Vers les mondes sauvages et mystérieux

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Dis-moi, Muse, cet homme subtil qui erra si longtemps, après qu'il eut renversé la citadelle sacrée de Troie.

Et il vit les cités de peuples nombreux, et il connut leur esprit ;

Et, dans son coeur, il endura beaucoup de maux...

Homère, L'Odyssée, antiquité pré-atomique

***

Un silence angoissant suivit son message. Puis, enfin, la lueur orange se ralluma sur le moniteur.

« Autorisation d'apponter. Bienvenue chez vous, capitaine Srsen. On vous attend sur le pont B pour l'enregistrement. Demandez le bureau administratif des licences commerciales. »

Kael jeta un petit regard satisfait à son copilote.

T'as entendu ça ? Capitaine Srsen, avait l'air de dire ses pétillants yeux verts.

Puis, la main sur le manche, il entama la manœuvre d'appontage, en sifflotant.

« Arrimage, annonça la voix de l'IA représentant le vaisseau. Belle manœuvre, capitaine. »

Le susnommé croisa les mains derrière son cou, rejetant au passage l'une de ses longues mèches blanches derrière son épaule.

« Ah, je vais apprécier ce nouveau titre, fit-il, triomphal. Capitaine Srsen. Ça sonne tellement bien !

— N'en profite pas trop, va, grogna Yamfa d'un faux air bougon. C'est pas parce que le vaisseau est enregistré au nom de ta mère qu'on va te lécher les boules, Caëlurín. »

Ce dernier fit mine d'être fâché : ses amis ne l'appelaient par son nom complet que lorsqu'ils voulaient l'embêter.

« Reconnaissez que cette manœuvre était nette et sans bavure. J'aurais même pu le faire sans les mains, tiens ! »

Yamfa, sa copilote, se leva en roulant des yeux.

« Vantard, va, lui lança Keita. C'est affreux, d'avoir un capitaine qui se la pète autant !

— C'est bien vrai, ajouta Yamfa. Si tu dois vraiment être le capitaine, faudra que tu modifies ce comportement de merde ! »

Kael se mit à rire, affichant un sourire parfait.

« Bande de rageux ! Vous êtes juste furieux parce que vous avez parié contre moi et mes capacités à piloter ce vaisseau comme un pro. Allez, aboulez la monnaie ! Je prends toutes les devises. »

Faisant semblant d'être ulcéré, Keita lui donna son convertisseur de devises, réglé sur la somme qu'ils avaient pariée. Yamfa fit de même, avec bonne humeur : personne ne restait longtemps fâché contre Kael.

Ce dernier plaça les deux petites sphères devant la sienne, qu'il portait autour du cou, à côté d'une chaîne sur laquelle était accroché un beau cristal rouge.

« Merki », minauda-t-il avant de déplier sa haute silhouette et de rendre les deux convertisseurs à ceux qui étaient respectivement son co-pilote et sa comptable.

Leur navire, un vaisseau sans armement ni cargaison, ne possédant pas encore la licence de commerce de l'Holos, ne comptait que trois membres réguliers dans l'équipage : Yamfa, Keita et Kael. Trois amis d'enfance issus de la même planète, une petite colonie perdue aux confins de la Voie, éloignée de toute route commerciale sérieuse. Pour ses dix-huit ans, Kael avait reçu de sa mère ce vaisseau, un ancien croiseur de la Towa qu'il avait retapé avec ses deux amis pendant plus d'un an. Puis il avait quitté Pangu avec ses deux compères, afin de réaliser son rêve : devenir naute. Comme sa mère, il voulait voguer dans l'espace et vivre des aventures. Kael avait gardé certains souvenirs de l'époque où il croisait dans la Voie avec elle : des images de mondes merveilleux, de batailles spatiales épiques, d'exos dangereux... Des impressions qu'il brûlait de retrouver. Du jour au lendemain, Rika Srsen, célèbre et intrépide pilote tête brûlée, un temps recherchée dans la Voie comme terroriste (à tort bien sûr) avait raccroché émetteur GBE et collisionneur à neutrons pour aller s'installer sur une colonie agricole et y cultiver du riz. La vie si excitante de son fils était devenue d'un ennui mortel : on l'avait même forcé à aller à l'école, avec d'autres enfants. Le point positif de cette machine à laver les cerveaux, c'est qu'il y avait rencontré ses deux amis, qui vivaient chacun avec leur famille dans une ferme à plusieurs kilomètres de la sienne, et que leurs parents étaient même devenus amis avec les siens (ce qui n'était pas une mince affaire). Mais Kael rêvait des étoiles. Et une nuit, il avait décollé.

Keita et Yamfa avaient prévenu leurs parents, qui leur avaient donné leur accord.

« Tes parents n'ont rien dit ? avait demandé Keita. Même pas ton père ?

— Rien, avait menti Kael. Rien de rien. De toute façon, lui, il ne dit jamais rien. S'il y en a un des deux qui doit gueuler, en général, c'est ma mère. Lui, il reste derrière à me regarder d'un air réprobateur. »

En réalité, Kael ne les avait même pas prévenus. Il savait que ses parents allaient préférer l'enfermer dans le sous-sol de la ferme plutôt que de le laisser partir. Maintenant que le mal était fait, il comptait profiter de l'escale sur Thriton pour leur envoyer un petit message : Je vais bien. Je vis ma vie. Ne vous inquiétez pas pour moi. Un message crypté, bien sûr : même si leur vaisseau, l'Elbereth, était bien planqué sous un de leurs champs et qu'ils n'étaient pas montés dedans depuis des dizaines d'années, ses parents savaient encore voler, et les connaissant comme il les connaissait, c'était quasiment certain qu'ils allaient mettre le cap sur Thriton aussi vite que le message leur serait parvenu.

Kael réprima un frisson, songeant à la honte qu'il ressentirait alors. Surtout que tout le monde connaîtrait son secret. Bien entendu, ses deux amis le connaissaient déjà : ils avaient vu son père à plusieurs reprises, et même ses frères et sœurs. Mais ici, sur une colonie civilisée, à la ville, devant tout le monde... Kael secoua la tête. Ce n'était juste pas envisageable.

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