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Lichette de Terre d’Hermès : check. Menton tout doux : check. Chemise bien repassée : check. Pilules de Viagra : check.

J’admire une dernière fois l’image de l’homme assuré et viril que me renvoie ce miroir avant de quitter la salle de bain, satisfait de mon apprêt. Mes clés de voiture en poche, je claque la porte de l’appartement dans mon sillage. La voisine que je croise sur le palier m’adresse un clin d’œil coquin, s’imaginant probablement que j’ai décroché un rencard. Elle n’aurait pas tort ; elle serait néanmoins loin de la vérité.

Dans le parking, le bip familier de ma Mercedes me gonfle de confiance et d’orgueil. Il y a de quoi : à trente-trois ans, je ne suis pas mécontent de pouvoir affirmer que j’ai réussi ma vie. J’ai insufflé les efforts nécessaires à la réalisation de mes ambitions et le karma m’a rétribué. Mon job me plait, rapporte et comble mon bonheur matériel au-delà du nécessaire. Écran plasma, dernier IPhone, SUV gamme luxe, abonnement premium à la salle de sport et vacances dans les Caraïbes ou les Baléares selon la période de l’année : je détiens tout ce qu’un homme peut rêver d’avoir. À part peut-être une copine. Mais je n’en voudrais pas.

J’ai bien mieux.

Je prends la sortie 17, direction la Marina. Les places sont rares près du port de plaisance, mais mes hôtes de ce soir ont prévu un parking privé, et même le voiturier pour garer mon bolide. Je ravale mon anxiété vis-à-vis des rayures sur la peinture au moment de donner les clés au gars – probablement indien ou pakistanais. Ce soir, il n’y a pas lieu d’être stressé.

— Victor ! Ça fait plaisir de te voir ! Entre, entre ! Tu peux poser ton manteau là. Tu as ramené le champagne ? Parfait. Donne-le à Ronan.

Je peine à en placer une entre deux embrassades de Ludivine, la maîtresse de maison. Elle semble ravie de me retrouver. Moi aussi : mon sourire élargi me tire les zygomatiques, mais pas question de m’en départir. Revoir tout ce microcosme me comble de liesse : Lucie sur des échasses d’un rouge verni assorti à celui de ses lèvres ; Auguste, le nez déjà poudré de coke et la mâchoire agitée de tics nerveux ; Maëlla, rugissante contre les invités qui laissent traîner leurs verres sur le piano ; Barbara, la chatte déjà bien suintante, se frottant contre Kevin telle une féline en chaleur.

Bref. Une soirée comme les autres.

Voilà bien dix ans que j’évolue dans le cercle libertin. J’y ai plongé un orteil curieux, comme pour tâter la température avant de plonger dans le bain. Je n’en suis plus ressorti. J’ai trouvé ma place. Un soir dans les bras d’une Clémentine ; le jour suivant, entre les cuisses d’une Amélie ; la fois d’après, lové entre Mélissa et Christophe. Les années passent, les rencontres se multiplient et les bons souvenirs s’accumulent, jusqu’à se distiller dans la grande vasque du plaisir.

J’ai failli me mettre en couple. À trois reprises. Après une menace de tentative de suicide, une crise de jalousie qui m’a couté un MacBook et une visite à l’hôpital pour une entaille au couteau dans un moment d’hystérie, on ne m’y reprendra plus.

Mes copines sont parties, le socle des fêtards libertins a tenu.

Depuis, je suis Victor ; l’homme-objet, le sextoy sur pattes, la bite à disposition de ces dames. Loin de m’offusquer, ce statut me ravit et me donne accès à toutes sortes d’attentions et de privilèges : les délicieuses bouches, sans l’inconvénient de la parole.

Les mains amollies par l’âge de Ludivine me servent en champagne ; les bracelets dorés de ses bras tintent sur le verre de la bouteille. Même si cette charmante blonde a dépassé l’âge de mes standards depuis quelques années, elle n’en demeure pas moins une superbe déesse, dont la classe irradie comme un soleil d’été. Son sourire m’alpague et mes yeux suivent ce qu’elle me montre du doigt.

— C’est l’anniversaire de Clara, ce soir. Elle veut qu’on lui organise un gang-bang. Bien sûr, j’ai dit que tu en serais.

— Et sans même me demander mon avis avant ! Vieille mégère…

Son rire me rappelle des pies voleuses qui se disputeraient un bout de pain.

— Comme si tu allais dire non !

Je prends le temps de détailler la dénommée Clara. Ce n’est pas la première fois que je la croise à une soirée, mais je ne l’ai pas encore baisé. Du moins, je ne pense pas. Je dois bien admettre que Ludivine dit vrai : il n’existe aucun monde dans lequel j’aurais refusé sa proposition. La minette doit avoir trente – à tout casser – brune, carré au brushing impeccable, rouge à lèvres éclairci par le champagne pour mettre en valeur une bouche que je vois déjà autour de ma queue.

Je vais la rejoindre sur le canapé, mais n’échange pas grand-chose avec elle. Tout juste un nom. Une cour s’est déjà formée autour de la star de la soirée. Elle jase beaucoup, s’agite de soubresauts qui lui font renverser quelques gouttes de sa coupe et aguiche déjà les hommes en frottant ses cuisses sur des pantalons. Son mari la rejoint, ils s’embrassent et partent à l’étage en quête d’une chambre. C’est une véritable procession qui se forme derrière eux : des hommes de toutes les couleurs, entre la vingtaine et la trentaine, essentiellement bien bâtis. Des types comme moi. Alors, bien sûr, j’avance en cadence.

Dans la pénombre de la chambre, on ne distingue plus qu’un joyeux chaos… et la blancheur de la fille qui s’offre à disposition sur le matelas. Cuisses écartées, croupe relevée, nuque tendue pour cueillir les bites dans sa gorge. Son mari a l’honneur de démarrer les hostilités. Il prépare sa chatte, pourtant déjà trempée, avec une dévotion certaine, avant d’y enfourner sa hampe.

La fille gémit beaucoup. Ça résonne en petits cris étouffés sur la queue d’un inconnu. C’est diablement excitant, mais j’attends mon tour. Poliment, sagement. Je me masturbe pour me tenir prêt à prendre le relais au premier relâchement.

Le mari pousse un geignement, qui aurait pu sonner pathétique dans un autre contexte. Ici, sa jouissance est accueillie dans la bienveillance. Sa femme l’embrasse avec une tendresse qui doit en rendre certains jaloux. Pas moi. Je suis simplement heureux qu’ils se soient bien trouvés.

Une nouvelle bite prend le relais. Plus épaisse, elle ramone la chatte suintante de délice avec avidité. Pour le plus grand bonheur de Clara qui témoigne de son bien-être, les paupières mi-closes sous les assauts de plaisir. Même la farandole des queues à sucer s’est assagie pour la laisser profiter. Son corps spasme dans un orgasme qui paraît sensationnel ; l’homme se termine ; un autre prend la succession.

Quand vient mon tour, je suis plus que prêt. Juste le temps de dérouler une capote. Mon mat est rigide comme de l’acier ; un peu grâce au viagra, surtout grâce au spectacle. Mieux qu’un porno : un porno en quatre dimensions. Immersion garantie, plus l’assurance de pouvoir croquer sa part. Je ne me fais pas prier quand Clara attrape mes testicules pour attirer mon engin entre ses lèvres.

Plus tôt, j’avais fantasmé sur cette vision ; ce rouge à lèvres étalé sur ses joues, sa bouche étirée autour de mon membre et ses pupilles dilatées de volupté. Je n’imaginais pas que la réalité dépasserait à ce point mes attentes. Je caresse sa chevelure, davantage pour sentir la douceur de ses mèches sous ma pulpe que pour forcer les va-et-vient dans sa gorge ; elle n’a pas besoin de mon entremise pour cela : elle me suce avec gourmandise.

Quand je me sens sur le point de venir, je suis contraint de me retirer – un crève-cœur – et vire le type qui essayait de faire rentrer sa demi-molle dans l’autre orifice. Il n’y serait pas parvenu, alors les scrupules ne m’étouffent pas longtemps. Et je les oublie complètement lorsque je m’enfonce dans la fente délicate de sa vulve. Je regrette presque la barrière de latex qui m’empêche de savourer son humidité sur ma peau, mais, n’ayant pas de copine, je suis plus qu’habitué à ce maigre inconfort. Et tire mon plaisir ailleurs. Dans l’aisance qu’a son antre à m’accueillir, dans ses muscles toniques qui se resserrent sur ma hampe comme un doux fourreau et dans ses reins cambrés qui pousse vers moi pour m’enfoncer plus en profondeur. Je ne pourrais pas me sentir plus excité par la sensation de ses fesses moelleuses en butée contre mon aine. C’est une fierté puérile de mâle, mais je sais que ma queue est plus grosse que la moyenne ; et il n’existe pas grand-chose de plus satisfaisant qu’une femelle capable de l’accueillir pleinement.

Je n’ouvre la bouche que pour laisser s’évader un soupir silencieux. C’est bon. C’est délicieux. À côté de moi, son mari glisse quelques recommandations dans mon oreille : « Vas-y ! Laboure-la ! Défonce cette chienne ! Elle n’attend que ça ! » Je n’ai guère besoin qu’il emploie la carte du dirty talk avec moi. Je n’ai pas besoin de ça pour comprendre ses envies.

Je commence par caresser son galbe tendrement, puis agrippe ses hanches et entame des mouvements amples, sortant jusqu’au gland et l’enfonçant à nouveau à la garde. Elle gémit ; crie, lorsque la cadence s’accélère. Son mari est obligé de repousser les queues qui harcèlent son visage comme des essaims de moustiques : elle est trop occupée à résister à mes assauts à la force de ses avant-bras, trop occupée à prendre son pied.

Quelqu’un ouvre la porte de la salle de bain. Un jet de lumière nous assaille. Un miroir trône au-dessus de l’évier et me renvoie l’image hautement érotique de ce coït. Celle d’une femme libre, en accord avec ses vices et ses désirs, qui assume et qui adore ça. Celle d’un homme dans la fleur de l’âge, les abdominaux contractés sous l’effort, les cheveux en bataille et le corps élancé d’un étalon racé. Je me sens fort, je me sens viril.

C’est sur cette bouffée narcissique que je jouis. Ma semence, qui jaillit le long de mon sexe pour venir s’écraser dans la prison de latex, me procure une libération jubilatoire. Je pourrais continuer, cela dit ; je n’ai pas encore molli. Mais d’autres attendent leurs tours et j’ai suffisamment savouré les bonnes grâces de la dame ; cette dernière se contorsionne d’ailleurs pour m’embrasser. On n’embrasse pas souvent dans les soirées libertines. En l’occurrence, ce n’est pas un message d’amour, plutôt une manière de me remercier, de me signifier que j’ai bien rempli mon office d’homme-objet et de me congédier poliment.

Je n’en prends pas ombrage. Tout le plaisir était partagé.

Je reboutonne ma braguette, mais ne remets pas ma chemise tout de suite ; j’ai besoin de refroidir. Je retourne donc errer dans le salon. Quelques invités dansent, d’autres s’égosillent en conversations animées sur la crise sanitaire, certains vident la piscine de champagne, quand une petite poignée fait la queue devant les toilettes pour se « repoudrer le nez ». Quelques irréductibles ont moins froid aux yeux et alignent des traces de cocaïne directement sur le rebord de la cheminée, dans une discrétion toute relative.

Et moi, je plane. Encore sous l’effet de la dopamine. Ma queue reste gonflée. Encore sous l’effet du cialis. Je n’ai plus la fougue de mes vingt ans et ces artifices sont bien pratiques pour bander toute la nuit. L’inconvénient est ce mal qui me vrille le crâne. Heureusement qu’on m’attend au tournant sur mes performances physiques plutôt que sur mon intellect.

Je me laisse emporter par les entrelacs de musique et d’ébats. Un soir comme les autres.

— Je peux m’installer ici ?

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