Chapitre 27 : LE RETOUR A LA MAISON

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 En voyant le cercueil de Sarah, Thomas s'écroule en pleurant. Seigneur, s'Il te plaît, fais quelque chose de positif. Tu nous a pris la femme qu'il aimait, ne me prends pas mon frère, je ne le supporterai pas, je n'y arriverai pas. Oliver d'un côté et moi de l'autre, nous portons Thomas dans l'avion. Hugo et Hector s'occupent des jumeaux. Ils sont sages comme des images, ils pleurent quand ils ont faim, mais autrement, on ne les entend pas, ni l'un ni l'autre. Je pense qu'ils ressentent la tristesse qui existe au sein de notre famille et qu'ils font de leur mieux pour éviter de nous causer des ennuis supplémentaires.

 Quelques heures plus tard, nous sommes enfin arrivés chez nous, nous sommes à la maison. Thomas s'est installé dans mes bras, il n'a pas dormi, mais il est plus calme, plus serein. Je ne pense pas que sa peine s'estompe, mais la vie reprend ses droits, pour nous tous. Nous avons à peine dix-huit ans, nous voulons vivre, simplement vivre.

 Nous reprenons des camionnettes de location pour transporter nos affaires. Oliver nous rejoint plus tard, il s'occupe des documents pour le cercueil de Sarah. Elle n'est pas encore enterrée, mais nous sommes chez nous, ce n'est pas si mal. Je prends un des volants et Hugo le deuxième. Nous arrivons en fin de journée à la maison. Nous avons téléphoné de l'aéroport pour expliquer que nous avions atterri. Il fait nuit lorsque nous sommes devant chez nous. Avant de descendre, Thomas attrape mon bras et me dit :

— Je ne sais pas ce que je ferai sans vous, sans toi en particulier. Je suis là physiquement, mais je n'assure rien, alors que je vois la porte de notre maison. Merci pour tout ce que tu fais. Je me rends compte que je te laisse tout gérer, merci.

— Pas de soucis, mec, c'est moi qui veux remplir les stades, alors j'assume, je lui dis en souriant et en pressant sa main.

— Ouais, remplir les stades... cela me semble loin !

— Non mec, ce n'est pas derrière nous, c'est devant nous ! On va y arriver. Je vais être salaud là, mais Sarah ne voudrait pas que l'on pleure sur notre sort, elle voudrait que l'on travaille, que l'on s'occupe des enfants et que l'on remplisse les stades. Alors, on va le faire. Et je jure devant Dieu que d'ici deux ans, nous aurons notre propre tournée en stades, c'est juré !

— J'ai toujours aimé ta force de caractère, mais là, il va falloir te battre pour nous deux, mec, je n'ai plus de force.

— Je sais, et cela ne me fait pas peur ! On prend le pari ? Juillet 1991, nous aurons notre tournée !

— En stades ?

— En stades et mondiale ! Je te le jure !

— J'y crois, Julian. J'ai l'impression qu'avec toi, on peut décrocher la lune. Merci pour tout frangin, me dit-il en ébouriffant mes cheveux qui sont en bataille comme d'habitude.

— De rien, frangin.

 Carole, Adam, Luke et Matthew sont présents lorsque nous arrivons. J'ai l'impression que leurs sentiments sont mélangés entre la tristesse d'avoir perdu Sarah et le malheur que nous exprimons, mais en même temps, lorsque Carole voit ses petits-enfants pour la première fois, elle est la grand-mère la plus heureuse que je connaisse.

 Comme promis, Carole a aménagé le grenier, avec l'aide de toute la famille, et nous nous y installons Thomas, les enfants et moi. Hector et Hugo ont vu leurs affaires transférées dans nos anciennes chambres et ils s'y installent tout naturellement. Thomas fait bonne figure, mais lorsque Carole le prend dans ses bras en lui disant simplement "bienvenu à la maison", une fois de plus il craque et s'écroule dans les bras de notre mère. Nous partons tous et nous les laissons seuls. Ils en ont besoin. Adam s'occupe de Jackson et moi de Jessica. Hugo et Hector mettent les affaires en place. C'est bizarre, personne ne dit rien, mais tout est fait, tout est en ordre, tout roule. Pourtant, nous connaissons Hugo et Hector depuis une petite année, mais ils font partie de la famille, tout naturellement. C'est bon de rentrer chez soi, c'est la réflexion que je me fais lorsque je me glisse dans mes draps propres qui sentent la lavande. J'adore cette odeur, je suis chez moi, avec les miens.

Malgré tout ce que nous avons traversé, la vie nous sourit à nouveau.  Nous tournons une page négative et ce côté-là nous a aidé à passer un cap, le mauvais est derrière nous. L'avenir nous tend les bras. Thomas monte une bonne heure plus tard. Il s'assied sur mon lit, je ne dors pas et je me retourne. Il me sourit et me demande si il peut dormir avec moi.

— La place est chaude, viens !

 Il se déshabille et je remarque qu'il est maigre comme un clou. Cela ne fait que quelques jours que nous avons fait face à notre destin, mais Thomas est marqué physiquement. On peut compter ses côtes. Il n' a jamais été gros, loin de là, mais comme ceci, c'est vilain, pourtant, je m'abstiens de tous commentaires, ce n'est vraiment pas le moment, vraiment pas.

 Le temps passe, les heures défilent, nous arrivons à la fin de la semaine, Sarah est enterrée aujourd'hui. Oliver a fait tout ce qu'il fallait pour que son corps puisse être rapatrié. Une chappe de plomb règne sur la maison, à part un bonjour, merci ou s'il te plaît, ce sont les seuls mots qui sont échangés.

 Nous sommes tous habillés en couleur foncée et nous sommes étonnés d'entendre la sonnette de la porte d'entrée. Oliver se lève, va ouvrir et demande qui sont les personnes à la porte.

— Bonjour, nous sommes Monsieur et Madame Thorman.

— Bonjour, Oliver. Je peux vous aider ?  Vous tombez mal, nous ne sommes pas fort disponibles aujourd'hui.

— Nous sommes les parents de Sarah, nous voulons voir nos petits enfants.

— Vous vous inquiétez de vos petits enfants ? C'est nouveau cela ? Ce sont les mots que Carole prononcent en se levant. Elle ajoute : "vous n'êtes pas les bienvenus, vous le savez, mon mari vous l'a déjà expliqué".

— J'ai des droits en tant que grand-mère, au même titre que vous ! Ajoute la mère de Sarah.

  En entendant la conversation, Thomas se lève et je le suis. Je ne veux pas qu'il fasse une bêtise.

—Thomas, bonjour fiston. Nous voulons voir nos petits enfants.

— Premièrement, je ne suis pas votre fiston. Vous avez abandonné votre fille, vous n'allez pas accueillir un fils d'ouvrier, musicien de plus !

—Thomas, c'est un malentendu, ajoute Monsieur Thorman.

— Là-dessus, nous sommes d'accord. Vous n'avez rien à faire ici. Dégagez !

— Mon garçon, nous avons des droits en tant que grands parents et je mettrai les meilleurs avocats du pays sur le coup !

— Pour faire quoi monsieur Thorman? Intervient Oliver.

— Je suis le père de Sarah !

— Et ??? Vous voulez quoi ?

— Mes petits-enfants !

— Quels petits-enfants ?

— Sarah était enceinte, nous voulons nos petits-enfants ! Nous avons perdu notre fille, nous voulons avoir nos petits-enfants.

— Vous parlez des enfants de Thomas, je suppose. Mais ils ne sont pas vos petits-enfants. Ils sont nés de mère inconnue. Je ne sais pas qui est Sarah, mais ce n'est pas la mère des enfants de Thomas. Là-dessus, je vous souhaite une agréable journée, comme je vous l'ai dit, nous sommes occupés aujourd'hui.

 Oliver a parlé de façon très calme et posée, tout en fermant la porte. Thomas l'a regardé, lui a souri et s'est mis dans ses bras en ajoutant :

— Je ne sais pas comment tu as fait, mais merci mec ! Merci, elle ne voulait pas que ses parents s'occupent de nos enfants. Ils l'ont mise à la porte quand elle était enceinte.

— Je sais, Julian me l'a dit. Vous savez qui est leur mère. Leur acte de naissance, ce n'est qu'un morceau de papier, et comme cela, ils ne peuvent rien revendiquer.

 Nous partons le cœur lourd vers le cimetière. Oliver a choisi un magnifique cercueil en sapin. C'est idiot, mais je me dis que cela sent bon, que Sarah doit se sentir bien dans un milieu qui sent le pin. Notre famille est présente, nos amis, une grande partie de nos camarades de classe et d'école, sans oublier Monsieur Robinson. Des textes sont lus par Hugo, Hector, maman, ainsi que par Monsieur Robinson. La cérémonie est belle, enfin si on peut trouver quelque chose de beau dans un enterrement. C'est absurde ce à quoi je pense, il n'y a aucun point positif dans un enterrement. Les parents de Sarah sont présents, mais même dans ces moments terribles, nous ne sommes que des ouvriers, des fils d'ouvriers, des musiciens. Nous n'appartenons pas au même monde. Ils ont raison : nous vivons dans l'amour, eux, vivent dans l'argent.

 Je suis seul avec Thomas devant le cercueil, tous les autres ont eu la gentillesse de nous laisser, nous en avons besoin. Je lui prends la main, en lui disant "viens", mais ses pieds refusent de bouger. J'ai l'impression que son cerveau ne capte pas ce que je dis. Il dépose sa main sur le cercueil et demande aux fossoyeurs quand Sarah sera t-elle mise en terre. Les hommes me regardent et j'ajoute : "viens, laisse-les travailler, nous on rentre".

 Là son cerveau s'est remis à fonctionner, un cri sort du plus profond de son être, une fois encore toute la douleur qu'il peut ressentir sort de ses tripes. Cela me déchire de l'entendre ainsi, ce n'est pas humain d'entendre quelqu'un souffrir à ce point ! Il s'écroule à côté de Sarah et les fossoyeurs nous laissent seuls. Je m'assieds à ses côtés et je le berce, j'ai l'impression d'avoir un enfant dans mes bras, il pleure de façon régulière, cela doit être sa façon de réagir et de faire face à son chagrin. Je déteste cette situation, cette impuissance que j'ai en moi. Je ne sais pas comment faire pour aider mon frère. Cela doit faire plusieurs heures que nous sommes là car en regardant le ciel, je vois que le soleil décline, lentement. Thomas ne pleure plus, mais peut-être depuis une trentaine de minutes, pas plus. Je n'ose pas bouger, pourtant il le faut. Je vois Oliver qui marche calmement vers nous. Il s'accroupit et enlève les mèches de cheveux trempées du visage de Thomas :

— Viens mon gars, il faut bouger.

— Non, ça va pas, ajoute Thomas. Sa voix est éraillée tellement il a pleuré et crié.

— Si, il le faut, viens, les enfants ont besoin de vous.

— Oui, je sais, je veux bien me lever, mais je n'y arrive pas, j'ai les jambes endormies.

 Oliver s'approche de lui et passe ses bras sous les siens et le soulève. Thomas ressemble à un pantin, une marionnette décharnée. Nous avons les membres endormis, cela fait trop longtemps que nous sommes sur place. Je prends appui sur mes mains et je me relève. Oliver m'aide d'un bras. Il passe sa main sur nos visages, nous sourit, se met entre nous deux et nous soutient l'un comme l'autre. Et c'est ainsi que nous rentrons à la maison. Nous avons marché pendant une bonne heure, alors que le cimetière se trouve à un petit trois kilomètres de la maison. Carole est aux fourneaux et une odeur de pizza fraiche trône dans la cuisine. Nous nous y installons et si au début, nous mangeons par automatisme, après quelques bouchées, nous mangeons avec appétit, cela fait plus de vingt-quatre heures que nous n'avons rien avalé.

 Oliver assis en face de nous, dans la cuisine, comme si lui aussi faisait partie de la famille depuis toujours nous sourit et complimente Carole :

— Carole c'est excellent, je vais m'installer si vous cuisinez comme cela !

 Nous apprécions tous qu'il lance un sujet de conversation aussi anodin que celui-là.

— J'espère bien mon garçon que tu vas t'installer ! Tu viens d'où ? Tu fais quoi ?

— Je suis un ami de Jon Bon Jovi. J'ai perdu mes parents dans un accident il y a quelques temps et ma tante a voulu récupérer mon héritage, tout en me mettant à la porte. J'ai été sonné chez Jon et il m'a aidé, mais aujourd'hui j'ai récupéré ce qui me revenait, j'ai mis ma tante en dehors de chez moi et je vis de mes rentes. Je ne travaille pas, enfin je ne cherche rien de précis non plus.

— Tu ne travailles pas ? Ajoute Thomas, un sourire aux lèvres.

— Je pense mon garçon que tu fais un super job, tu t'es occupé de mes fils et s'ils avaient eu un manager comme toi, ils ne seraient pas dans la merde qu'ils connaissent aujourd'hui mentionne maman.

— Merci, Carole, je sais ce que c'est d'être paumé, alors si je peux aider, je le fais.

— En parlant de boulot, tu sais que l'on a plus un clou, on a des dettes, pas de quoi te payer, mais on doit bosser, il faut que l'on assure la promo du single. Carole peut te donner à manger et un toit, mais on n'a pas plus à t'offrir. Tu continues avec nous ?

 En entendant mes paroles, tout le monde se retourne et me regarde, et surtout regarde Oliver.

— Pour moi c'est d'accord mon garçon, un toit, à manger, je peux te l'offrir, ajoute Carole.

— Mec, on ne sait rien payer. On va devoir retourner faire des petits boulots pour rembourser nos dettes et tu parles d'engager Oliver ??? Le pot de fromage blanc qui te sert de cerveau a eu trop chaud ? Ou trop froid ? On fait comment ? Ce sont les premières paroles de Thomas.

— L'idée est géniale Thomas ! Ajoute Hugo.

— Vous êtes tous fous ? Vous fumez quelque chose que je ne fume pas ? Vous avez bu ? Oh, soyez réalistes ! Ecoutez : "on n'a plus un rond, on a des dettes". Thomas nous a dit cela en articulant chaque syllabe.

Oliver sourit et ajoute :

— Pour moi cela me va, si vous me promettez de me faire la cuisine tous les jours comme cela Carole, je reste !

—Tu es aussi fou que les autres, mec, on ne sait pas te payer !

— Je sais, j'ai entendu, je ne suis pas sourd.

— Non, t'es pas sourd, t'es con. Tu as entendu, mais tu n'as pas compris, on n'a plus rien Oliver.

— Thomas, je trouve l'idée géniale et si j'ai compris que tu ne vas pas me payer, j'ai compris que tu, que vous avez des dettes, mais je te l'ai dit, je n'ai pas besoin de travailler avec ce que mes parents m'ont laissé. Je sais vivre largement, alors à moins que tu ne trouves autre chose comme argument que le fait que vous ne sachiez pas me payer, je reste. Enfin si vous êtes tous d'accord ?

 On s'est tous regardé, et un sourire est apparu sur chacun des visages présents. L'avenir s'ouvrait à nouveau à nous. Notre futur se remettait sur les rails du positif. J'ai l'impression qu'avoir Oliver auprès de nous est la meilleure des idée que j'ai eue et ce depuis ma naissance. J'ai confiance en lui, je sais qu'il va nous aider. Carole a sorti des flutes et du champagne, en ouvrant les bouteilles, elle nous dit :

— Mes garçons, la vie nous a joué un sale tour, mais cela vous a permis de rencontrer Oliver et je sais Thomas, il ne remplacera jamais Sarah, jamais, mais vous pouvez avoir confiance en lui, je le sens, avec déjà ce qu'il a fait pour l'acte de naissance, nous n'aurons jamais d'ennuis avec les Thorman, et j'avoue que cela me rassure, je veux mes petits-enfants auprès de moi. Oliver va ouvrir une voie vers votre avenir mes fils. Faites-lui confiance ! A l'avenir !

— A l'avenir ! Nous répondons en cœur. Les enfants attendent ce moment-là pour se manifester et je me lève pour prendre Jessica dans mes bras. Je l'embrasse et je lui souris en lui disant "à l'avenir ma belle". Thomas a pris Jackson et fait de même. Hugo et Hector se regardent, nous regardent, lèvent leurs verres et ajoutent :

— A l'avenir et à une tournée !

— A l'avenir et à une tournée en stades, mondiale ! J'ajoute en faisant un clin d'œil à Thomas.

— Vous êtes tous un peu fous, mais j'adore cela nous dit Oliver et il ajoute "à l'avenir et à une tournée en stades, mondiale !"

 Nous avons commencé notre journée en enterrant la femme d'un des nôtres, mais l'avenir nous sourit, j'y crois !

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