L'avertissement du ravitailleur

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Kael ne tenta aucune des « stratégies de séduction » proposées par Lathelennil. En revanche, lors de leur ravitaillement programmé – en rade d’une station spatiale commerciale, qui servait de marché à tous les nautes de ce côté-là de la Voie – Kael demanda discrètement à son ravitailleur s’il avait du « silentium ».

L’autre – un petit homme avec deux implants visuels en guise d’yeux – délaissa sa tablette holo pour se tourner vers lui.

« Du silentium ? Vous voulez dire cette drogue utilisée par les adeptes de l’Officio Inquisitorium ?

— Euh, oui… Je crois. »

L’homme regarda rapidement autour de lui, puis il attrapa Kael par le bras et le tira à l’écart des oreilles indiscrètes.

« Il est interdit d’en vendre, lui apprit-il d’un ton réprobateur. À moins d’être un agent du SVGARD, elle est prescrite dans certains cas très spéciaux : si vous en voulez, je vous conseille d’aller voir un physicien, ou un cybernéticien. Vous êtes implanté ? »

Kael secoua la tête.

« Non...

L’homme le regarda des pieds à la tête.

— Un physicien, alors. Mais si vous n’avez aucune modification, aucun spécialiste digne de ce nom n’acceptera de vous en vendre. Votre organisme ne le supporterait pas. »

Kael acquiesça, mais il savait qu’il n’essayerait même pas de consulter l’un de ces spécialistes. Cela ne servirait à rien, sinon à être identifié comme hybride d’exomorphe.

« Et sinon, vous allez où comme ça ? s’enquit le ravitailleur après avoir contrôlé le dernier caisson.

— À Rvehk, dans la bordure extérieure, répondit Kael en croisant les bras sur sa combinaison de naute.

— Vous y allez pour l’ayesh ? »

Le jeune capitaine acquiesça.

De nouveau, le ravitailleur posa son regard cybernétique sur sa tablette.

« Un numéro de licence flambant neuf… C’est votre première entreprise ?

— C’est ça. Je viens tout juste d’embaucher mon équipage. »

L’homme jeta un regard sur le côté, vers la soute, là où s’activaient les membres dudit équipage. Un jeune Cho-Min, une petite Noire en salopette qui peinait à soulever une caisse, une navigatrice à l’air précieux et une psyonique maigrelette… Seul le vétéran lui semblait solide, mais il était seul, perdu dans cet équipage de minots à peine sortis du nid.

« Et vous n’avez qu’un seul psyonique… Vous savez qu’il faut prendre une route qui passe en partie par l’Ethereal, pour aller à Rvehk ?

— Je le sais, oui, fit Kael en souriant.

— On appelle ce couloir Le Gosier, reprit le ravitailleur sans se soucier de sa réponse. Nombreux sont les vaisseaux qui s’y sont engouffrés, et n’en sont jamais revenus… Il y a une section particulièrement dangereuse dans ce labyrinthe, que les nautes ont coutume de surnommer l’Hécatombe. Un véritable cimetière à navires… Le traverser sans dommage requiert de grandes capacités de pilotage. »

Ayant terminé sa diatribe, le ravitailleur regarda le jeune homme des pieds à la tête. Grand – un peu plus de deux mètres au bas mot – mais pas vraiment colossal en termes de carrure, avec un visage angélique, un regard malicieux et des lèvres sensuelles, le capitaine de ce navire sans nom lui semblait être un bleu patenté. Sa chevelure d’un blanc argenté, particulièrement longue, à moitié décoiffée et parcourue de micro-tresses à demi défaites, ne parlait pas en sa faveur. Sans compter qu’il portait sa combinaison déboutonnée jusqu’au sternum, bâillant sur un assortiment cliquetant de colifichets, dont un rubis rouge sang monté sur une chaîne en argent. Encore un fils de planteur enrichi qui avait dépensé l’argent de ses parents pour s’acheter un croiseur tactique réformé et parcourir la galaxie, en quête de gloire… Il déchanterait vite. Face aux dangers de la Trame, il ne donnait pas cher de la peau de ce minet arrogant.

« Eh, je sais piloter un astronef ! se défendit le jeune mâle offensé en plissant ses yeux verts. J’ai remporté quasiment toutes les courses de mini-croiseurs anti-grav de ma planète d’origine ces dernières années, et c’est moi qui ai retapé ce rafiot, et qui en ai fait ce qu’il est aujourd’hui : un superbe navire capable d’affronter la Trame. »

Kael ponctua sa phrase d’une solide tape sur le flanc de son vaisseau. Ça, oui, il en était fier, et personne ne pourrait lui enlever cette fierté.

« C’est bien ce qui m’inquiète, répliqua le ravitailleur avec une moue bougonne. Mais enfin, faites comme vous voulez. N’allez pas dire ensuite que personne ne vous avait prévenu…

— Je suis parfaitement prévenu », sourit Kael en dévoilant ses canines.

Alors que le ravitailleur lui jetait un dernier regard réprobateur, il se retourna vers son équipage :

« Allez, on embarque ! Je veux qu’on ai décollé dans M – 10. Assez traîné sur cette colonie de poltrons ! La gloire, la richesse et l’aventure nous attendent ! »

Kael eut l’occasion de repenser à l’avertissement du ravitailleur – et à la façon bravache et insolente avec laquelle il lui avait répondu – au moment de programmer le premier saut dans la Trame de l’Ethereal. Son père appelait cela l’Autremer, et il naviguait dedans avec autant de facilité que lorsqu’il nageait dans le lac à l’orée du bois. Mais au moment de passer la faille qu’il avait repérée, figurant sur une carte qu’il avait « emprunté » dans la bibliothèque de son père, Kael hésita. Autour de lui, l’équipage attendait, impressionné. Le fait qu’il ait trouvé cette faille, qu’il sache où elle se trouvait au milieu du vide sidéral lui avait octroyé une nouvelle aura, celle d’un capitaine qui sait où il va. Mais maintenant, il fallait prendre une décision. C’était le moment de vérité.

« On va quitter momentanément la réalité basique, les gars, leur annonça-t-il d’un ton grave. Pour certains d’entre vous – pour la majorité d’entre vous, j’imagine – ce sera la première fois… »

Kael jeta un regard circulaire aux jeunes rassemblés autour de lui. Indis était assise dans le fauteuil de la navigatrice, en face des affichages tactiques (inutilisés pour l’instant) et des canaux de communications. Yamfa était à ses côtés, sur celui du co-pilote. Keita était debout derrière, et La Brute s’appuyait quant à elle contre le mur, mais agrippait solidement une barre d’appui. Omen, quant à elle, se tenait un peu en retrait, ses yeux pervenche posés sur le sol.

Personne ne répondit à son appel. Kael savait que ses deux amis n’avaient jamais navigué dans la Trame, et que, comme la plupart des gens, ils étaient morts de trouille à cette seule idée. Mais qu’en était-il des autres ? Il aurait voulu savoir qui, exactement, possédait cette expérience dans son équipage.

« Bon… Puisqu’il n’y a aucune objection… Je pense qu’on peut y aller » fit Kael en reportant son regard sur la baie.

Devant eux, la faille – un mini-trou noir en vérité – palpitait doucement, ses bords émanant des reflets violets.

Kael sentit les battements de son coeur s’accélérer. Il se souvenait de son rêve… Il n’en avait parlé à personne, mais il y avait beaucoup réfléchi. Il avait rêvé de la naissance d’un trou noir. Un énorme, super massif, provoqué par l’effondrement d’une étoile et de tout le système qui gravitait autour.

La sensation d’une petite main sur son bras le tira de la transe inquiète vers laquelle il se dirigeait. Il ne se surveillait pas assez, nom de Dieu ! Baissant les yeux, il aperçut la petite Omen. Ses yeux pâles fixés droit devant elle, elle lui tenait l’avant-bras.

« Vous pouvez y aller, capitaine, murmura-t-elle doucement. Pour l’instant, la voie est libre. »

Pour l’instant… Kael n’hésita plus. S’asseyant d’office sur le fauteuil du commandant, il mit pleins feux sur la faille.

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