6/ Sentence Irrévocable

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 Le corbeau baissa la tête pour toute réponse. La nuit noire tomba à cet instant, ne laissant plus que le scintillement reflété par le satellite naturel. Le Gardien laissa le silence redescendre, frottant son sabot sur l'herbe.

 — Nous avons entendu les deux partis, conclut-t-il en levant un bras. Voyons ce qu'en pensent les jurés.

 Différentes espèces inconnues constituaient cette assemblée. Un reptile quadrupède surmonté d'une tête de lézard vert de chrome, elle-même hérissée d'une crête, annonça d'une voix cristalline et propre son verdict :

 — Coupable.

 — Coupable, dit un second monstre de la forêt.

 — Coupable, suivit un troisième, semblable à un scarabée.

 — Coupable, surenchérit le quatrième.

 Le bûcheron compta rapidement le nombre d'êtres constituants la cour. Neuf. Si le système en place considérait que la majorité l'emportait, le choix du prochain serait décisif.

 — Coupable, déclara la femme verte aux cheveux de lierre.

 — Coupable, appuya le suivant.

 — Coupable, enfonça le septième.

 Quinquati n'en revenait pas. Il allait mourir de la main de ces choses, invoquées depuis des mondes parallèles uniquement pour lui. Son sort était scellé. Il ne pouvait plus y échapper. L'argumentaire du corbeau n'avait pas suffi à convaincre ces monstres qui jouaient aux dieux. Les deux derniers, un boa à deux jambes et à trois yeux et une sorte de femme aux cheveux d'un bleu de minuit recouverte d'un diadème, de parures, de fanions et de peintures, savaient déjà quoi répondre.

 — Coupable, acheva le serpent.

 — Non-coupable ! cria vivement la femme à la peau azur rayée de formes pervenches.

 Une huée d'incompréhension s'éleva dans la clairière. L'exclamation rugissante et trainante des tréants enveloppa la forêt. Le Centaure quémanda le silence. Une fois obtenu, la femme bleutée reprit, avec plus de vigueur encore :

 — Oui, non-coupable ! Moi Karathris Starlight, Protectrice de la Faune et Réceptacle de lumière, je déclare non-coupable !

 — Expliquez-vous, ordonna le juge, vos camarades semblent d'un autre avis.

 — Écoute-moi bien Iridar...
 — Non ! Ne prononce pas mon nom devant des mortels ! Appelle-moi le Gar...
 — ...dien de la nature, compléta Quinquati. Oui, même moi je sais.
 — ... Le plaidoyer de Maître Perr m'a l'air plus rationnel et sincère. Je suis de son avis. Il a raison, il n'a pas mutilé l'Arbre Sacré ! Celui-ci n'est qu'un menteur. Il ne dit que de fausses vérités.

 Les exclamations et protestations reprirent. Le Gardien frappa de son sabot trois fois sur le sol et répondit :
 — C'est une accusation lourde que vous portez là. Veuillez considérer avec vigilance les propos que vous vous apprêtez à tenir.
 — Cette accusation est ô combien moins grave et infondée que celle que Sir Ba porte envers tous les humains. Son raisonnement inductif est de toute évidence biaisé. Il est grave qu'aucun d'entre vous ne l'ai remarqué !

 — Ce n'est pas une raison et cela n'exclut en rien votre délation envers l'Arbre.

 — Ce n'est pas une délation, mais la vérité. Voilà ce que vous pouvez considérer comme un témoignage, confessa Karathris. Son esprit de lumière m'a prédit que je rencontrerai le Porteur sous peu. Or voilà des centaines d'années que rien ne s'est produit. Ses augures sont fausses, et peut-être devrions-nous arrêter de sacraliser cet être abject qui jamais n'a accompli le moindre exploit.

 — Hé, mollo ! clama l'Arbre. Tu verras que bientôt ma prévision se réalisera ! Et je prédis aussi que tu seras cloitrée dans les ténèbres à jamais si tu continues tes blasphèmes envers ma personne.

 — Perr et moi avons tout dit, ajouta Karathris sans tenir compte des paroles de l'Immense. L'homme ci-présent ne mérite pas la sanction ultime. Libre à vous de réfléchir ou non.

 — Est-il possible de changer d'avis ? demanda le boa. Je suis d'accord avec la Réceptrice tout compte fait.

 — Moi de même, appuya une de l'assemblée à l'allure spectrale.

 — Non !! hurla Ba, enragé. Pas le droit, c'est illégal !

 — Aucune constitution ne régule nos procès de la sorte. Je n'y vois pas d'inconvénient, tant que tout le monde est d'accord et que l'avis déclaré soit le bon.

 — Mais... balbutia l'ours... Non ! C'est trop tard !

 — Allez-y, les encouragea Iridar. Reformulez votre avis.

 — Je déclare non-coupable, répéta le spectre.

 — Non-coupable ! proclama le serpent bipède.

 — Non-coupable pour ma part, ajouta le Scarabée.

 Un léger silence flotta.

 — Est-ce tout ? s'assura Le Gardien de La Nature. Dans ce cas, l'accusé est désigné coupable à cinq contre quatre. Voyez, rien ne sert de vous énerver, le résultat n'a pas changé.

 — Oui... grogna Ba. Et quelle sanction impitoyable va obtenir ce fourbe ?

 — Perpétuité dans les geôles invisibles.
 — Quoi ? Seulement ? On ne le tue pas ? On ne le torture pas ?

 — La condamnation est tombée, plus rien ne permettra de revenir sur la décision. Il expiera ses crimes jusqu'à la fin de sa courte vie, et même au-delà, n'est-ce pas la meilleure des punitions ?

 — Pas assez sévère, jugea Ba.

 — La séance est levée

  « Je savais bien que jamais je n'aurais dû me lever ce matin, pensa Quinquati. Si seulement ce con ne m'avait pas appris qu'un arbre géant existait. »

 On lui ordonna de monter sur le dos d'une des femmes à moitié jument. La créature de lierre grimpa derrière lui et le ligota de ses cheveux bien plus résistants qu'ils n'y paraissaient. Dès que le Gardien disparut dans un flash lumineux, la monture galopa à travers les bois, emmenant Quinquati dans des lieux inexplorés. La foule suivit, tandis que les arbres revenaient à leurs places, s'immobilisèrent. Ils ne ressentirent pas la présence de celui sur qui, dissimulé derrière un buisson qui ne s'était pas animé, miroitait l'éclairage de la lune. Malgati se frotta l'arrière du crâne.

 « Qu'est-ce que j'ai fait ? se reprocha-t-il. Par ma faute mon meilleur ami est enlevé ! Je dois suivre ces trucs malfaisants et découvrir où ils l'emmèneront, puis je le sauverai. Je lui dois bien ça. »

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