Découvert !

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Kael fut assailli de visions de cauchemar, pendant lesquelles il vit tous les membres de sa famille ignominieusement torturés et mutilés, ou morts. Cela ne dura qu’une fraction de seconde, mais le laissa complètement sonné.

La Brute était passée à l’attaque, déterminée et silencieuse. Elle avait pulvérisé le fantôme d’un coup de bolter à la détonation muette, mais Kael dérivait à présent dans l’espace, s’éloignant de plus en plus du cotre. D’un monde lointain lui parvint la voix du vétéran au microvox.

« Je vais le chercher. Dégage le cotre d’ici et prends-nous à mi-chemin. »

Kael dérivait. Lorsque les bras puissants de La Brute le saisirent, c’est à peine s’il ouvrit les yeux.

« Putain d’attaque psychique qu’il s’est pris ! » grogna La Brute en le tirant dans le sas du cotre.

Le temps sembla se distendre. Une seconde après – ou une heure, il ne savait plus – il était sur le sol de son navire, tiré sous les bras, puis soulevé, et mis sur son lit.

« Qu’est-ce qu’il a eu ? fit la voix inquiète de Yamfa.

— Un de ces morts-vivants lui a arraché l’épaule. Mais le pire, c’est la tentative d’invasion de son esprit qu’il a subi de plein fouet. Je l’ai entendu hurler : il a parlé de sa mère, de son père, torturé dans l’Abîme… T’as le médikit ? »

Kael sentit qu’on le débarrassait de sa combinaison keihilin. Puis de sa tenue de vol. Il tenta de protester, mais aucun son ne sortit de sa gorge. Un silence se fit lorsque sa queue pelée se déroula comme un élastique qui se détend, retombant inerte sur le matelas. Ce silence fut coupé par La Brute après la petite minute réglementaire de stupeur qu’amenait forcément une telle découverte :

« Bon. Scanne son épaule d’abord, décida La Brute. Et donne-lui ce comprimé. Pour le reste, on verra plus tard. »

Kael entendit la petite sonnerie régulière du médikit qu’on lui passait sur le corps. Le bruit strident s’accéléra en passant sur son épaule, et la voix de l’IA s’éleva :

« Fracture de l’acromion diagnostiquée. Intervention chirurgicale recommandée. Attention : la densité osseuse du patient paraît problématique. »

Tiré de son état nébuleux par la voix pointue de l’IA médicale, Kael laissa échapper un juron.

« C’est bon, c’est rien, fit-il d’une voix rauque, en tentant de se redresser. Je vais déjà mieux ! »

La main ferme de La Brute le repoussa sur sa couchette. Horrifié, Kael s’aperçut que tout son équipage était là, massé autour du lit.

« Mais qu’est-ce que vous faites tous là ? grogna-t-il. Vous devriez être à vos postes. Il faut quitter cet endroit au plus vite ! On n’a pas le temps de trainer.

— Keita est à la barre, lui répondit Yamfa. Ne t’inquiète pas, Caëlurín. »

Kael poussa un nouveau juron, roulant sur le côté. Apercevant sa queue pelée, il tenta de mettre la couverture dessus. Mais il ne parvint qu’à susciter une nouvelle vague de douleur dans son épaule, qui le fit à nouveau jurer.

« Calme-toi, lui dit La Brute en replaçant la couverture sur son panache miteux. On est en train de quitter cet endroit. Ton second assure le pilotage. En attendant, il faut qu’on te mette dans le caisson mediset. Tu penses pouvoir y aller tout seul ? »

Kael chercha Yamfa des yeux. Elle, elle comprendrait. Il fallait qu’elle comprenne. Qu’elle les arrête.

« C’est bon je te dis… J’ai rien. J’ai juste besoin d’un peu de repos.

— Arrête de faire le fier à bras, intervint Indis. J’ai vu ce que cette créature t’a fait. Elle t’a broyé la clavicule. Et tu hurlais comme un dément.

— C’est pas à cause de ça qu’il hurlait, je crois, intervint La Brute. Mais qu’importe. Je vais le mettre dans le mediset, et vous allez m’aider à le porter. Allez, à la une, à la deux… On le soulève ! »

Kael se sentit soulevé par ses trois compagnons. On le portait comme un infirme ! Il grogna, feula de colère, sa queue s’ébattant dans tous les sens. Après avoir reçu un coup de fouet, Indis le lâcha, ainsi que Yamfa. Seule La Brute continuait à le porter.

« Mais lâche-moi, putain ! rugit Kael, fou de rage. Puisque je te dis que j’ai rien ! Dans quelle langue il faut que je te le dise ? Tu me laisses tranquille et tu retournes à ton poste, c’est un ordre ! »

Indis battit en retraite sans se faire prier. Yamfa attendit, un peu en retrait, alors que La Brute s’éloignait à son tour, non sans lui avoir jeté un dernier regard.

« Merde ! siffla Kael. Ils savent tout, maintenant.

— Omen n’était pas présente, le rassura Yamfa. Elle est avec Keita… Et je pense que, jusqu’à ce que tu te débattes, Indis n’avait rien vu.

— Je peux pas aller dans le mediset, grogna Kael, tu le sais bien ! Le programme va me refuser en tant qu’exo. Je le sais, j’ai déjà essayé ! »

Yamfa baissa la tête.

« Je suis désolée... »

Kael prit une grande inspiration et se massa le front, se forçant à se calmer.

« Pardon Yam, dit-il. Je ne voulais pas te parler comme ça… Tiens, passe-moi le pistolet alcaloïde, stp. »

La jeune femme le lui tendit prudemment.

« Kael… »

Après s’être fait une injection dans le bras, ce dernier se leva. Il passa devant son amie et retourna dans le cockpit, rajustant sa combinaison qu’on avait commencé à lui enlever.

Encore un peu, et je me retrouvais à poil, avec le robinet qui coule, devant tout mon équipage, pesta Kael en zippant sa combi. Son panache pelé s’enroula autour de ses hanches, mais à l’extérieur, cette fois. Le mal était fait, de toute façon. Il ne fallait pas rêver : tout le monde avait vu sa queue de maki catta.

Lorsqu’il passa devant Omen, la jeune femme lui prit le bras.

« J’aurais aimé pouvoir faire plus, capitaine, murmura-t-elle. J’ai essayé de vous prévenir. »

Kael s’arrêta et baissa les yeux sur elle. Comme à son habitude, elle évitait son regard.

« C’est toi qui m’as parlé tout à l’heure, dans le vaisseau ? »

Omen garda le silence. Mais, dans son for intérieur, Kael sentit qu’elle acquiesçait.

« T’as réussi à communiquer avec lui pendant l’explo ? » demanda La Brute, qui s’était approchée.

Comme Omen gardait le silence, Kael répondit pour elle.

« Elle m’a transmis certaines informations tout à l’heure, confirma-t-il. Le coup du couloir de gauche notamment, c’était elle… Je crois qu’on peut tous la remercier. On lui doit une fière chandelle ! »

La Brute acquiesça.

« C’est bien d’avoir un psyonique efficace. »

Après la crise qu’il avait faite, personne n’osa s’inquiéter de l’état de Kael. Le jeune capitaine hésita à leur faire croire qu’il était finalement passé par la case mediset, puis il se ravisa.

« Bon, je vous remercie tous pour aujourd’hui, annonça-t-il à la cantonade. On vient de vivre une situation dangereuse, une situation qui nous a pris de court et effrayés, et vous avez tous assuré. Je me rends compte que je peux compter sur vous. J’espère que vous pensez la même chose de moi… »

Voyant qu’Indis s’apprêtait à prendre la parole, il la fit taire d’un geste.

« J’ai pas fini, reprit-il. Vous avez tous vu ce que je sais que vous avez vu…Mon panache. »

Cette fois, Kael constata que La Brute et Indis baissaient la tête. Oui. Ils avaient vu.

« Écoute, Kael... commença le premier.

— Non, je veux que vous m’écoutiez, moi, l’interrompit le susnommé avec autorité. Comme vous l’avez constaté, je suis à moitié exo. Pas entièrement sapiens, donc. Mais j’ai un numéro de citoyen, et ma licence est réglo. Vous pouvez même vérifier dans la Crypte, si vous voulez. Toujours est-il que je comprendrais très bien que vous n’ayez plus envie de voler avec moi, sous mon pavillon. Mais pour l’instant on est tous là, embarqués dans la même galère, et puisqu’on est là à en chier, je propose qu’on poursuivre cette entreprise jusqu’au bout. Quand on ira vendre notre cargaison sur Arkonna ou ailleurs, il sera toujours temps pour vous de changer de crèmerie. C’est d’accord ? »

La Brute, puis Indis hochèrent la tête.

« D’accord. »

Kael n’éprouva pas le besoin de se tourner vers Omen. Pour une raison inexplicable, il savait que la psyonique resterait.

Kael passa une autre mauvaise nuit. Son épaule lui faisait souffrir, même s’il sentait que les os se ressoudaient déjà. Ses fièvres étaient toujours là, leurs symptômes rendus supportables par le silentium. Non, le vrai problème, c’est l’angoisse qui l’habitait désormais. Les visions que lui avait envoyées le fantôme de l’ældien… La voix et les menaces qu’il avait proférées. Et il y avait un autre problème, encore plus urgent aux yeux du jeune perædhel. Kael avait reconnu le piège mortel qui les avait attaqués, près du sas : c’était une arme nanomoléculaire. Un disque-découpeur, plus exactement. Ce type d’armement était typique des « sombres cousins » : les gens des cours de lumière le considéraient comme déshonorant, indigne d’un sidhe sûr de son fait, marchant sous le soleil triomphant et la grâce d’Anwë. La première fois que Kael avait vu une telle arme, c’était dans le cair de son oncle… Qu’est-ce que c’est, Oncle Lathé ? avait-il demandé en se précipitant pour le toucher. Son oncle l’avait arrêté d’une poigne ferme. N’y touche pas. C’est une arme de guerre, qui te transformerait en petits cubes de viande en moins d’une respiration, une fois activée. Ne t’en approche surtout pas.

Kael se retourna dans sa couchette en grognant. Les argonath disparues, le disque-découpeur… Se pouvait-il que l’ennemi qui avait décimé puis dépouillé ces pauvres hères de toute chance de salut soit venu de l’intérieur ? S’agissait-il de chasseurs originaires des cours sombres, venus faire provision d’âmes pour leur propre profit ? Et si c’était le cas… Son oncle était-il mêlé, de près ou de loin, à un acte aussi terrible, aussi criminel ? Le visage desséché de la petite ældienne revint dans sa mémoire. Cela aurait pu être une de ses petites sœurs. Cela aurait pu être Lalaith, ou Elarya...

Hanté par ces sombres pensées, Kael fut incapable de plonger complètement dans une rêverie reposante. Il savait que le lendemain, il se présenterait de nouveau au mess en retard.

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