31/ Nouvelle prêtresse

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 Le général Kros battit vivement des paupières, abasourdi par la couardise de son soldat. Il poussa ensuite un violent soupir incontrôlé.

 — Ben quoi ? dit le lâche. C'est logique ce que je dis, nan ?

 — Logique, mais loin d'être brave, rétorqua Kros. Un vrai soldat doit toujours se battre jusqu'au bout.

 — Ouais ouais ouais... Et donc juste crever pour rien ? Moi je vous le dis, si jamais je suis encerclé par l'ennemi, sans aucune chance de m'en sortir, je me rends direct ! Vous êtes pas d'accord avec moi les gars ?

 Un semblant de compréhension apparut dans l'expression de plusieurs autres soldats de Kros, mais aucun ne pipa mot, préférant détourner le regard.

 — Sérieux ? Vous préférez mourir alors que vous auriez pu revenir plus fort après, et tout ça juste pour... l'honneur ?

 — J'en ai assez entendu, fit Kros en se détournant. J'ai toujours su que tu étais un faible d'esprit, Lo-Fan.

 — Ben voyons ! pépia Lo-Fan.

 — Incorrigible... soupira Kros, renonçant même au fait de punir Lo-Fan.

***

 Le dieu scarabée Aarask provoqua un esclandre tandis qu'Ashal, la déesse de lierre qui avait ligoté Quinquati, le congédiait dans sa prison.

 — Vous devriez avoir honte ! Nous enfermer, nous ! Ce sont là des conduites inadmissibles, vous le savez. Si tout le monde n'est pas d'accord, alors nous n'agissons pas, ça a toujours été ainsi. Rendez-vous compte. L'injustice... Ce n'est pas ce que vous voulez ; c'est mal. Vous verrez, les dérèglements qui suivront cette folie, je vous aurais prévenu ! C'est le début du déraillement, le système tombe en pièces. Libérez-nous immédiatement, et alors l'ordre pourra subsis...

 — Allez, tais-toi ! siffla Ashal en l'enfermant, brisant sa résistance.

 Il était le seul dieu à s'être fait enfermer, les autres acceptant, à contrecœur pour certains, la sanction et la décision prise. Il était également le seul à disposer d'une cage ensorcelée qui le maintiendrait en sommeil, sans chance de la détruire.

 — Qu'est-ce qu'il parle ! bailla Ashal.

 Mille trois cents serviteurs avaient été amenés dans la dimension infestée d'humains, et il n'en restait plus que mille cent en liberté. Quatre cents d'entre eux s'affairaient à construire les geôles. Les plus fidèles partisans du Scarabée, du Boa bipède, de la déesse à l'allure fantomatique et particulièrement ceux de la Réceptrice s'étaient insurgés contre la décision de juger tous les humains car, ils le sentaient, tous seraient exécutés.

***

 Kyr, le soldat le plus fidèle de Kros, s'approcha de Lo-Fan une fois la discussion terminée, et prononça ces mots :

 — Tu t'avouerais vaincu, couard que tu es, soit, mais dis-moi... (Kyr planta ses yeux électriques dans ceux de Lo-Fan.) Si l'ennemi te demandais des informations en échange de ta vie, trahirais-tu les tiens ?

 Lo-Fan émit un bref rire.

 — Ah ! En voilà une bonne question ! J'imagine que ça dépend des circonstances...

 — T'es bel et bien une ordure, comme je l'ai toujours suspecté, cracha Kyr.

 À nouveau, Lo-Fan s'esclaffa.

 — T'es bel et bien le toutou de Kros, comme tout le monde l'a toujours su !

 — Tu peux rire tant que tu veux, au moins je ne me ferai pas abattre par le premier adversaire venu.

 — Tu me prends pour un naze ?

 — Ô que oui ! s'exclama Kyr. J'ai bien vu que tu faisais pas tes entraînements. Je te conseille de t'y mettre dès maintenant si tu ne veux pas que je te dénonce au général.

 — Ok, ok... Juste, sache que le général déteste les chiens-chiens dans ton genre, tu sais bien que lui-même s'amuse à défier tout le temps l'autorité des dieux. Tu pourras pas t'attirer son respect comme ça mon gars. D'ailleurs, tu sais quoi, tu le débectes !

 — Parce que tu crois qu'il va te respecter toi ? En agissant ainsi ?

 Lo-Fan poussa un autre rire, forcé cette fois-ci, car il ne savait pas trop quoi répondre.

 — Bref... Fais tes entraînements.

 Kyr s'en alla de l'autre côté du campement. Il croisa le regard d'un autre soldat qui écoutait leur conversation.

 — Et toi aussi ! grinça Kyr.

 Cet autre soldat, nommé Odal, s'approcha à son tour du possible traître.

 — Je dois avouer que je suis plutôt d'accord avec toi, en fait.

 — Ah ! C'est pas pour rien qu'on te considère comme le plus rusé d'entre nous !

 Odal fut amusé par cette remarque. Les deux soldats s'exercèrent ensemble pendant une dizaine de minutes. Odal poursuivit son entraînement tandis que Lo-Fan s'engouffra dans une tente et s'endormit.

***

 Nolmeraïsha poussa un serviteur récalcitrant dans une cage. Cette situation ne lui plaisait guère, mais elle comprenait tout à fait pourquoi elle existait. Bien qu'elle était l'assistante prêtresse de Koya, l'actuelle Grande prêtresse de Karathris, elle était plutôt d'accord avec Ba, et donc avec l'avis général. À vrai dire, Nolmeraïsha était une des seules partisantes de la Réceptrice qui avait accepté les ordres d'Iridar sans protester.

 Elle, tout comme toutes les apprentis prêtresses qui l'avait précédée, portait d'amples vêtements rappelant les formes pervenches qui parcouraient le corps de la Protectrice de la Faune. Ils masquaient presque sa musculature, qu'elle façonnait tous les jours par d'intenses entraînements. Ses traits étaient fins et précis, son visage semblait constitué de la douce texture du coton. Elle se tenait toujours droite, fière. De nombreux serviteurs des dieux la considérait comme la plus belle femme qui existe. À leur grand désarroi, aucun ne pouvait espérer obtenir sa main, son devoir de future prêtresse le lui interdisant.

 Ashal lui confia d'autres révolutionnaires à surveiller en attendant qu'une cage s'érige pour eux. Motivée par le discours du dieu insecte, une vieille femme ridée et en surcharge pondérale se proposa pour le continuer.

 — Oui, nous devons écouter Aarask, c'est la voix de la sagesse ! Le Gardien se trompe !

 La déesse aux cheveux de lierre serra la gorge de la crieuse puis recouvrit sa bouche. Aussitôt, un autre prit le relais :

 — Quand nous marcherons sur le territoire des humains et qu'ils comprendront que nous ne leur voulons pas que du bien, ils nous...

 Il fut réduit au silence, mais un suivant termina sa pensée.

 — Ils nous attaquerons !

 — Ce sera la guerre ! Des centaines, non, des milliers d'entre nous y passeront. Vous ne voulez pas ça, n'est-ce pas ?

 Quelques travailleurs cessèrent de construire. Ashal, irritée, écrasa de ses cheveux longs comme un donjon les organes de tous ceux qui avaient pris la parole, en quelques secondes seulement.

 — Voilà, ça fera moins de cages à construire, plaisanta-t-elle.

 Sa chevelure aspira l'essence des morts, ne laissant que des corps desséchés.

 — Maintenant, je ne veux plus en entendre un seul, c'est clair ? Et vous, retournez au boulot !

 Iridar assista à toute la scène. Scandalisé, il voulut intervenir, mais changea d'avis au dernier moment. Punir Ashal pour sa cruauté devant les autres leurs auraient donné plus de confiance, et aurait donc entraîné plus de révoltes à contenir.

 Une nouvelle cellule fut érigée. Ashal ordonna à Nolmeraïsha de s'en occuper.

 — C'est à toi de le faire pour elle, dit-elle, un sourire incompréhensible aux lèvres.

 Nolmeraïsha saisit fermement les bras de la future captive recouverte de parures et d'accessoires à l'effigie de Karathris et de ses attributs.

 — Nolmeraïsha, dit la captive, tu sais tout comme moi que cette situation n'est pas juste. La Réceptrice a tout expliqué, l'as-tu seulement écoutée ?

 — Veuillez garder le silence, demanda sobrement l'assistante.

 — Tu me dégoûtes. Je ne te savais pas comme ça. Tu n'es plus la gentille et admirable petite fille que j'ai éduquée. N'as-tu donc rien suivi de mon enseignement ? Tu ne peux pas avoir oublié toutes ces années, je sais très bien qu'au fond de toi tu veux...

 — Veuillez garder le silence.

 — C'est tout ? C'est tout ce que tu trouves à me dire ? Tu n'es pas digne de devenir ma success...

 Nolmeraïsha claqua la porte sur le nez de Koya.

 Ashal conserva les cinquante derniers prisonniers sans toit enserrés entre ses lianes et s'approcha très près de l'assistante.

 — Bravo, chérie, tu l'as fait ! fit-elle avec excitation en lui pinçant les joues. Cette garce ne méritait plus son statut. Tu es officiellement la nouvelle prêtresse de Karathris !

 Nolmeraïsha acquiesça sans montrer sa joie.

 — Tu as fait le bon choix, toi ! Cette salope de Koya n'était même pas capable de comprendre que Karathris s'était rangé du côté du Gardien à la fin. Lui, au moins, il sait ce qu'il fait ! Oh, que je l'aime ! Toi aussi, pas vrai ?

 — Je ne lui ai jamais parlé, répondit timidement l'assistante.

 — Tant mieux, parce qu'il est à moi !

 Ashal poussa un rire dément d'allégresse.

 — Ah, enfin... Dès que Karathris reviendra et te sacralisera, tu obtiendras les mêmes pouvoirs que cette indigne Koya et toi, au moins, tu les mériteras.

 — Vous avez l'air de ne vraiment pas l'aimer.

— En effet. Tu as l'œil, bravo ! Ah ! C'est de l'histoire ancienne maintenant. Parce que toi, je t'aime beaucoup, au contraire !

 Ashal pinça de nouveau les joues de Nolmeraïsha et força cinq détenus à rentrer dans leurs cachots.

 — J'aurais été tout aussi honorée d'être votre prêtresse, annonça la nouvelle prêtresse.

 — Oh, qu'elle est mignonne !

 Nolmeraïsha se laissa porter par ses pensées. Elle jubilait déjà de sa procession avec Karathris, qui lui donnerait un sentiment d'apaisement et de plénitude ainsi qu'une partie de ses pouvoirs.

 Lors d'une cérémonie de vassalité, le dieu conférait à son prêtre majeur associé la lourde tâche de maintenir son culte en vie, en échange d'aptitudes pour mieux instaurer l'ordre.

 Nolmeraïsha avait déjà connu une première cérémonie, celle de l'assistante, qui se voit octroyer une partie – plus infime, c'est vrai – des pouvoirs, le temps de s'y adapter, de les maîtriser, de prouver sa foi. L'entraînement de Nolmeraïsha avait dû prendre un terme prématurément, ce qui ne l'empêchait pas de se sentir prête.

 Elle reverrait bientôt la Réceptrice et ses liens avec elles deviendraient plus forts encore !

 Karathris, son idole.

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