La blonde

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D’après ce que Montolio leur avait raconté, les recrutements se faisaient dans les bars de nautes.

Les trois amis ne mirent pas longtemps à découvrir le quartier où l’on trouvait ce type d’établissement. Il était au plus près des docks, dans un dédale de rues étroites et douteuses, mal éclairées, dans lesquelles se succédaient débits de boisson, pourvoyeurs de produits chimiques, salles de jeux enfumées et vendeurs de chair fraîche. En passant devant une cabine de connexion à la propreté douteuse, sur le sol de laquelle gisait un type au cerveau grillé, la nuque noire et la bave aux lèvres, Kael frissonna. Lui et ses amis convinrent que jamais ils n’auraient l’idée de se connecter dans un tel endroit.

Comme son père était contre toute modification cybernétique, même minime, Kael n’était pas implanté. Cependant, il comptait bien, avec l’argent de sa première vente, se faire poser un implant neuronal. Il aurait ainsi accès à toutes les ressources de la Crypte et donc, virtuellement, à toute la galaxie. Keita avait reçu un implant tout récemment et lui avait dit que c’était génial.

« Tu entres dans un univers parallèle, littéralement, n'avait-il cessé de pérorer. Tu vois des paysages hallucinants, des gens qui ne sont pas de ce monde. Et tu as accès à toutes les informations, tous les moyens que tu veux.

— Ah ouais ? avait demandé Kael, excité. Tu peux donc te transformer en super soldat, et télécharger tous les derniers armements les plus pointus ? »

Keita avait secoué la tête à regret.

« Bon, on a accès à un nombre limité de ressources, lorsqu’on est un citoyen lambda comme moi. Mais, si tu es un casseur… Virtuellement, tout est possible. »

Kael avait hoché la tête. Un casseur. Un pirate… Comme son oncle et Second-Père, Lathelennil. Lui, il savait comment pénétrer le système de sécurité de la Crypte. Sa mère le lui avait lâché, un jour, entre le coimas et le gâteau de cerdyf confits. Elle lâchait beaucoup d’infos comme ça, sans même s’en rendre compte, à la grande satisfaction de Kael.

Les trois amis arrivèrent bientôt face à une enseigne représentant un bateau voguant sur la mer, attiré par une lumière au loin. L’image, qui rappelait à Kael la tapisserie qui ornait le rez-de-chaussée chez ses parents, inspira confiance au perædhel. Une tapisserie qui avait appartenu à son grand-père, et qui lui rappelait l’année qu’il avait passée avec lui et sa nounou Isolda dans son cair.

« Le Phare… lut-il pensivement. Ça me paraît bien, non ?

— Qu’est-ce que ça veut dire ? demanda Yamfa.

— Aucune idée. Keita ? Y a l’intra-réseau, ici, en accès libre.

— Attends, j’essaie de me connecter. Y a du monde, ou alors le débit est dégueulasse.

Les deux compagnons attendirent, les bras croisés, que Keita arrive à extraire l’information demandée. Légèrement jaloux de leur ami et de son implant neuronal, Kael et Yamfa attendirent, affichant ostensiblement leur impatience.

— Ça y est, j’y suis… Phare… Amer paysager. Lumière qui rappelait les bateaux au port les jours de gros temps, et leur signalait la côte, lorsque la visibilité était nulle.

Kael hocha la tête.

— Parfait. Ça me va. Bon, on entre ? »

Le bar était plein à craquer. Une petite musique – de la pop républicaine – résonnait dans la salle, assez fort pour que tout le monde puisse l’entendre malgré les bruits de conversations envolées. Un arrière-fond, comme disait souvent Kael, pour qui la musique était quelque chose de visible, de palpable, et même, parfois, de dangereux.

Les trois jeunes entrèrent prudemment, la tête rentrée dans les épaules, essayant de se faire le plus discrets possible. Même le fier Kael, jamais le dernier à plonger dans l’aventure et l’inconnu, n’en menait pas large. Ce bar était peuplé de vrais nautes, venus des quatre coins de la galaxie. Des regards lourds d’expérience, reflétant le fracas des batailles et des explorations lointaines, suivirent leur avancée. Les trois amis avisèrent une table – la seule qui était libre – et s’y assirent.

« Bon, on fait quoi maintenant ? souffla Keita.

— Bonne question. Et si on commandait à boire, d’abord ? »

Mais Kael s’était déjà levé.

« Les gars, annonça-t-il à la cantonade, mes mains posées sur ses hanches, dans une position qu’il affectionnait, imitée de son Second-Père. Je me nomme Kael Srsen, capitaine de navire marchand… Je cherche à recruter un équipage. Trois postes sont à pourvoir sur mon bord : celui de navigateur, celui de psyonique, et celui d’homme de main… Un type qui sait manier un collisionneur, et qui n’a pas peur de s’en servir. Pour le reste, on se répartira les tâches entre nous. Alors ? Qui en est ? »

Un silence hostile suivit sa déclaration. Puis une voix s’éleva :

« Quelle sera ta première destination, et pour quelle marchandise ? »

Kael sourit, se remémorant des histoires de raids sur des mondes lointains de son Second-Père Lathé.

« Je pensais à Rvehk, pour aller explorer les ruines sauriennes et ramener du l’ayesh… Il paraît que ça se vend plutôt pas mal. »

L’homme qui avait posé la question – un type sans âge portant cicatrice et regard de vétéran – leva un sourcil appréciateur.

« L’ayesh ? Je suis étonné qu’un gamin comme toi sache ce que c’est !

— J’ai l’air jeune, mais je sais ce que c’est que l’ayesh, et sûrement mieux que la plupart des types ici. T’en as déjà pris ?

Le type secoua la tête.

« Bien sûr que non ! Ça coûte un bras, et les effets sont incontrôlables.

— Ben moi, j’en ai déjà pris, statua Kael en croisant les bras. Parfois, mieux vaut ne pas présumer ce qu’on ne sait pas ! Alors ? Des volontaires en quête d’un capitaine ?

— Pfeu ! Un capitaine en couches-culottes, oui ! » entendit-il du fond du bar.

Kael ne releva pas. C’était la vérité : il était très jeune. Ce seul fait sembla décourager les nautes présents, car tous retournèrent à leurs jeux, à leurs conversations et à leur boisson.

« C’était bien essayé, Kael, le réconforta Yamfa en posant sa main sur l’épaule de son ami. Bien essayé, et très courageux.

— On ferait mieux de mettre une petite annonce quelque part, murmura Keita. L’astroport de Thriton possède une chambre virtuelle où on peut déposer ce genre de chose. Je ne sais pas si c’est vraiment lu par les profils qui nous intéresseraient, mais on peut toujours essayer. Ça ne coûte rien.

— Ok, fais-le, alors » répondit Kael avant de héler une IA serveuse très rudimentaire, ressemblant à un disque volant.

Les trois amis burent trois mélanges à base d’alcool syntonisé, portant tous les noms de vaisseaux célèbres. Le Sekhmet, qu’avait pris Kael du nom de ce croiseur de guerre mythique dont sa mère lui avait rebattu les oreilles étant gamin – il avait même eu une image holo de ses lignes racées dans sa chambre pendant des cycles – était un liquide noir et épais dégageant une amertume qui fit grimacer le jeune homme.

« Pouah, pesta-t-il après avoir trempé ses lèvres dedans. On dirait que c’est à base de carburant fossile !

— C’est fabriqué à partir d’une très ancienne boisson terrienne, lui apprit Keita après avoir scanné la boisson et soumis son analyse à son utilitaire relié à la Crypte. La Gwyneth »

Kael releva son regard vert lagon sur son ami.

« La Gwyneth ? Qu’est-ce que c’est ? L’ancêtre du gwidth ? »

Keita haussa les épaules.

« Je sais pas. Apparemment, c’était très prisé chez les humains à une certaine époque… Chez les ældiens, aucune idée. »

Kael en reprit une gorgée. Il ne trouvait pas ça fameux, mais il était capitaine de vaisseau, désormais : pas question de flancher devant tous ces nautes qui le regardaient, il s'en doutait, du coin de l’oeil.

Et il faisait bien, car bientôt, une jeune femme se faufila jusqu’à leur table. De grande taille, mince, elle avait de longs et lisses cheveux blonds, attachés en demi-queue, des yeux bleus et un visage franc et franchement très joli. Surtout, elle semblait ne pas être vraiment plus âgée qu’eux.

« Je m’appelle Indis Reiss, je viens de la colonie de Mars, sur Solaris. Tu es d’origine martienne toi aussi, non ?

— Lointaine et partielle origine martienne, confirma Kael. De par ma mère.

— Cela se voit. Et avec ton nom… Bref. Je cherche un équipage pour embarquer. Et j’ai une formation de navigatrice. »

Kael la regarda.

« Tu n’es pas une IA, pourtant.

— Toutes les navigatrices ne sont pas des IA, répliqua la jeune femme. Tiens. Voilà mes références. »

Elle tendit un minuscule boîtier à Kael, qui le regarda sans rien dire. Une sauvegarde ISD-4.

« Tu peux regarder ? » demanda-t-il en la tendant à Keita.

Keita prit le tout petit objet et le regarda avec suspicion.

« Pas d’infection ni rien, hein ?

— Vous pouvez me faire confiance », répondit la fille en le regardant dans les yeux.

Keita sortit un câble de connexion et le brancha sur son port neuronal, avant de le relier au boîtier. Il resta le regard fixe un petit instant puis se débrancha.

« C’est vrai, c’est bien une navigatrice, confirma-t-il. Diplômée de l’école de navigation de Mars… Juste il y a quelques mois.

— C’est pour ça que je cherche un équipage. Et vous n’avez pas l’air plus expérimentés que moi ! Dites-vous bien qu’aucun navigateur expérimenté n’acceptera de voler avec un capitaine aussi jeune. T’as quel âge, Kael Srsen ?

— Dix-huit ans, lui avoua Kael.

— J’en ai vingt, pour ma part.

— C’est que deux ans de plus, répliqua Kael.

— C’est toujours deux ans de plus », répliqua la fille.

Elle avait la répartie rapide. Jugeant que c’était sans doute une bonne chose pour une navigatrice, qui devait jongler entre plusieurs postes et coordonner des opérations, il se tourna vers ses amis.

« Alors ? Qui vote pour, qui vote contre ? »

Les deux mains de ses amis se levèrent. Ils étaient pour.

Kael se tourna vers Indis.

« Parfait. Tu es embauchée ! »

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