30/ Rencontres, caprices du hasard

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 — Si on croise quelqu'un, menace-le avec ton arc. Parce que moi, ils me prennent jamais au sérieux avant que je les tue, je sais pas pourquoi.

 Cela faisait quinze minutes que Malgati et Londock marchaient ensemble entre les platanes. Ils avaient sympathisé, racontant quelques histoires et plaisanteries, et une ambiance un peu moins froide qu'au départ liait les deux nouveaux partenaires. Londock comprenait les intentions de l'humain, qui n'étaient pas si perverses qu'il l'avait cru, même plutôt louables. C'est ainsi qu'il décida de l'aider, lui permettant par la même occasion de vivre une aventure plus palpitante que son quotidien. Cependant, il ne voulait pas être rejeté par son peuple quand Malgati viendrait à échouer. Car, il le savait, le soldat n'avait que très peu de chances de réussir seul, et à peine plus avec son aide.

 — J'ai une meilleure idée. Faisons comme si j'étais ton otage.

 De cette manière, il pourrait conserver son intégrité sans être accusé de collaboration tout en passant cette nuit avec l'humain. Londock n'avait pas grand-chose à perdre, il n'appréciait pas sa vie tant que ça. Mais une partie émergée de sa conscience ne désirait pas voir disparaître sa petite tranquillité banale et ennuyante.

 — De quoi ?

 — Mais oui ! Tu placeras la lame sous ma gorge et menaceras de me tuer s'ils ne nous laissent pas passer.

 — T'es un p'tit malin, toi, tu sais !

***

 Ils voulaient réclamer leur aide, mais ils les aidèrent d'abord.

 Le dieu repéra un maître Florantii méditant au milieu des flammes. Il savait que celui-ci devait terminer. Nz'jrg s'occupa de le protéger des branches et planches enflammées qui tombaient.

 Les disciples firent de leur mieux pour extirper les blessés coincés dans les décombres. Les cris des créatures vivant ici déchiraient le cœur autant que les oreilles. Affolées face aux langues fumantes, certaines se cognaient sur les arbres, s'écrasaient, brûlaient.

 Le maître Florantii peinait à achever son voyage astral, puisqu'il désirait rejoindre un autre monde et se sentait menacé. L'arrivée du lézard aux côtés de son corps le rassura et il put déplacer son esprit plus efficacement.

 Le dieu parvenait sans trop de difficultés à repousser les objets qui tombaient et à contenir le feu, quand la base d'un tronc ayant cédé fit s'écrouler sur lui un édifice-nid entier. Il ne pouvait que l'éviter, pas le faire dévier. Mais agir ainsi aurait laissé le maître se faire écraser. Nz'jrg l'attrapa alors dans une de ses pattes avant, et l'amena avec lui en dehors de la zone de chaleur extrême.

 Le Florantii ne parvint plus à se concentrer et ouvrit les yeux, son esprit regagnant brusquement son enveloppe.

 — Non ! hurla-t-il. Je n'ai pas réussi ! Je ne suis pas parvenu jusqu'à lui !

 — Ce n'est pas grave, lui dit Nz'jrg. Réessayez.

 — Ce sera trop tard, se lamenta le maître. Ils vont tous mourir par ma faute...

 — Ce n'est pas trop tard ! cria autoritairement le dieu.

 Soumis, le Florantii baissa les yeux et, suivant leur mouvement, les extrémités de ses deux paires d'ailes s'affaissèrent.

 — Réessayez, et la prochaine fois, pensez à vous mettre à l'abri en priorité. Sauver les autres est une bonne chose, à condition de ne pas mourir inutilement avant.

 Sans plus attendre, le lézard se jeta dans le feu à la rescousse de ceux pouvant encore être secouru, et le maître, fort des conseils d'un être supérieur, replongea dans sa transe.


***

 Ba et ses guerriers ignorèrent les crampes et les douleurs musculaires. Ils devaient prévenir au plus vite Le Gardien de la menace imminente, qui pouvait arriver au campement d'un instant à l'autre. Ba devançait de nombreux mètres ses soldats, lui-même distancé par deux d'entre eux ayant également la faculté de se déplacer à quatre pattes. L'ours espérait qu'avec un peu de chance, ils croiseraient directement le chemin de l'humain en armure. Ceux qui le suivaient, en revanche, comptaient sur cette même chance pour ne pas tomber sur lui. Ils redoutaient que l'effroyable boucherie contée par l'élite Morlan ne se reproduise, avec, cette fois-ci, eux jouant le rôle des morceaux de viande.

***

 — Je ne savais pas quoi faire, expliqua Londock alors j'ai suivi le chemin boueux qu'on me proposait. Je regrette tellement, ma vie n'est plus composée que d'éléments que je hais. Toujours, mes actions m'ont été dictées, je n'ai jamais choisi. Ma profession d'archer ne me plaît pas vraiment, mais je ne peux plus faire retour arrière. Je ne suis bon qu'à ça, de toute façon... Et encore, je ne suis resté qu'un tenue de boue.

 Il baissa la tête, contemplant ses pieds. Malgati comprit sa tristesse, et par la même occasion pourquoi il avait voulu l'accompagner.

 Londock n'avait jamais su quoi choisir. Et quand il le savait, on ne lui laissait pas l'opportunité de le faire. Mais aujourd'hui, il sortait des sentiers battus. Il avait décidé de suivre et d'aider ce soldat humain dans sa quête. Et la répercussion d'un autre choix suintait encore à travers sa tunique. Finalement, ce meurtrier était ce qui lui était arrivé de mieux depuis très longtemps.

 — Au fait, maintenant qu'on en est là, je dois te révéler quelque chose. Je ne sais pas où est détenu ton ami.

 — Quoi ?

 Les joues de Malgati s'empourprèrent. Ce genre de trahison n'était pas celle à laquelle il s'attendait, et ça lui plaisait encore moins que s'il avait tenté de le poignarder. Sa compassion pour ce petit serviteur mélancolique s'évapora en un instant.

 — Seuls ceux conviés dans cette dimension le savent. Moi, bien sûr, on ne m'a pas invité. Du coup, je ne sais pas.

 — Tu es vraiment inutile, répondit sèchement le soldat. Comment je vais faire maintenant ?

 — Ne t'en fais pas. Je pourrai m'infiltrer parmi les miens et demander la localisation de...

 Une femme, les mains dans les poches, les yeux luisants à travers la pénombre, rivés droit sur eux. Malgati encercla le cou de Londock par ses deux lames.

 — Ne bougez pas, ou je le tue !

 La servante tourna entièrement le buste vers eux. Elle dévoila deux longues canines.

 — Dites-nous où vos dieux retiennent Quinquati si vous voulez qu'il reste en vie !

 Elle enleva les mains de ses poches, sortant ses griffes, et arqua son dos.

 — Dernier avertissement, je ne le répéterai pas ! Aucun mal ne lui sera fait à condition...

 Ses épaules se déboîtèrent et se remboîtèrent dans une autre disposition. Dès que ses jambes eurent doublées de volumes, elle bondit et se rua vers eux, foulant le sol de ses quatre membres.

 — Hey, oh, arrêtez ! Je vais le faire !

 Elle ne prêtait pas la moindre attention au soldat et à son otage. Malgati le libéra et se mit en position de défense. Son épée reçut la métamorphe en tranchant son flanc. Cela ne sembla pas l'affecter et elle envoya ses griffes sur l'armure. Elles ne firent que la rayer, mais Malgati fut propulsé en arrière. Il eut à peine le temps de se restabiliser que le fauve lança un autre assaut. Des griffes se plantèrent dans la partie découverte plus tôt par Yassnä. Le soldat tomba sur sa colonne vertébrale. Il donna un nouveau coup, dévié par une patte. L'espadon s'échappa de sa paume et se planta plus loin. La femme animale bombardait la cuirasse, déchirant à plusieurs reprises la chair exposée du guerrier.

 Malgati avait beau se croire invincible la plupart du temps, il craignait actuellement pour sa vie.

 "Ce n'est pas une seule connasse au milieu des bois qui aura raison de moi !" se promit-il. Mais aussi puissante fut sa motivation, il était dominé et ne parvenait pas à renverser le cours du combat. Puis, Londock envoya une flèche sur le crâne du monstre. La pointe n'atteignit pas le système nerveux, emmitouflé par une peau trop épaisse. La Malgati ne sentait plus la partie droite de son corps, et il lâcha son épée sans s'en apercevoir.

 "Non, pas comme ça, pas là ! C'est trop con !"

 Cloué au par le félin, incapable de tout mouvement, à sa merci. L'humain désespéra, le fauve poursuivait ses attaques. Et puis, la bête s'écroula sur lui. Malgati se sentait étouffer, avant que le corps ne fût roulé à côté de lui. Londock lâcha l'espadon et tendit sa main. Malgati voulu l'attraper... Il n'y parvenait pas. Son membre refusait de lui obéir. L'archer attrapa plutôt son bras gauche, et fit asseoir le guerrier.

 — Merci, dit-il, bavant du sang par la même occasion.

 — Tu peux te relever ?

 — Je vais mourir, répondit simplement le vaillant guerrier.

 — Non, pas du tout ! Tu es surpuissant, tu te souviens ?

 — Oui. C'est pourquoi je sais quand vient mon heure.

 — Arrête tes conneries ! Tu t'en es pris plein la tronche et tu as toujours réussi à continuer, à marcher. Lève-toi !

 — Je le cachais, mais c'était dur pour moi. Chaque pas me faisait souffrir. Là, c'en est trop. Laisse-moi mourir.

 Londock voyait bien les lambeaux de chair sanguinolente qui désormais formaient le corps du soldat, mais il refusait de croire que ces blessures suffiraient à venir à bout de son nouveau camarade.

 — Cesse ta comédie. Tu me fais pitié !

 — C'est toi qui me faisais pitié. Tu me fais toujours pitié d'ailleurs.

 — Ferme-la !

 Londock prit une lente et profonde respiration, les paupières closes. Puis il souleva Malgati ainsi que son armure, les portant malgré la faible force de ses bras.

 — Ah ! Arrête ça, tu me fais mal !

 — J'ai dit : ferme-la !

 Le soldat clairvoyant accepta l'offre sympathique de Londock pendant quelques secondes, puis :

 — Pourquoi elle m'a quand même attaqué ?

 — J'en sais rien moi, je lui ai pas demandé. Peut-être qu'elle nous a entendu discuter. Peut-être qu'elle a compris que je n'avais rien à faire là, vu que tu lui demandais de te guider. Peut-être aussi qu'elle s'en foutait de me voir mourir si c'était pour t'empêcher d'aller faire chier les dieux.

 — Ah.

 Après trois minutes, les biceps de Londock ne suivaient plus. Il reposa Malgati au sol.

 — J'y arrive plus. Je suis désolé !

 — Libère-le pour moi. S'il te plaît.

 L'archer allait lui en faire la promesse quand le blessé chuchota.

 — C'est... C'est qui ça ?

 Londock suivit son regard. Il le vit aussi.

 Ce monstre.

 Malgati l'avait vu lors du procès.

 La chose, humaine ou animale – il ne savait pas trop – le fixait.

 Oui, ça y était. Oui. C'était la fin, cette fois-ci.

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