Episode 67

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Faustine

Ça n'arrête pas de causer. Roxane par-ci, Roxane par-là. J'imagine mal qu'on s'en fera autant le jour où je disparaîtrai. Ça ne me fait pas grand chose. Je crois aussi que le monde disparaîtra avant moi. Il disparaît déjà. Leurs voix ne sont qu'un bourdonnement caduc dans cette grande ruche de verre.

— Qui vous dit que Rox ne s'en sort pas très bien ? Qu'elle a pas juste fait une croix sur nous ?

— Mais tu t'écoutes parler, Ad ' ? Tu le sais aussi bien que moi : si Roxane avait accompli quoi que ce soit, elle serait déjà là en train de s'en vanter.

— Tu crois que j'le sais pas ?

— Calmez-vous. Quoi qu'il advienne, nous devons rester soudées. La disparition de Roxane est peut-être une manœuvre d'un ennemi qui cherche exactement à nous diviser. Réfléchissons. Si aucune de nous n'a eu de ses nouvelles, qui pourrait avoir la moindre idée d'où elle se trouve ?

— Rosythia m'a dit quelque chose, l'autre jour.

— Qui ça ?

— L'androïde RF5. Elle m'a dit que les composantes de son fabricant portent une sorte de signature, qu'elle en a reconnu sur Roxie. Une unité RF serait peut-être capable de la repérer.

— Oui, ou de localiser des milliers d'autres andro à la ronde qui ne sont pas notre sœur. On est à Elthior, Risette, tous les riches ont des robots de la compagnie Hirata. Je m'en suis assurée auprès d'RF5 : ils n'émettent pas de signaux individuels. Personne n'aurait pu repérer Magnus en recherchant spécifiquement RF5 ou Roxane. Du moins, ça aurait pris des années.

— L'armée peut retrouver des gens, pas vrai Dolly ? T'aurais pas un collègue qui pourrait nous aider ?

— Faut pas compter sur l'armée, Wennie. C'est pas pour rien si votre père portait un matricule. Si vous voulez mon avis, un petit savant-fou dans son genre n'avait pas que des amis. Vaudrait mieux pas que les agents de la Paix vous aient dans le collimateur. En espérant que ce ne soit pas déjà le cas.

— Tout pile ce qu'on veut éviter. Ad', comment s'appelait le matelot que Roxie aimait bien ?

— Isaac ? Zack ?

— Zachary. Peut-être que Sancho ou lui l'auraient croisée, qui sait...

Ça cause, ça cause, mais ça ne va nulle part. Ça se tape la tête dans le mur en attendant qu'un des cortex explose une idée de génie. Je ne les écoute pas. Je ne leur dirai rien, parce que je n'ai pas le droit, parce que c'est trop dangereux, parce que c'est mon domaine. Je ne leur dirai rien, mais je retrouverai Roxane. Pendant qu'elles demanderont à un robot débile de flairer sa piste imaginaire, ou à n'importe quel plouc s'il l'a pas croisée, moi j'irai trouver Gin.

Ginger, on dit qu'elle peut débusquer n'importe qui. La preuve : elle dégote toujours l'adresse de nos cibles du soir pour la nuit même. Personne ne lui échappe. Suffirait d'une photo pour qu'elle repère Roxane. Elle me donnera l'adresse, Rain se pointera comme pour une mission et fera un carnage. Quiconque retient ma sœur sera pulvérisé, je le jure sur ces cornes. Et tout le monde verra que nous ne sommes pas qu'un monstre bon à être enfermé. Rien qu'une bête sanguinaire qui dévore les ténèbres et vomit la bonne cause. Rien que pour la bonne cause.

Elle sait que ça marche comme ça, l'autre brute à cette table. Elle peut bien fanfaronner devant les autres ; elle peut sucer la gueule de pêche de Nolwenn à pleine bouche si ça lui chante ou ramener sa fraise sur comment marche le monde ou quelle gangrène le souille. Personne ne lit en elle comme mes moi affûtés. Personne ne pourrait dire combien d'enflures elle a buté avant de se réfugier derrière de beaux discours. Ce qui est sûr et certain, c'est qu'elle a massacré plus d'innocents que moi. Ses mains empestent le sang. Elle pourrait récurer tous ses pores à l'acide sur des dizaines d'années que ça schlinguerait encore, parce que cette aura-là elle ne vous lâche pas. Une fois que ça a giclé, ça s'incruste plus profond que la peau, jusqu'à mordre les os. Ses yeux sont injectés de vices mal digérés. Ses pupilles, elle se crispent dès qu'un enfant rigole, comme si elle n'entendait que des cris d'agonie, que les râles des fantômes.

Dans la tête, sous les cornes, il n'y a pas de place pour le remord. Alors je ne comprends pas. Pas complètement, c'est sûr. Moi tout ce qui me saute aux yeux, depuis le fond hurlant de mon pandémonium, c'est qu'autour de la table il y a au moins deux mondes. Il y a ceux qui espèrent et qui se laissent leurrer par des perspectives en carton. Et puis il y a nous autres qui vivons en Enfer parce qu'on regarde en face ; parce qu'on ne rechigne pas à déchiqueter tout ce qui endigue la vérité.

Dans le coin des rêveurs, Nolwenn se figure sûrement qu'elle a fait de ce cerbère son toutou protecteur. Un rire me tord les dents, quand j'imagine d'avance quel noyau il restera de la petite pêche juteuse, une fois qu'une gueule pareille l'aura décortiquée. Rien qu'un pépin flétri, trop dépiauté pour germer. Ça ne lui traverserait pas la tête, qu'elle promène le Tartare comme un sac à bonbons, et qu'un jour, bientôt, tous les feux infernaux lui éclateront à la face.

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