CHAPITRE 21 : LA NAISSANCE DE JACKSON

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"On a deux vies. La deuxième commence le jour où l'on réalise qu'on n'en a qu'une."

Confucius

 Sarah utilise le peu de force qui lui reste pour mettre au monde un petit garçon. Il braille moins que sa sœur. Ils vont bien tous les deux, ils sont en pleine santé.  J'ai envie de faire des bonds de joie, je n'ai jamais tenu de nouveaux-nés dans mes bras. C'est un instant magique pour moi, mais il est de courte durée lorsque  je vois le visage de Thomas. J'ai déposé sa fille chez l'infirmière, afin qu'elle s'occupe de ma filleule. Je retourne chez Thomas. Je m'installe dans son dos, il a besoin de soutien, physique et moral. Le prêtre est devant eux, il a pris leurs mains dans la sienne :

— Thomas, veux-tu prendre Sarah ici présente pour épouse ? Lui jurer amour et fidélité dans la joie et la tendresse, dans les moments malheureux, dans la richesse et la pauvreté ?

— Oui, je le veux, répond Thomas.

 Je passe mes bras autour de ses épaules et je lui murmure "je t'aime frangin". De sa main libre, il serre mes mains.

— Sarah, veux-tu prendre Thomas ici présent pour époux ? Lui jurer amour et fidélité dans la joie et la tendresse, dans les moments malheureux, dans la richesse et la pauvreté ?

— Oui, je le veux, répond  Sarah.

— Je vous déclare mari et femme, ce que Dieu a uni, aucun homme ne peut le désunir. Soyez heureux mes enfants.

 Ils se sont embrassés. Elle s'assied sur la table d'accouchement, mais très difficilement. Ses enfants sont dans ses bras, elle les embrasse l'un après l'autre. Elle me regarde, me sourit et dit :

— Tu te rappelles de ce que tu m'as promis ? Ils vont avoir besoin de toi, tous les trois, et je pense surtout le grand. Je t'aime Julian et je te fais entière confiance. Mes enfants seront bien avec toi.

— Je m'en occuperai Sarah, de tous les trois, je te le jure. Ma vue se brouille, mes larmes coulent librement le long de mes joues. Merde, qu'es-ce que l'on a fait de travers pour devoir endurer cela ??? Seigneur, s'Il te plaît, fais quelque chose. Elle ne peut pas mourir. Je serre Thomas dans mes bras, de toutes mes forces, mais je sens qu'il s'écroule et ce n'est que le début, je le sais.

— Je t'aime Thomas.

— Moi aussi, je t'aime ma chérie.

— Tu vas t'occuper d'eux, d'accord ?

— Certainement ma chérie.

— Je ne veux pas que mes parents s'occupent d'eux ! D'accord ? Il n'en n'est pas question. Tes parents, tes frères oui, mais pas ma famille. Ils n'ont pas voulu de moi enceinte, ils ne doivent pas s'occuper de leurs petits-enfants. C'est promis ? On les appelle Jessica et Jackson, d'accord ?

— C'est promis, ma chérie, nous, pas eux. Je t'aime Sarah, oui bien sûr d'accord pour les prénoms, c'est ce que l'on avait dit. Je t'aime.

 Ils se sont répétés ces mots des dizaines de fois, ils se sont embrassés. Elle embrasse ses enfants et puis plus rien. Je comprends la signification de l'expression "un silence de mort". Mon menton était déposé dans les cheveux de Thomas et je ne sais pas l'expliquer, mais il y a un vide, quelque chose qui manque, et puis un bruit horrible, le "bipppppppppppppppppp" du moniteur cardiaque qui explique que le cœur ne bat plus.

— Seigneur, non, pas cela, s'Il te plaît, pas cela.

 Je ne sais pas ce qui s'est passé, le médecin passe devant nous à toute allure, les infirmières sont à l'œuvre aussi. J'entends le prêtre qui vient de les marier, il est agenouillé dans un coin de la salle d'accouchement.

— Heure du décès 2.47h, ce sont les premiers mots que le médecin prononce.

 Je n'arrive pas à le croire, ce n'est pas possible, pas Sarah, non, pas elle. Thomas s'approche du lit de Sarah, il se penche vers elle et embrasse ses lèvres.

— Je suis désolé mon garçon, elle est décédée.

 Thomas crie, hurle à se déchirer les poumons.  Je n'ai jamais entendu un cri comme celui-là.  Je ne l'ai jamais vu comme cela. J'ai l'impression que toute la douleur du monde est en train de sortir de ses entrailles. Moi, je n'arrive pas à bouger, je regarde Sarah, elle a l'air paisible. Thomas me sort de ma torpeur, il est face à moi et il me frappe. On ne s'est jamais disputé, sauf il y a quelques heures, jamais battu mais aujourd'hui, je le laisse faire, je sais que ce n'est pas à moi qu'il en veut, il en veut à la terre entière mais pas à moi. Ses poings martèlent mon torse, j'entends le personnel qui parle de "calmant en intraveineuse". Le médecin s'approche et veut faire une piqure à Thomas, il n'en n'est pas question.

— Arrêtez, stop! Il n'en a pas besoin, il a besoin de moi.

 Mon frère s'écroule dans mes bras, nous sommes assis par terre. Je ne sais pas combien de temps nous sommes restés ainsi, mais Thomas a besoin de moi et je suis là, comme je l'ai promis à Sarah, pour lui et pour les enfants.

 Dans quel merdier sommes-nous ? Je ne le sais pas, mais  ce je sais c'est que l'on a toujours pu compter les uns sur les autres et aujourd'hui encore c'est le cas. Hugo est assis en face de nous, il tient un des bébés dans ses bras et Hector s'approche de nous avec l'autre. Thomas est épuisé d'avoir pleuré, il est au bout du rouleau. Il est toujours dans mes bras, mon t-shirt est trempé par ses pleurs et déchiré par ses poings. Hugo me parle, nous parle :

— Julian, il faut se lever. Il faut que l'on continue à avancer, nous sommes responsables de deux enfants maintenant. Viens, il faut se lever.

 Jessica doit comprendre ce qui se passe, elle se remet à brailler. Décidément, les femmes en font du bruit. Je dégage un bras de Thomas et je prends Jessica.  Ce petit être se calme automatiquement en sentant ma présence.

— Bonjour ma chérie, c'est Julian. On va s'occuper de vous, de toi, je te le promets, nous te le promettons, tous les quatre.

 Hector est toujours debout, il tend Jackson à Hugo, se penche, prend Thomas par les bras et le relève. Thomas est hagard, son regard est vide. Il est gonflé, bouffi, rongé par le chagrin, la tristesse. Il se tourne vers moi et me lance :

— On va encore trouver une solution, je suppose ? Sarah est morte, on est bourré de dettes et on a deux enfants à nourrir, c'est quoi la solution Monsieur Je sais tout ? Tu la connais la solution, alors vas-y !

 En parlant, il s'est approché de moi et il m'a frappé une fois de plus. Je sais que ce n'est pas moi qu'il vise et je pense qu'il s'en rend compte à ce moment précis. Je le vois déglutir avec difficulté, il se passe les mains sur le visage, me regarde et ses larmes redoublent, il s'écroule une fois de plus dans mes bras en me disant "je suis désolé Julian, pardonne-moi". Il me répète cette phrase sans arrêt. Je le laisse se calmer, je prends son visage dans mes mains et ajoute :

— Monsieur Je sais tout n'a pas de solution, mais je sais que si on reste ensemble, on va traverser cet ouragan, on va trouver une porte de sortie. On est dans la merde c'est certain, mais ce qui nous lie ici et maintenant est indéfectible. NOUS existe et on va se battre pour continuer à avancer, on va se battre pour ces deux splendides bambins, on va se battre et on va remplir des stades comme on a toujours voulu le faire, on va y arriver car NOUS, ce n'est pas une idée, NOUS existe et existera jusqu'à la fin des temps ! Tu m'entends, on va se battre, et on commence maintenant. Je t'aime Thomas, on va y arriver, j'y crois.

 Mes frères sont d'accord avec moi, nous allons y arriver ! Nous sortons de la salle d'accouchement, je tiens Jessica dans un bras et Thomas dans l'autre. J'y crois, nous sommes une famille et nous avons des enfants à élever, nous allons y arriver !

 En sortant, nous avons une magnifique surprise, le personnel médical est devant nous avec un tas de sacs en mains avec des biberons, du lait, des couches, il y a absolument de tout. Tout ce dont nous avons besoin pour commencer à élever nos enfants. L'infirmière avec laquelle je me suis disputée s'avance et me regarde :

— Je n'ai jamais vu une famille unie comme la vôtre. Ces enfants ont beaucoup de chance de vous avoir, même s'ils n'ont plus leur maman. Jamais je n'ai vu des gamins aussi déterminés. On s'est cotisé, on est passé dans tous les services, il y a de quoi vous débrouiller pour plusieurs semaines pour les couches et le lait. Il y a les biberons, les stérilisateurs, tout est pour vous.

— Merci Anna pour votre gentillesse et je suis désolé de m'être emporté, je n'aurais pas dû.

— Vous avez bien fait, votre frère a pu assister à la naissance de ses enfants. Vous êtes un homme incroyable ! Me dit-elle en me prenant dans ses bras.

— Merci Anna, merci pour tout.

 Nous saluons le personnel ici présent et nous rentrons à l'hôtel. Thomas est tombé dans un abysse sans fonds et je ne sais pas ce que je peux faire pour le faire sortir de là. Les jumeaux sont sages comme des images, je pense qu'ils ressentent que quelque chose ne va pas. Seigneur, aidez-nous s'Il vous plaît, vous avez repris Sarah, aidez-nous maintenant.

 Nous avons tous pris une douche, nous avons tout mis de côté.

— Thomas, va te reposer, tu fais peur à voir.

— Non, ça va, je vais...

— Rien du tout, cela ne va pas. Va te reposer. Je m'occupe des jumeaux.

— Et tu vas faire cela comment avec deux ? Me dit-il surpris.

— Tu as oublié, mec, je suis "Monsieur Je sais tout", je lui réponds en souriant.

— Je vais dormir, et je m'excuse de t'avoir traité comme cela et je suis désolé d'avoir amoché ta belle gueule, ajoute-t-il en passant sa main sur mon visage.

— Tu as toujours été jaloux de mon physique, mais tu vas voir, cela ne change rien, je suis toujours la belle gueule du groupe ! Je lui dis en le prenant dans mes bras et j'ajoute en murmurant, "on va s'en sortir, je te le jure, on va s'en sortir".

 J'ai confiance en l'avenir, même avec la merde qui vient de nous tomber sur la gueule, je sais que l'on va s'en sortir, je sais que l'on va remplir des stades. J'y crois, on va faire le métier que l'on veut, on va y arriver. Quand on croit à quelque chose très fort, cette chose arrive, peut-être pas de suite, mais elle arrive. Je suis persuadé que l'on a droit au bonheur, je ne sais pas pourquoi nous avons reçu une telle épreuve sur notre route, mais cela ne servira qu'à nous rendre plus fort, j'en ai l'intime conviction. Nous allons nous relever, il le faut, nous avons des enfants à élever, et nous allons le faire. Je dis toujours "nous", car je sais que nous y arriverons ensemble. Ce soir j'ai vu que nous étions unis, Hugo ou Hector ou même les deux auraient pu s'enfuir, sans se retourner, mais ils ne l'ont pas fait et je vois maintenant Hector occupé à changer Jackson et je sais au fond de moi que nos vies viennent de changer par l'arrivée de ces petits êtres.  Nous sommes à un tournant de notre vie, mais ce jour est l'un des plus beaux pour moi, et Jessica me l'a confirmé en me souriant. Si cette petite créature est capable de sourire alors qu'elle vient de perdre sa maman, je suis capable, nous sommes capables de nous battre pour leur donner le meilleur.

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