qui suis épuisée, à force de ne pas entendre ce que tous les signes désirent me révéler.

Je ne comprends rien. Et ça ne me dérange plus vraiment. Je sais que j'existe. Mais je ne veux pas me contenter d'exister. Je veux vivre pleinement, même si c'est compliqué. Les propos que j’enchaîne pourraient donner à croire que j'ai baissé les bras. Peut-être que je l'ai fait. Mais une flamme bouillonne dans ma poitrine et ne cesse de me rappeler à l'ordre.

Aucun abattement ne me paraît définitif. Une fleur qui se fane en automne s'épanouit de nouveau au printemps. Peut-être est-elle un peu plus fragile, ou au contraire plus éclatante. Elle ne peut pas être la même d'année en année puisque le temps, infatigable, laisse irrémédiablement ses empreinte sur ses pétales. Mais elle est là, sans raison précise. Empoignez le meilleur sécateur que vous puissiez dégotter ! Jamais vous ne parviendrez à déterrer le sentiment qui s'est profondément enraciné dans mon cœur frêle.

Certains disent de l'amour qu'il est une force, d'autres qu'il s'agit d'une faiblesse. Pour ma part, ce n'est qu'une oscillation permanente, tel un wagon lancé à pleine allure sur un grand-huit infernal. Tantôt il vous fait prendre de la hauteur, tantôt il vous entraîne dans une chute vertigineuse. Dans le fond, je crois que j'aime les montagnes russes.

Ça m'a juste demandé le temps d'accepter que la vie était un petit bras de mer sur lequel notre bateau voguait à la dérive. Quelques fois, s'amène une tempête, qui déchaîne sur lui ses vagues sournoises, l'aspire dans son typhon et le recrache comme un vulgaire débris. Mais même sur un radeau de fortune, on peut connaître de doux courants. Et on se laisse porter, on ne sait où. On ne sait jamais trop où on mets les voiles, parce qu'à l'image des abysses inexplorées, la vie ne nous révèle jamais toutes ses opportunités. On ne peut que tracer notre petit bout de chemin, en attendant que la marrée ramène à nous quelques trésors, en essayant de garder la tête hors de l'eau.

Le monde qui m'entoure est complexe. Et, si je le réalise aujourd'hui, je suis pour autant prête à l'accepter comme tel. Je n'aurai jamais assez d'une vie pour explorer tout le champs des possibles. Jamais je ne pourrai espérer comprendre un millième de l'étrange nébuleuse qu'est cette réalité. Je ne puis que compter les signes, laisser aller cette lutte intérieure entre la part de moi qui cherche à les décrypter et celle qui essaye continuellement de s'en détourner. Je ne puis qu'attiser la flamme qui en moi crépite pour que résonnent encore les battements de mon cœur.

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