19/ À visage découvert

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 Malgati s'éveilla de son court coma, la douleur telle qu'il ne la ressentait désormais plus. Allongé sur le sol crasseux, il ouvrit les paupières. Dans son champ de vision apparurent des dizaines d'êtres qui descendaient des arbres, se dirigeaient vers lui avec fascination et crainte. Jankürl sentit son cœur s'emplir de gloire tandis qu'il approchait du guerrier vaincu. Il remarqua Karkoff, un des seuls qui, prudent, n'osait pas encore le regarder de plus près.

 — Je t'avais dit qu'un seul coup bien placé suffisait ! héla le maître archer, la voix exprimant une fierté certaine.

 Son langage se transforma, moins formel et plus amical, la joie que Jankürl contenait ne pouvant se restreindre à réfléchir à comment s'exprimer correctement.

 Malgati ressentit une profonde colère contre ce tintamarre d'exaltations auquel il ne participait pas. Ou plutôt, la façon dont il y participait ne lui plaisait pas du tout. Un des hommes, hésitant, approcha lentement sa main de la cuirasse, pensant son contenu décédé. Il se fourvoyait et Malgati le lui apprit en lui envoyant son espadon dans les jambes.

 De nouveaux cris s'élevèrent. D'effroi, cette fois-ci. L'homme imprudent sembla rester insensible un instant au coup, comme figé dans le temps, découvrant cette blessure improbable, puis il s'écroula dans la terre, les chevilles à moitié coupées. Il ne réalisa son état que lorsqu'il ne parvint plus à se relever malgré ses efforts incontestables. La panique atterrit chez les archers, provoquant chez tous des réactions différentes, bonnes et mauvaises ; les uns s'étaient empressés de braquer leurs armes vers le cadavre ambulant, d'autres regrimpèrent aussitôt. Certains s'étaient dépêché d'aider le blessé et de l'amener hors de portée de l'amure de fer. La plupart ne bougèrent pas d'un pouce. Enfin, les derniers, et ce furent ceux qui contrarièrent Malgati, se jetèrent sur lui pour l'immobiliser. Il tenta vainement de lever son arme, et sans perte de temps, son bras fut plaqué au sol par trois paires de mains.

 « Je suis dans une mauvaise posture » comprit finalement Malgati. « Si seulement un allié inconnu pouvait surgir pour me sauver juste à temps. »

Mais personne ne vint.

***

 — Déshabillez-le ! ordonna Jankürl. Il est vulnérable sans ses vêtements !

 Les cinq au-dessus du guerrier s'affairèrent. Ils commencèrent par défaire les courroies de cuir, enlever les parties qui tombaient déjà, puis détachèrent les plaques d'armure, défirent tout ce qu'ils purent. Une fois le dos vulnérable, ils le tournèrent pour s'attaquer au torse. La flèche plantée négligée, elle se cogna contre le sol et s'enfonça encore plus. Malgati hurla de plus belle, décochant une droite à l'un de ses agresseurs. Les quatre autres renforcèrent leur prise, empêchant au mieux tout mouvement. L'un d'eux extirpa le projectile de la chair, et ils purent le tourner convenablement.

 Jankürl s'approcha, contempla le colosse devenir un simple mortel. Malgati le regardait avec véhémence, mais l'archer ne le remarqua pas encore. Jankürl ôta lui-même le casque de l'humain.

 Tous ne purent regarder ailleurs alors que le visage du meurtrier se révélait.

 D'abord, apparut un menton carré mal rasé, puis une bouche entrouverte aux lèvres minces et abîmées par le temps ; suivirent des joues creusées aux pommettes imposantes, ensuite un nez camus aux flancs osseux proéminents, accompagné de près par des yeux enfoncés d'un vert impérial, surplombés par des sourcils qui fronçaient en permanence, reposant sur un front bombé et plissé.

 Un bien horrible spectacle, enlaidi par une peau rugueuse qui témoignait d'un début de maturité dans l'âge. Pas dans l'âme.

 — Alors c'est à cela que tu ressembles ? jugea Jankürl. Un simple humain ?

 — Un humain qui veut la mort de vos dieux de pacotille !

 — Un humain, tout le monde ! répéta le chef des élites archères, railleur. Un humain tueur de dieux !

 — Laissez-moi y aller et je vous montrerai que j'en suis tout à fait capable.

 — Bien sûr, alors que tu t'es fait battre par nous ? Et sans ton armure ?

 — Vous ne savez pas de quoi je suis fait. Avec ou sans mon armure, je vous tue tous.

 — Une menace, huh ? Eh bien vas-y, montre-moi.

 — Là tout de suite je peux pas, parce que vous m'avez pris en traître. Mais en duel, face à face, à armes égales, je t'explose quand même. Si tu fuis pas après cinq secondes comme la fois d'avant, bien sûr.

 — Un défi alors ? Soit, je le relève !

 — Jankürl, non ! clama Karkoff en s'approchant. Ne te laisse pas berner !

 — Pff ! Comme s'il pouvait faire quoi que ce soit contre moi. Tout le monde, dégagez le terrain ! Je ne voudrais pas que ce faible vous prenne comme otage pendant notre combat.

 Les cinq qui maintenaient Malgati en place hésitèrent à lâcher prise. Deux d'entre eux soulagèrent la pression sur son corps tandis qu'un s'était complètement détaché.

 — M'enfin ! désavoua Karkoff. On peut l'abattre ou le capturer tout de suite, pas besoin de ce genre de cérémonie stupide !

 — Oui, ne prenons pas de risques inutiles ! appuya Londock.

 — Nous ne courrons aucun risque, je vous l'assure ! Cet idiot mérite un ultime combat pour comprendre à quel point il est misérable.

 — C'est plutôt le contraire, oui ! répliqua Malgati encore au sol.

 — Mais c'est pas vrai, souffla Londock. C'est le festival des imbus de soi-même ici.

 — Vous, là, lui répondit le chef à la longue chevelure. Plutôt que de critiquer, venez vous emparer de ses épées. Vous les redistribuerez à mon signal.

 Londock s’exécuta, sans que Malgati ne résiste. Le terrain fut déserté, ses anciens occupants ayant compris qu'il était inutile d'essayer de raisonner Jankürl. Les deux adversaires prirent place à une trentaine de mètres de distance.

 — Je prends le vert ! décréta Malgati.

 — Certainement pas ! contredit le leader à la crinière blanche. Cette arme nous appartient, et vous l'avez volée. Elle me revient de droit. (Il se tourna vers Londock.) Toi, tu sais ce qu'il te reste à faire.

 Le jeune serviteur déposa en premier l'espadon dans les mains de Jankürl, puis apporta l'épée plus courte au soldat. N'osant s'approcher, il la fit glisser sur le sol et courut se réfugier dans les arbres. En compagnie de Karkoff, il l'entendit prononcer ces mots à plusieurs de ses soldats :

 — Préparez-vous à tirer sur l'humain, et tuez-le si vous voyez que Jankürl perd le combat.

 — Mais il va pas être content si on f... contesta un des subordonnés.

 — Il n'aura pas loisir de nous engueuler non plus s'il meurt, exposa Karkoff, soulevant des murmures de compréhension.

 Durbann, un des élites, avait surpris ces paroles.

 — Hé, les bleus ! Faites confiance à Jankürl sur ce coup. Personne ne se battait mieux que lui lors de nos entraînements de corps à corps. Il viendra à bout de ce dégénéré, vous pouvez me croire là-dessus !

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