Chapitre 2

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J’ouvre les yeux. Tout est flou, brumeux, je cligne des paupières pour chasser ce brouillard qui m'entoure. Lorsque ma vue se clarifie, je distingue le plafond, blanc, parcouru de deux rangées de néons. Je tourne la tête, mes cervicales me lancent, mais je parviens à distinguer le lit blanc sur lequel je suis couché, et les murs couleurs lavande, qui se gondolent. Mon crâne me torture. Où suis-je ?

Une voix douce s'insinue entre les bips d’un gros appareil situé à ma gauche.

« Monsieur… Bip… Nisted… Bip… Vous…Bip... êtes…Bip... réveillé ? »

Je réponds par l’affirmative puis parviens enfin à distinguer le visage de la jeune femme qui vient de prononcer ces mots. Un joli brin de fille, une fois que son image devient nette.

« Où suis-je ? », dis-je, encore dans le gaz.

« A l’hôpital », me répond-elle sobrement.

Puis elle rajoute :

« Vous avez eu un accident, vous ne vous rappelez pas ? »

Un accident. Il me faut un bon moment pour que des souvenirs reviennent, par flashs. La Virgule, Olivia, l’amour torride, le retour chez moi, une voiture, devant moi, tous phares allumés. Le choc. Ma migraine revient, que j'ai mal ! Cette bagnole. Je la revois plus distinctement. Elle était à l'arrêt quand je suis arrivé. Elle... m'attendait ! Elle a démarré et foncé droit sur moi ! Ce n’était pas un accident... mais une tentative de meurtre ! Il faut que je retrouve le salaud qui m’a fait ça !

J’attends que l’infirmière soit partie pour arracher les tuyaux qui me relient à la machine, puis je me lève. Pas le temps de moisir ici ! Je titube, me retiens à une table quelques instants pour reprendre mon souffle. Je dois reprendre mes esprits, ne pas me précipiter. Faire les choses dans l’ordre. D’abord, enlever cette tunique qui me laisse les miches à l’air, je suis absolument ridicule dans cet accoutrement. La penderie est là, dans le coin. Dedans, un jeans et un vieux pull taché de peinture. J’aurais espéré y trouver mon costume bleu marine Cerutti à dix-mille euros mais ces vêtements sont parfaitement à ma taille, tant mieux, ça fera l’affaire. Une fois habillé, je passe la tête par la porte. Parfait, le couloir est vide. Je m’évade en toute discrétion et rejoint l’extérieur sans encombre. Les choses sérieuses peuvent commencer : je dois mener l’enquête pour savoir qui a voulu me tuer.

Première chose, retourner chez moi, m'habiller décemment, et revenir sur les lieux de l’agression. J’y trouverai peut-être un indice, et probablement mes papiers et le fric qui se trouvent dans la boîte à gants.

Une fois arrivé devant chez moi, c’est le choc. Ma Lamborghini a disparu. Je me sens idiot, j’aurais dû y penser ! Evidemment, mon agresseur en a profité pour partir avec… Est-ce d’ailleurs pour ça qu’il m’a foncé dessus ? Pour me piquer ma caisse à trois-cents plaques ? Le mobile serait assez minable - un simple vol - mais plausible.

Machinalement, je fouille la poche de mon pantalon. J’y trouve des clés, mais ce ne sont pas celles de ma maison, il fallait s’en douter. Je vais devoir y pénétrer par effraction.

Péniblement - je suis loin d’avoir retrouvé ma condition physique - j’escalade la grille en fer forgé, puis me retrouve de l’autre côté.

Je pénètre dans le jardin, passe une rangée d’arbres qui maintient la maison à l’écart du bruit et de l’indiscrétion du voisinage - je tiens à mon intimité - et là, nouveau choc. La façade est encombrée d’échafaudages, la maison semble à l’abandon. Sur un panneau, une inscription : “A vendre”, suivi d’un numéro de téléphone. C’est à n’y rien comprendre. Tout se brouille dans ma tête. Combien de temps suis-je resté dans le coltar ? Qu’a-t-il pu se passer pendant mon absence ? Je fais le tour de mon domicile pour trouver une ouverture quand une sirène retentit. Je reviens sur mes pas pour voir d’où vient le bruit.

Les flics. Une bagnole vient de se garer devant la grille, gyrophares allumés. Deux policiers en sont sortis et m’interpellent, de l’autre côté de la grille.

« Eh, vous, là-bas ! »

Nullement impressionné, je me dirige vers eux et prends les devants pour montrer ma bonne foi.

« Bonjour messieurs ! Je suis ici chez moi, j’ai oublié mes clés.

  • Personne n’habite ici depuis deux ans, Monsieur. La maison est à vendre, et on nous a signalé une intrusion dans la propriété », fait le plus grand des policiers, en me toisant.

Je reste interloqué. Deux ans. Je suis resté deux ans dans le coma ! On a profité que j’étais à l’hôpital pour saisir mes biens, vendre ma maison ? Tout se bouscule dans mon crâne.

« Ecoutez, j’ai été agressé devant chez moi, je sors de l’hôpital. J’étais dans le coma, je cherche juste à rentrer dans ma baraque. Vous auriez pu faire votre boulot en retrouvant celui qui a cherché à me renverser, quand même ! C’est toujours les honnêtes citoyens que vous venez faire chier ! » fais-je en me maudissant moi-même de ne pas savoir exprimer ma situation en des termes plus clairs.

« C’est très confus tout ça, monsieur. Veuillez nous suivre au poste, s’il vous plaît » répond le deuxième flic d’un ton ferme.

Non mais c’est dingue, ça ! C’est moi la victime et on me prend pour un voleur ! Pas question de finir en garde à vue, je n’ai pas de temps à perdre ! Ni une, ni deux, je fais volte-face. L'adrénaline me donne un coup de fouet, je me barre en courant, les laissant comme des idiots derrière la grille. Une fois au fond de la propriété, je trouve le moyen de sauter par dessus la grille, me retrouve hors de leur portée et me fonds au milieu des passants pressés.

Où aller maintenant ? Comment retrouver mon agresseur ?

J’ai une idée. Retourner à “La Virgule”. Cassandra ou le physionomiste pourront peut-être m’aider dans mon enquête. J’ai l’intuition que le mec qui a voulu me liquider m’a suivi depuis la soirée au club privé. Peut-être l’ont-ils repéré et m’aideront-ils à démêler cette affaire ?

Après une bonne heure de marche, j’arrive enfin sur place.

Et je tombe des nues. Là encore, tout n’est que ruine et désolation, comme dans ma propriété. Un panneau à vendre. Une façade décrépite. Une enseigne de travers qui menace de s’effondrer complètement. J’interpelle le marchand de journaux dans sa guérite pour lui poser la question qui me taraude.

« La Virgule est fermée depuis combien de temps ? »

L’homme semble chercher dans ses souvenirs, puis me répond.

« Oh, ça fait bien deux ans que l’établissement a fermé ses portes. La parenthèse “La Virgule” s’est fermée », fait-il, fier de son bon mot, avant d’ajouter « De toutes façons, elle n’était fréquentée que par des drogués. »

Le vertige, encore. Je ne suis quand même pas resté deux ans sans conscience, tout de même ! Le mystère s’épaissit, ma vue se brouille. Je poursuis.

« Savez-vous où se trouve la propriétaire ?

  • Madame Cassandra ? Elle cherche à se débarrasser de son affaire, si vous voulez la joindre pour acheter cette ruine, c’est au numéro indiqué sur le panneau “à vendre”. »

Au moment où je mémorise le numéro, une jeune fille passe devant moi. Une cascade de cheveux noirs, une silhouette de rêve. Est-ce possible que ce soit elle ? Je cours pour la rattraper et crie :

« Olivia ! C’est moi ! Luc ! tu te souviens ? »

Elle se retourne.

« Comment connaissez-vous mon nom ? Moi, je ne sais pas qui vous êtes !

  • Mais si, la soirée à la Virgule, le champagne, la backroom, notre nuit d’amour… je sais que c’était il y a longtemps, mais quand même…, fais-je, un peu sans conviction.
  • Mais ça va pas, sale porc ? hurle-t-elle. Si vous continuez à me harceler, j’appelle les flics ! », crie-t-elle en sortant une bombe lacrymogène de son sac Vuitton.

Je n’insiste pas. Après tout, j’ai dû me tromper sur la personne mes idées ne sont pas très claires depuis la sortie de l’hôpital. J’ai pris mes désirs pour des réalités. C’aurait été trop beau. Pourtant, je sens au fond de moi que c'est elle, mais comment en être vraiment certain, vu mon état ?

« Je suis désolé, mademoiselle, j’ai du confondre avec quelqu’un d’autre », fais-je, dépité.

En voyant ma mine défaite, la jeune femme se radoucit un peu.

« Bon, allez, c’est pas grave. Vous me faites pitié. Allez vous acheter votre cubi de rouge et laissez-moi tranquille », fait-elle en balançant dédaigneusement un billet de cent euros qui vient lentement se poser sur le trottoir mouillé. Puis elle s’en va en faisant claquer ses Louboutin sur le pavé, me laissant seul avec à mes pieds le rectangle de papier vert. Suis-je tombé si bas que je doive ramasser un petit billet de cent euros ?

Il me faut quelques secondes de réflexion pour admettre l’évidence : je n’ai pas un rond, je suis sapé comme un clodo, je ne peux même pas prouver mon identité, ma baraque est à vendre, ma Lamborghini dans la nature, mon agresseur court toujours, et mon amour-propre se trouve au fond du caniveau. Oui, je suis tombé si bas que je doive ramasser un billet de cent euros. Ah, il a bien réussi son coup, le mec qui m’est rentré dedans !

Je ravale ma fierté, prends les sous et file au café d’en face pour boire un coup et réfléchir. Le premier verre de vin me donne un petit coup de fouet. Le deuxième me fait tourner la tête, sûrement la combinaison avec les médicaments qui sont encore dans mon sang. J’ai l’alcool triste. Après tout, j'ai peut-être mérité ce qui m'arrive. Je me suis mal comporté avec les gens, je les ai pris de haut, je les ai méprisés. Je ne me suis jamais soucié des autres, je me suis complu dans l'égoisme le plus malfaisant, dans l'ostentation, dans le vice. La rencontre avec Olivia a été l'humiliation suprême, elle m'a ouvert les yeux sur le salaud que je suis. Une raclure, un déchet, un moins que rien. Le Karma m'a rattrapé, tout finit par se payer un jour. Le message est clair, je dois devenir un homme meilleur, reprendre ma vie en main, faire enfin attention aux autres ! Je prends un troisième godet qui m’assomme. Je m’assoupis.

Une publicité à la télé du bar me sort de ma torpeur. « Ce soir, Vendredi 13, le jour de la chance ! Tentez votre chance à l’Euromillions ». Pourquoi pas, là où j’en suis. Je demande au serveur de me donner une grille que je remplis totalement au hasard, et valide mon ticket. Le barman me regarde bizarrement. Puis je commande encore du vin, histoire d’oublier la situation merdique dans laquelle je suis. Foutu pour foutu, autant les boire complètement, ces cent euros !

Le soir, je suis encore à table quand les résultats de la loterie tombent. J’écoute d’une oreille distraite, l’esprit encore embrumé par tout l’alcool ingurgité pendant la journée. A la télé, l’animateur annonce, sourire Colgate : « Il y avait une chance sur plusieurs milliards d’obtenir cette combinaison de numéros ! Et nous avons un gagnant ! Le chanceux vient de remporter le tirage exceptionnel de 200 millions d’Euros, et il se trouve… à Paris ! ».

« Tant mieux pour lui » pense-je, tout en me resservant à boire.

Le barman rougeaud s’approche de ma table tout sourire, et me susurre à l’oreille. « Le ticket gagnant, c’est le vôtre. Pensez si je me souviens, je n’ai jamais vu quelqu’un parier sur les numéros 1, 2, 3, 4, 5, 6 ! Félicitations, monsieur, vous êtes multimillionnaire ! »

Je mets plusieurs minutes à réaliser ce qui vient de m’arriver. Je suis riche à nouveau !

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