Pas seuls

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La récolte leur prit presque une moitié de cycle, et pourtant, ils n’avaient même pas fait le quart du premier secteur. Couvert de sueur et de fange, ses longs cheveux blancs déjà noirs de crasse, Kael se décida à appeler à la rescousse le reste de son équipage. Pour cela, il fallait retourner au cotre, qu’il se proposait au passage de rapprocher.

« Je vais chercher le cotre, dit-il à La Brute. J’en profiterai pour appeler les autres. On y arrivera pas à trois. »

La Brute le regarda.

« T’es sûr ? T’avais dit qu’il fallait toujours laisser quelqu’un à bord.

— On est seuls, ici. Y a aucun autre vaisseau à l’horizon, et personne sur cette foutue planète… On peut laisser le vaisseau en orbite, sans pilote à bord (Il hésita) Je laisserai peut-être Omen. »

Indis le regarda en faisant la moue.

« Omen n’est pas handicapée. Elle est juste aveugle. Et parfaitement capable de descendre avec nous. Ce n’est pas une petite poupée fragile, Kael. »

Kael toisa Indis, choqué.

« Aveugle ? Omen ?

— Bien sûr. Tu n’avais pas remarqué ? »

La Brute et Indis échangèrent un regard.

« Sauf ton respect patron, plaisanta le vétéran à qui le sourire était revenu, c’est toi, qui doit être aveugle… Je suis étonné : on dit la vision des nekomats excellente ! »

Les deux compères éclatèrent de rire. Kael réprima un coup d’humeur. Il n’avait pas fini d’en entendre, avec cette histoire.

« Bon. Je vais chercher le cotre. »

Vexé, le jeune perædhel laissa ses employés, franchissant les premiers mètres qui le séparaient d’eux avec humeur. Il arriva au cotre une trentaine de minutes plus tard, encore plus couvert de boue que précédemment.

« Kael à Keita, appela-t-il en rallumant le moniteur. On a besoin d’aide en bas. Je vous renvoie le cotre dès que j’ai rejoins le secteur de récolte. Les coordonnées sont dedans »

Ce fut la voix de Yamfa qui lui répondit.

« Un problème ?

— On a juste besoin de bras supplémentaires pour la récolte.

— Et ton épaule, Kael ? »

Le jeune perædhel cala son dos contre la paroi de l’habitacle.

« Qu’est-ce que tu crois ? C’est déjà guéri. Il ne m’a fallu qu’une petite méditation hier soir pour réparer tout ça. C’était une blessure bénigne, comme j’avais dit. Pas la peine de rameuter toute la cavalerie pour me foutre à poil !

— On a vraiment eu peur, Kael, souffla la jeune fille.

— Ouais, bah en attendant, maintenant, tout le monde est au courant. Je te racontes pas comment ils me chambrent avec ça, en bas ! »

Silence.

« Kael, reprit la voix de Yamfa, pourquoi tu ne leur a pas dit la vérité ? C’était l’occasion rêvée.

— Je leur ai dit la vérité. Un peu arrangée, c’est vrai, mais j’ai dit que j’étais à moitié exo. Ça suffit largement.

— Mais tu aurais dû leur dire que t’étais perædhel. Ils ont vu ton père, en plus ! Il rappellera sûrement. Et il ne gardera pas toujours son piwafwi sur son visage. »

Kael souffla.

« Si, il le gardera. Les miens ne montrent jamais leur visage à ceux qu’ils ne connaissent pas, sauf avant de leur planter une dague dans le cœur. T’as déjà vu le visage de mon père, toi ?

— Je l’ai entraperçu, une fois », répondit Yamfa avec réticence.

Kael pouvait entendre les frissons dans sa voix.

« Bon, et visiblement, ça ne t’as pas plu. Mon père sait tout ça. Il a trente-cinq mille ans ! C’est pas un jeune hënnædhel idiot. »

La jeune fille n’ajouta rien. Elle ne dit pas à son ami que la vue du visage terrible et parfait d’Ar-waën Elaig Silivren, alors qu’elle avait une douzaine d’années, l’avait si irrémédiablement marqué qu’il lui arrivait encore de le voir dans ses rêves. Il n’est jamais bon de dire à son meilleur ami qu’on a fantasmé toute son adolescence sur son père.

Kael mit fin à la communication et s’appliqua à faire décoller le cotre. Le véhicule pouvait rouler – il était même amphibie – mais étant donné le caractère marécageux du cratère, il préférait rejoindre ses amis en volant.

Il ne lui fallait que quelques minutes pour rallier le lieu de récolte. Mais alors qu’il survolait la plaine désolée du cratère, impressionné qu’ils se soient donnés la peine de traverser ce no man’s land à pied, son attention fut attirée par de la fumée au loin. Les yeux plissés, Kael se pencha en avant.

« Yam’, appela-t-il en rallumant le moniteur de liaison. T’es encore là ?

— C’est Kei, répondit son ami.

— Tu peux vérifier un truc s’te plait ? J’ai vu de la fumée à environ 35° de ma position actuelle… Tu me vois sur le radar ?

— Je te vois, Kael.

— Ok. 35°… Tu peux vérifier ?

— Je vérifie ça et je te rappelle. Il paraît que tu veux qu’on descende ?

— Ouais. Je renvoie le cotre dès que j’ai atterri. »

Kael ne tarda pas à apercevoir ses amis qui continuaient à récolter l’ayesh. Visiblement, ils avaient bien avancé.

« Ça y est, j’ai appelé les renforts, annonça-t-il en venant les rejoindre.

— Parfait, statua La Brute. On a déjà récolté plusieurs kilos d’ayesh. Ça coule super vite, en fait. »

Kael hocha la tête. Les choses avançaient bien.

« Qu’est-ce qu’il y a ? murmura La Brute d’un ton concerné en avisant les sourcils froncés de son capitaine. Un souci ?

— On devra peut être partir plus tôt que prévu, et récolter moins que ce qu’on avait décidé initialement », annonça Kael avec regret.

La Brute se rapprocha.

« Tu te sens pas bien ? » demanda-t-il sur un ton encore plus bas que précédemment.

Kael regarda rapidement par dessus son épaule. Indis, sa combinaison ouverte – comme eux tous, elle s’était mise à l’aise – était occupée à charger l’ayesh dans des caisses.

« J’ai vu de la fumée, au loin, murmura Kael en réponse. On n’est pas seuls, ici.

— De la fumée ? »

Kael acquiesça.

« Des humains, selon toute probabilité. Ce qui m’inquiète, c’est que je ne vois aucune trace de vaisseau nulle part. On a rien détecté en arrivant. Bon, on n’a pas passé toute l’orbite de Rvehk au radar, mais vu qu’il n’y avait rien sur le moniteur...

— On devrait partir tout de suite, statua La Brute en se redressant. Avant que ces autres nous repèrent. »

Kael réalisa que le vétéran avait sans doute raison. Mais il venait de renvoyer le cotre, et le reste de l’équipage n’allait pas tarder à débarquer.

« On continue la récolte, dit-il dans un murmure pour ne pas alarmer inutilement Indis. Mais on garde les armes à portée de main. Dès que les renforts arrivent, tu te mets en retrait, histoire de surveiller ce qui nous arrive. »

La Brute acquiesça.

« Entendu. »

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