Chapitre 30 : SEUL FACE A SOI-MEME

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 J'arrive devant chez moi, je salue le chauffeur du bus et descends. La maison est encore endormie, je passe devant les lits des jumeaux, ils dorment à poings fermés, ils sourient. Mes enfants sont un don du ciel, Oliver avait raison, ils sont ma raison de vivre. Je me dirige vers la salle de bain, je dépose les billets sur le rebord de l'évier et je m'installe sous la douche. Je ne sais pas combien de temps je suis resté comme cela. Tout ce que je sais, c'est que je ne me suis même pas déshabillé, mes vêtements me collent à la peau. Mon dos a pris appui contre un torse, je sais que c'est Julian qui est derrière moi. Ses mains sont sur mes avant-bras et je sens son menton sur mon crane. J'en ai marre de pleurer, je ne fais que cela depuis des jours et des jours et une fois de plus Julian me ramasse à la petite cuillère.

— Mec, parle-moi s'il te plaît, dis quelque chose. Cela fait plus d'une heure que je suis ici avec toi, tu me fais flipper, là, s'il te plaît dis-moi quelque chose, me dit Julian sans arrêter de me bercer.

— J'ai fait une connerie, Julian.

— L'argent ?

— Oui, l'argent.

— Cela vient d'où ? Tu as volé ce fric ?

— Non Julian je n'ai rien volé, je l'ai gagné.

— Mec, Oliver est parti avec nos gains hier soir, cet argent ne vient pas du concert.

— Non, pas du concert.

— Thomas, dis-moi ce que tu as fait. Je veux savoir d'où vient ce fric.

— A une condition.

— Laquelle ?

— Maman ne devra jamais savoir ce que j'ai fait, tu me le jures ? Jamais !

 Thomas s'est retourné en prononçant ces paroles. Il me fait face et cela m'effraie encore plus. J'ai peur de sa réponse, j'ai peur de ce qu'il va me dire.

— Juré frangin, mais dis-moi d'où vient cet argent !

— Je suis resté plus tard cette nuit. Une femme m'a accosté, je suis rentré avec elle, je l'ai raccompagnée, j'ai passé la nuit dans son lit et elle m'a payé deux mille dollars pour la nuit. Je me dégoûte Julian et quand je vois l'horreur dans tes yeux, cela me dégoûte encore plus.

— Thomas, pourquoi ?

— Parce que je ne sais pas quoi faire pour nous sortir des dettes, deux mille dollars c'est un début. Elle viendra encore au country club, je n'ai rien fait d'illégal, elle est majeure, elle a une quarantaine d'années et j'ai baisé avec des préservatifs. Ne me juge pas, Julian, pas toi.

— Je ne te juge pas Thomas, pas du tout. Et je ne te regarde pas avec horreur ou dégoût, mais je me dis que si tu fais cela, je le fais aussi. Il y a plus terrible pour gagner sa vie.

— Non, pas question, je te l'interdis.

— Tu es qui pour m'interdire quoi que ce soit ???? Je lui réponds en prenant ses mains dans les miennes.

— Je suis ton frère, j'ai fait le gigolo, il ne faut pas que toi tu le fasses, c'est non.

— Ok, tu es mon frère, mais je fais ce que je veux de mon corps, si tu vaux deux mille dollars, moi aussi. Il n'y a pas à discuter. Je vais donner la moitié de l'argent à maman et l'autre moitié à Oliver pour effacer nos dettes et je ne te permets pas de me faire de remarques. On y va àdeux la prochaine fois, c'est comme cela.

 Thomas s'est mis dans mes bras. Je ne sais pas dans quel merdier je viens de me mettre, mais bon on a besoin de pognon, on ne fait de mal à personne, la femme est majeure et les préservatifs sont certains, vu qu'ils sont tout neufs. Je ne suis pas fier de la décision que je viens de prendre, mais il faut que l'on sorte du merdier financier dans lequel on se trouve. Thomas a continué à pleurer dans mes bras, de là aussi il faut que l'on sorte. On est au bout du rouleau et j'ai subitement l'impression que l'on ne sortira jamais du trou dans lequel on s'enfonce. J'appuie ma tête contre le carrelage de la douche, je ferme les yeux et je parle à Sarah. Je sais, elle est décédée, mais j'ai besoin de lui parler. Je le fais en pensée, Thomas souffre assez comme cela, je ne dois pas ajouter une couche à son mal-être. "Sarah, aide-nous s'il te plaît, je suis certain que tu nous surveilles de là-haut, donne-nous un coup de pouces", je ne sais pas ce que l'on doit faire pour sortir de ce merdier...

 Nous nous levons une petite heure plus tard, on se déshabille et on fait sécher nos vêtements, on enfile des vêtements propres. Thomas va voir les enfants, moi je prends l'argent et je descends. Oliver et Carole sont dans la cuisine. Parfait, ce sont les deux personnes que j'ai besoin de voir :

— Bonjour, vous tombez bien, j'ai besoin de vous parler, à tous les deux, je dis en déposant deux tas de mille dollars.

— Bonjour mon poussin, c'est quoi cet argent ? me questionne maman.

— Bonjour Julian, je me pose la même question, ajoute Oliver.

— Ne vous posez pas la question et prenez cet argent. Maman, je sais que papa et toi vous avez beaucoup pris sur vos économies, on vous coûte cher, on est parti à cinq et on est revenu à sept. Cela ne couvre pas ce que vous avez pris, mais il y aura d'autres versements. Il faut juste nous laisser un peu de temps. Oliver, je te fais confiance, arrange-toi pour que cet argent arrive sur le compte des dettes que nous avons. Même chose, ce n'est pas grand-chose, mais d'autres billets suivront.

— Julian, je veux savoir d'où cela vient. Si cet argent provient de la drogue, il n'est pas question que je le prenne. Papa et moi, nous ne vous demandons rien. On peut vous loger, vous nourrir, même si on a pris sur nos économies.

— Maman, pas de question s'il te plaît, prends cet argent.

— Julian, réponds, cet argent vient-il de la drogue ? Carole a pris mes mains dans les siennes, elle serre ses doigts entre les miens. Je suis incapable de lui mentir, tous simplement car c'est ma maman et que j'aime cette personne. 

— Je te jure que non maman, cet argent ne vient pas de la drogue, aucunement, c'est juré.

 J'ai regardé Carole droit dans les yeux en lui parlant, c'est la vérité, mais malgré tout, je ne sais pas comment je vais lui expliquer que son fils fait le gigolo et que le deuxième va s'y mettre aussi. L'idée me répugne, mais bon il faut que l'on sorte du gouffre financier dans lequel on se trouve.

— Julian, cela vient d’où ? Insiste Oliver.

— Si Julian dit que ce n'est pas de l'argent sale, je le crois et toi aussi mon garçon. Plus de question à ce sujet, c'est terminé, ajoute Carole en me prenant dans ses bras.

— Ce que dit Julian est parole d'évangile ?

— Tout à fait Oliver, je crois mon fils et toi aussi tu le crois. Le sujet est clos, argumente maman.

 Tout le monde descend et s'installe dans la cuisine pour le petit déjeuner. Thomas a des difficultés à regarder maman et je le comprends. Je n'ai encore rien fait et je me sens déjà mal, alors lui qui a vendu son corps pour du fric, je comprends sa réaction. A la fin du repas, nous nous levons pour débarrasser, et tout mettre en ordre. Je suis à côté de Thomas et Carole nous prend à chacun une main et nous dit :

— Je ne sais pas ce que vous faites, mais Julian m'a juré que cet argent ne provenait pas de la drogue et je te crois, mon fils, je n'ai aucun doute sur ta parole. Sachez que quoi que vous fassiez, vous resterez mes fils et je suis fière de vous, de ce que vous faites, de l'amour que vous apportez dans cette famille. Je vous aime tous les deux, ne l'oubliez jamais. Elle nous prend dans ses bras et je me dis que je suis fier d'appartenir à cette famille.

 Nous entrons dans le garage pour pouvoir répéter, mais avant cela, Thomas nous demande de nous asseoir, Oliver y compris. Chose que nous faisons. Thomas dit toujours qu'il est le leader du groupe en tant que chanteur, mais pour nous tous, il est le leader tout simplement et si à ce moment précis, il nous demandait de sauter en bas d'un pont, je sais que nous le ferions, tous autant que nous sommes.

— Les gars, vous avez vu que Julian a déposé de l'argent ce matin. Il y avait deux mille dollars, mille pour nos parents, et mille qui sont donnés à Oliver afin qu'il commence à apurer nos dettes. Comme l'a dit Julian, ce fric ne vient pas de la drogue, je le jure sur la tête de mes enfants.

— Thomas ne nous prends pas pour des cons. Tes poches étaient vides hier soir et ce matin, deux mille dollars apparaissent comme par enchantement ? Tu te fous de ma gueule ?? Tu te souviens quand nous nous sommes rencontrés, je t'ai dit que je ne voulais rien, sauf une chose, l'honnêteté, et je constate que cette petite chose, je ne l'ai pas et désolé mec, mais sans cela, je laisse tomber.

— Oliver, ce fric ne provient pas de la drogue, ni de loin ni de près ! Crois-moi ! C'est la vérité !

— Tu produis du fric ? Tu as une planche à billets ? Tu as un arbre sur lequel les billets poussent ? Arrête de me prendre pour un imbécile, merde ! Oliver est furieux et il le manifeste.

— Non, rien de tout cela, mais je ne sais pas comment j'explique à ma mère que j'ai fait le gigolo cette nuit et que j'ai été payé deux mille dollars pour baiser avec une femme qui a son âge et que je ne connaissais pas hier, alors je préfère ne rien lui dire. Voilà, tu la veux la vérité, elle est là !

 Tout le monde a regardé Thomas d'un air ahuri, Oliver reprend la parole :

— Tu as fait quoi ?

— J'ai baisé pour du fric, elle a l'âge de maman, elle est seule, elle me paie pour, je dis oui, j'ai besoin de ce fric.

— Et à partir de la semaine prochaine, je le fais aussi, j'ajoute.

— Vous êtes tous les deux fous ! Nous rétorque Oliver.

— Non, Oliver, on n'est pas fou. On a besoin de pognon, et je ne demande à personne de faire quoi que ce soit. Julian a pris la décision seul, je n'ai rien demandé. Mais honnêtement, il y a plus dégeu pour gagner du fric, même si je suis rentré et que j'ai pleuré comme un gosse en me mettant sous la douche. Tu veux savoir, je me trouve minable, je me dégoûte, mais j'ai deux gosses à nourrir, des dettes incommensurables, alors oui, je baise pour du fric et je n'en n'ai pas honte. Désolé si je te choque, mais tu voulais la vérité !

 Personne n'a rien dit pendant plusieurs minutes. Hugo a parlé en premier en disant :

— Désolé Thomas, mais sur ce coup-là, je ne te suis pas. Je ne suis pas capable de faire cela. Je vais être franc, je suis encore puceau, alors je ne sais pas comment je pourrais te suivre dans ce trip, c'est sans moi.

— Hugo, je ne veux pas que tu fasses quoi que ce soit, je voulais juste vous dire la vérité, mais je ne voulais pas vous dire cela devant maman.

— C'est sans moi aussi Thomas, je ne suis pas capable de faire le gigolo, même si je ne suis plus puceau, je suis incapable de t'aider comme cela.

— Hector, je ne veux rien de ta part dans ce domaine-là. Encore une fois, je veux vous dire la vérité. Je veux que vous sachiez que cet argent ne vient pas de la drogue ou d'un trip illégal, mais je ne veux pas que maman sache d’où cela vient. Vous me promettez de ne rien dire ?

— C'est juré, nous répondons en choeur.

— Oliver, j'ai besoin de toi. Nous avons besoin de toi, tu fais partie de la famille, du groupe. On compte sur toi ?

— Tu, vous pouvez compter sur moi, mais je me joins à Hugo et Hector, baiser pour du fric, je ne le fais pas.

— Je me répète, je ne vous demande rien, je veux juste que vous soyez au courant, c'est tout. Merci à vous tous. Je pense que l'on se doit la vérité, on l'a toujours fait, alors on continue. Je veux que vous me promettiez une chose, tous, autant que vous êtes. Cela doit rester entre nous, aujourd'hui, demain et les siècles qui suivent. Je ne veux pas que mes enfants sachent un jour que leur père et leur tonton ont fait les gigolos afin de pouvoir s'occuper d'eux correctement. Vous me le promettez ?

— Juré, on ne dira rien, aucun de nous. La phrase a été dite par chacun d'entre nous, et je sais que c'est vrai, aucun ne trahira ce secret, aucun d'entre nous.

 Nous nous sommes installés derrière nos instruments et nous avons commencé à répéter. Thomas est fatigué physiquement, il n'a pas beaucoup dormi, mais surtout émotionnellement. Il a gagné de l'argent facile comme il dit, mais je sais qu'il va avoir des difficultés à se regarder dans une glace et pendant un certain temps, c'est certain. Je le sais, car même si je ne suis pas encore passé à l'acte, cela me hante déjà.

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