Amère désillusion

6 minutes de lecture

Kael raccompagna Omen dans sa cabine, puis il se mit à la recherche de Yamfa. La jeune femme comptait et recomptait des caisses vides dans la soute. Lorsque Kael lui prit le bras pour signaler sa présence, elle se retourna et, d’une seule détente, lui asséna une claque retentissante.

« Salaud ! » feula-t-elle, les larmes ruisselant sur son beau visage grave.

Kael la regarda, interdit. Au fond de la soute, Anguel lâcha le système de refroidissement qu’il était en train de tripoter et s’essuya les mains sur sa combinaison de travail.

« Mais… pourquoi ? demanda Kael d’une voix douce.

— Et toi, pourquoi tu m’as embrassé, hein ? répliqua Yamfa. Pourquoi tu m’as pris contre toi la dernière fois, avec cet air protecteur ? Pourquoi tu me jetais un de tes regards incandescents à table, pendant que personne ne regardait ? Pourquoi tu t’amusais à me séduire, si c’est pour te rouler avec Omen dans la couchette de ta cabine ? »

Anguel s’était rapproché.

« T’as couché avec Omen, Kael ? s’étonna-t-il, ouvrant de grands yeux noisettes.

— Cet enfoiré se l’est tapé, ouais ! répondit Yamfa à sa place. Pendant que nous, on s’inquiétait des ældiens et d’autres choses. Et dire que c’est eux, qu’on prenait pour des prédateurs ! T’es pas différent d’eux, Caëlurín !

— C’est clair que c’est dégueulasse, renchérit Anguel. Quant on sait ce qu’à traversé la pauvre Omen… T’aurais pu attendre un peu avant de la sauter, merde ! Un peu de tact, ça fait jamais de mal », ajouta celui qu’il y a peu, tout le monde appelait La Brute.

Kael releva le regard vers eux, alarmé.

« Quoi ? Elle a vécu quoi ?

— Elle était dans une maison de passe, avant de venir ici, idiot ! tempêta Yamfa. Réveille-toi un peu ! Dans quel monde tu vis ? Tout le monde le savait ici, sauf toi ! Déjà que t’as mis des semaines à remarquer qu’elle était aveugle ! Parce que tu ne fais attention à rien, que tu passes ton temps à rêver éveiller, à te morfondre sur tes petits problèmes d’enfant gâté, à faire le beau avec ton physique de star de la pop et à donner aux autres des conseils que tu ne suis même pas ! »

Kael recula comme si on l’avait frappé. Même Anguel baissa la tête devant la véhémence de la jeune fille.

« Mais je vous jure que je n’ai pas…

— Arrêtes de jurer, ta parole ne vaut pas un clou ! s’emporta Yamfa, plus remontée que jamais, avant de le singer avec forces mimiques : Oh, il faut sauver cette pauvre Indis des griffes des aeldiens, attention les filles, ces vilains elfes vont vous violer, mais venez vous réfugier dans mon lit plutôt ! Et que je te fais un clin d’œil à l’une tout en tâtant le fessier de l’autre, pour mieux en choper une troisième ni vu ni connu !

— Mais… Yamfa…

La susnommée était devenue inarrêtable.

— Tu crois que je n’avais pas remarqué le cirque que tu faisais autour d’Omen, depuis le début ? À la porter dans les bras, la surprotéger, exiger qu’elle aie toujours la meilleure place pendant que nous, on nous mettait dans la soute, lui toucher la main, lui susurrer je ne sais quoi à l’oreille, à pavaner devant elle et à lui faire tes sourires charmeurs comme si elle pouvait te voir ! C’est insupportable, ça énervait tout le monde, même Indis ! C’est même pour ça qu’on a voulu rester avec les ældiens, tellement tu nous gonflais avec elle. T’as dû de la faire aussi, tiens ! Mais je pensais pas que t’oserais te taper une fille qui vient à peine de s’enfuir d’une usine à sexe, une pauvre gamine qui se faisait caramboler par cinquante types par jour depuis l’âge de dix ans ! T’es juste monstrueux, Kael ! »

Très choqué, Kael continua à reculer. Son dos toucha la paroi d’iridium de la soute.

Omen… Omen n’était pas vierge. Et c’était une ancienne prostituée. Qu’est-ce qu’elle avait pu penser de lui ! Elle a dû me prendre pour l’un de ces pervers qui payaient pour elle, réalisa Kael.

Comme Yamfa n’arrêtait pas de l’insulter, de plus en plus violemment, Anguel s’interposa.

« Bon, je crois que Kael a compris, maintenant, fit-il en repoussant la jeune femme qui ne cessait d’avancer sur lui. Il a eu sa leçon. »

Lorsqu’elle lui mit une deuxième claque, sur l’autre joue, Kael ne réagit pas.

« T’es un bel enfoiré, répéta-t-elle, les yeux brillants de larmes. Il fallait que t’ailles voir la fille qui t’était interdite… Alors que moi, j’ai toujours eu des sentiments pour toi, Caëlurín ! Mais tu ne t’es jamais intéressé à moi. Tu reluquais Indis et Omen, et moi, j’étais juste bonne pour te faire patienter avant que tu ne rafles le gros sandwich ! »

Anguel recula à son tour.

« Euh, je crois que je vais vous laisser vous expliquer entre vous, les gars, dit-il, les deux mains devant lui, avant de battre en retraite.

— Oui ! Ça vaut mieux ! » grinça Yamfa.

Lorsqu’Anguel se fut éloigné, Kael tenta de s’expliquer.

« Yamfa, je t’assure que je…

— La ferme ! le coupa-t-elle. Je t’ai assez entendu. Je ne veux plus que tu me parles, ok ? Dès qu’on sera de nouveau en rade d’une colonie humaine, je prends le premier navire en partance pour Pangu. Je rentre, Kael. Tu pourras te taper toutes les filles que tu veux ! »

Kael fronça les sourcils. La surprise passée, elle était progressivement remplacée par la colère. Lorsque Yamfa fit mine de lui tourner le dos, il l’attrapa par les épaules et la força à lui faire face.

« Tu vas m’écouter, un peu ? souffla-t-il. Je n’ai pas couché avec Omen : je l’ai juste embrassée. C’est vrai que je ne savais pas, pour son passé. Si j’avais su, je me serais comporté différemment. Et puis faut que tu comprennes, Yamfa : depuis le début, Omen s’est montrée très gentille avec moi. Elle m’a plus ou moins fait comprendre que je lui plaisais… Comme un homme plaît à une femme. Toi et moi, on a toujours été comme des bons potes, à s’envoyer des vannes et tout… Je n’ai jamais senti le moindre intérêt de ce genre de ta part.

En voyant l’amertume dans les yeux de la jeune fille, Kael comprit qu’il avait commis une nouvelle bourde.

— C’est donc comme ça que tu me voies, Kael ? Comme ‘un bon pote’ ? T’as jamais remarqué que j’étais une fille ? C’est moins évident que chez Omen, peut être ?

— Si, mais…

— Mais quoi ? »

Kael voulut argumenter, lui dire qu’à peine trois semaines auparavant, il n’avait jamais regardé une fille – n’importe quelle fille – comme une partenaire sexuelle possible, mais elle l’interrompit avant qu’il ne puisse ouvrir la bouche.

« Je suis amoureuse de toi, Kael, asséna Yamfa. Cela fait des années. Depuis qu’on s’est rencontrés, en fait. J’attendais juste que tu me remarques. Mais visiblement, je ne suis pas ton genre.

— C’est pas ça, contra Kael, c’est juste que… Enfin, j’ai jamais pensé que tu me voyais comme ça ! On se connaît depuis l’enfance, tu sais tout de moi.

— Et alors ? Justement.

— Ben comment je pourrais… t’impressionner, alors que tu m’as vu courir tout nu dans la forêt, avec mon panache et tout ça, qu’on se fait des réunions en pyjama et que tu me vois me planter tout le temps ? Et moi qui te racontes tout, mes pires humiliations entre autres… Comment veux-tu que je… Sois le type qui assure, qui gère, après ça ? »

Kael savait que ce n’était pas tout à fait vrai. Il ne lui avait pas tout raconté. Les choses les plus humiliantes, il les gardaient pour lui.

« Tu n’as pas besoin de m’impressionner. Je t’aime comme tu es, Kael, lui répondit tristement Yamfa. Après, si t’as besoin de te voir comme un super héros dans les yeux d’une fille… Quoique t’en étais pas loin, aux miens, avant de sauter sur cette pauvre Omen comme un saurien affamé ! »

Ayant achevé sa diatribe, elle le planta là.

Annotations

Vous aimez lire Maxence Sardane ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0