Episode 47.1

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Cerise

Jeudi est arrivé plus vite qu'escompté. Je n'ai même pas eu le temps de désherber le parterre de lys. L'oiseau qui logeait dans la serre a fini par mettre les voiles, rappelé au loin par ses pairs. Sans doute a-t-il bravé vents et marées pour les rejoindre sur des terres plus hospitalières, tandis que moi j'ai demeuré cloîtrée dans la quiétude de ma serre à attendre que la tempête s'estompe. Je n'ai ni pris le large, ni traversé la jungle pour retrouver les miens. J'ai passivement espéré que la météo me sourirait tôt ou tard. Assez tôt, tout bien considéré. Un mois s'est écoulé depuis le commencement de la saison des pluies, depuis le départ de mes sœurs. Il n'a fallu qu'un petit mois pour que le ciel daigne nous accorder une éclaircie. Certaines années, les typhons se succèdent tout un trimestre sans nous laisser le moindre répit, nous contraignent à apprécier l'intérieur de notre petit chez nous ou nous obligent à nous armer de courage pour affronter les trombes d'eau. Je suis toujours restée tranquillement derrière la fenêtre. Jamais je n'ai été celle qui se lançait à la recherche de Nolwenn, partie depuis des heures chasser des mollusques ou creuser des canaux. Jamais je n'ai couru jusqu'à la plage dans l'ouragan pour rappeler Adoria, lancée à l'assaut des vagues. Jamais je ne me suis, comme Luna, assise résolument sous une pluie de cordes pour laisser l'univers me châtier, « pour me laver de tout soupçon », comme elle disait alors avec cette moue mystérieuse.

Ce matin, comme tous les autres, je promène mon plumeau dans chaque pièce de la villa. Ce matin, pourtant, les rayons du soleil qui embrassent les fenêtres et baignent la maison d'une tiédeur suave égayent ma tournée. Lorsque je passe la porte de la chambre de Nolwenn et découvre, comme chaque jour, le petit musée de ses souvenirs, le parfum distinctif de cette pièce m'envahit plus vivement les narines. Je ferme les yeux et inspire. La chambre de ma sœur est un cabinet de senteurs atypique ; un pot-pourri à grandeur d'homme dans lequel l'odeur moite du bois flotté se mêle à celle de l'encre séchée sur des papiers jaunis par le temps, à la fragrance iodée des coquillages agglutinés, à l'effluve poussiéreuse qui traduit le duvet des vieilles peluches, aux discrets relents du nettoyant avec lequel Nolwenn lustrait amoureusement sa guitare. Je m'imprègne solennellement de cette mosaïque olfactive, comme si mon cœur réclamait une forme de transition avant de revoir ma petite sœur en chair et en os ; comme si autrement je n'étais pas capable de soutenir ces retrouvailles.

Parmi les sacs qui s'accumulent sous son lit, je choisis l'un de ses préférés : une grosse besace en forme de tranche de pastèque. Je glisse dedans quelques vêtements propres, soigneusement pliés. J'aligne une à une quinze barres de céréales de sa réserve personnelle dans la poche intérieure. Et, après avoir vérifié que le bouchon était parfaitement serré, je couche le spray pour l'entretien des instruments dans le fond de la sacoche. Ça a dû lui manquer, de lubrifier les cordes de sa guitare. Je me souviens de la grimace qu'elle décrivait toujours, alors : la langue de côté, coincée entre les dents. Nous nous moquions affectueusement, Emma et moi, persuadées qu'elle croyait que cet air lui donnait l'air appliqué. Aujourd'hui, en devinant les touches de nettoyant qui ponctuent encore l’atmosphère de sa chambre, je comprends qu'elle l'était réellement.

— Bien, il ne manque plus que les bonbons.

J'ignore où nous les avons rangés, car moi-même je n'en mangeais pas. Papa commandait toujours les mêmes, des Pik'heur acidulés au menthol. Il avait cette manie de les mastiquer machinalement, dès qu'il plongeait le nez dans son journal. Emmanuelle avait hérité de cette mauvaise habitude et ne pouvait pas s'empêcher d'en grignoter lorsqu'elle lisait et expérimentait toutes sortes de positions incongrues sur le canapé du salon : allongée de tout son long, sur le ventre, les jambes levées en chandelle, la tête renversée vers le sol, les mains toujours tendues à hauteur d'yeux pour porter à sa vue sa lecture du moment. Parfois, sans y prendre garde, elle se mettait à marmonner quelques mots à voix haute, et j'attendais sagement de savoir quel bout de phrase l'aurait ainsi captivée.

Soudain, Roxane surgissait en fracassant ses talons sur le plancher et, sans dire un mot, semait dans son sillage cette aura opiniâtre qui, comme le pollen emporté par la brise, venait nous chatouiller les narines et nous forçait à relever la tête pour admirer son éclat. Le pistil criard d'un narcisse en pleine émulsion ou le blush pailleté qui fardait les joues de ma sœur, tous deux accompagnaient la même explosion de phéromones, à l'exception près que le premier ne s'emballait qu'au printemps. Roxane glissait souvent une main furtive sous le couvercle arrondi du sucrier luisant pour piocher du bout de son impeccable manucure un unique Pik'heur à la menthe. Alors, nous savions tous qu'elle préparait le terrain de ses papilles pour son prochain échange salivaire. Cela nous faisait rire, Emma et moi. Nous riions de plus belle chaque fois que Nolwenn s'indignait de ne pas comprendre ce qui nous amusait et finissait immanquablement par imiter Roxie, la libido en moins, en fourrant un bonbon dans sa bouche pour aussitôt plisser les yeux, les lèvres tordues par la piqûre de la menthe fraîche. Contrairement à Roxane, trahie par les résidus de gélatine qui cariaient le fond de sa poubelle, Nolwenn s'efforçait toujours d'avaler vaillamment l'ignoble friandise. Les Pik'heur malmenaient tout autant son goût pour le sucré que mon amour des aromates. C'est pourquoi je m'étonne qu'elle m'en ait réclamés.

— Eugénie, tu sais où on a mis ces horribles bonbons ?

Ma sœur lève à peine la tête des éprouvettes qu'elle agence soigneusement. Penchée en haut des escaliers, je ne devine que sa silhouette courbée sur la paillasse dans la pénombre du laboratoire.

— Tu parles de ces petites frites d'ostéocolle saveur tisane-chimique ? Aucune idée. J'ai toujours détesté ça.

À peine m'a-t-elle répondu qu'elle se replonge dans ses recherches en marmonnant des formules farfelues. Je descends d'une marche, comme si des racines dans le prolongement de mes jambes me tiraient doucement vers le bas. Je presse la besace-pastèque contre ma hanche.

— Eugèn', tu vas faire une pause pour venir avec moi voir Nolwenn, n'est-ce pas ?

Je n'ai pas besoin d'entrevoir son visage pour deviner le petit rire qui a pris forme au coin de ses lèvres.

— Souviens-toi, je ne suis plus sa sœur. Franchement, je ne vois pas pourquoi Nolwenn aurait envie de me voir.

— Mais tu sais bien qu'elle n'en pensait pas un mot !

— Je sais ce que j'ai entendu. Crois-moi, j'ai tout bien intégré. Pendant que je m'esquinte pour vous, pendant que tu t'occupes de la maison, cette petite capricieuse fanfaronne dans la jungle. Il faut bien que quelqu'un reste là à faire le sale boulot...

Même si je m'attendais à sa réponse, j'espérais timidement qu'Eugénie me surprendrait. Mais je connais trop bien son mode opératoire. Elle a beau accuser l'immaturité de Nolwenn, à bien des égards, elles sont aussi bornées l'une que l'autre. Je soupire, sans chercher à dissimuler mon agacement.

— Je t'ai laissé une salade-kola au frigo, dis-je avant de prendre mon air de matrone menaçante. Si elle est encore là ce soir, je jure que je ne cuisinerai plus jamais pour toi !

Je me doute qu'une fois de plus, le visage d'Eugénie rit. Elle sait que je serais bien incapable de mettre à exécution ma sentence plus de deux jours d'affilé. Pourtant, elle me promet de prendre une pause pour le déjeuner.

Alors que je m'apprête à regagner le salon, mon portable vibre dans ma poche. Je l'en tire tout juste assez pour distinguer le haut de l'écran. Un message de Nono. Je le lis à haute voix.

On est en chemin.

On ? réagit Eugénie, contre toute attente.

— J'imagine qu'elle veut nous présenter son amie, Dolorès.

— Eh bien, méfie-toi des coups de soleil, Cherry.

Papa me disait souvent cela. Avec ma peau de rousse, j'ai passé seize ans à redouter les brûlures de l'été. C'est sans doute la première fois que j'entends prononcer cette phrase à la saison des pluies ; la première fois que je n'ai rien à craindre pour ma peau, si ce n'est qu'elle entame sa photosynthèse de manière inopinée. Voilà contre quoi Eugénie est rendue à me mettre en garde, aujourd'hui : « Cherry, fais bien attention à ne pas virer au vert devant les inconnus ! »

— Il est trop tard pour prendre un cachet, je suppose.

— Affirmatif, opine ma sœur. Ça t'assurerait juste de te métamorphoser dans la demi-heure qui vient. Pour cette fois, tu vas devoir compter sur ton autocontrôle.

Elle hésite une seconde avant d'ajouter, avec une pointe d'irritation :

— Au fait, si tu ne comptes pas utiliser tes pilules, tu ferais mieux de me les rendre. Je tâcherai d'en faire quelque chose d'utile.

J'ignore ce qui l'énerve. Que je ne fasse pas honneur au fruit de son labeur ? Eugénie serait bien trop fière pour ce genre de simagrée. Alors quoi ? Un soupçon germe dans mon esprit ; l'idée que peut-être elle nous aurait caché son inavouable métamorphose. Puis je souris de ma bêtise. Au contraire, je suis sûre qu'au fond d'elle, Eugénie nous envie. Comme elle aimerait ça, devenir son propre sujet d'étude ! N'est-ce pas commun : rêver de devenir l'objet qui nous fascine ? En ce qui me concerne, je suis ravie d'observer quotidiennement sur ma propre chair tous les petits phénomènes que j'aimais jusqu'alors admirer chez les plantes.

Après avoir parcouru la villa à la recherche du sucrier, ouvert chaque placard, chaque tiroir, caressé chaque dessus de meuble et m'être désespérément mise à soulever les coussins des sofas, je le découvre finalement à l'endroit le moins inattendu : la table de chevet de Magnus. Je n'ai aucun mal à me figurer la scène. Mon père est installé dans son lit, son dos redressé sur l'oreiller, les jambes croisées, un énième article scientifique à la main. Il poursuit sa lecture sans même tourner les yeux, tandis qu'il plonge la main dans la sphère métallique pour se saisir d'une sucrerie. Le pli de la nostalgie s'étend sur mes lèvres sèches. J'emporte au plus vite une poignée de bonbons et me presse hors de la chambre avant même de les relâcher dans le sac de Nolwenn.

Mon sourire crispé s'est à peine dissipé lorsque j'atteins la serre, un léger paréo enroulé sur mes épaules et autour du visage. S'il me faut m'efforcer de ne pas absorber le dioxyde de carbone que je synthétise naturellement depuis des semaines, cette petite précaution ne sera pas de trop. Je pousse la porte et inspire un grand coup pour m'enivrer de la moiteur capiteuse de la verrière, chargée de tous les parfums des fleurs. Les châssis ne grincent plus, mais un léger tintement retient mon attention. Je lève la tête. Rosythia s'est juchée en haut d'un long escabeau et s'affaire sous la lanterne de l'un des réverbères du jardin. Tout en douceur, ses mains semblent inviter l'ampoule dans une charmante valse, tandis qu'elle titille délicatement les fils électriques. J'imagine que, elle-même constituée d'innombrables circuits, répare le réseau domestique avec tout le respect qu'elle estime lui être dû.

— Rosie ? l'appelé-je, sans élever la voix.

Elle tourne vers mois les deux discrets faisceaux de ses yeux mécaniques.

— Oui, Cerise ?

Une sorte d'amitié maladroite module faiblement ses paroles monocordes.

— Je vais rejoindre Nolwenn à la plage, aujourd'hui. Tu te souviens ?

— Oui. Nolwenn est ta sœur, c'est elle qui m'a trouvée. Passe une bonne journée. Je vais finir de résoudre nos problèmes électriques, puis j'arroserai les plantes, pour que tu n'aies pas à t'en inquiéter.

— Rosie, je soupire, tu n'es pas obligée de faire tout ça, tu sais ? J'apprécie ton aide, vraiment. Mais toi, il n'y a rien que tu as envie de faire, par plaisir ?

— J'ai envie de t'aider. C'est ce qui me fait plaisir.

Inutile d'insister, l'androïde fonctionnelle peine encore à comprendre le concept d'individualité. Une part de moi suppose que ce n'est pas plus mal ; une autre se réjouirait de voir naître chez cette jeune fille mécanique les prémices de l'égoïsme. Je m'approche de l'escabeau.

— En fait, je voulais te proposer de m'accompagner.

— À la plage ?

— Eh bien, oui. Ma sœur vient avec une amie. Alors, j'ai pensé que moi aussi, je pourrais en amener une...

Tout bien considéré, au sein de la prison dorée qu'est devenue pour moi la villa, Rosythia demeure ce qui s'apparente le plus à la chaleur humaine. Nos interactions, aussi atypiques soient-elles, me procurent la vague sensation de partager quelque chose ; partage que le flegme d'Eugénie me refuse en permanence. Sous ses tissus d'acier, mon amie robotique laisse parfois entrevoir le grain d'une émotion. Ce n'est pas comme le pli d'un visage ou une larme à l’œil ; pas même comme la sueur qui perle à fleur de peau ou un muscle crispé. C'est nettement plus subtil mais, les jours passants à ses côtés, je me mets naturellement à déceler les signes d'une sensibilité. Elle n'essaye pas vraiment d'emprunter un ton chaleureux ou d'affecter quoi que ce soit par les gestes. Ce ne serait que des feintes pour tenter de masquer sa mécanique inhérente, du dénaturé, des expressions forcées. À l'inverse, parfois, le seul choix d'un mot qui sonne bizarrement entre ses rouages vocaux ou une pause un peu trop longue, alors qu'elle n'a besoin ni de ravaler sa salive ni de se racler la gorge, trahit le flux d'une pensée qui fermente. Elle hésite à dire des choses, elle choisit des mots précis, elle a des impressions. Je crois que c'est cela, le début de l'humanité : une idée vague et la tentative frileuse de la mettre en forme.

Une amie, répète-t-elle comme si son interface venait d'enclencher une analyse sémantique. J'ai été programmée pour être capable de répondre à cette demande. Je suis une amie fidèle, qui s'adapte aux besoins de son propriétaire. J'écoute ce qui doit être écouté. J'ignore les confidences sur lesquelles mes conseils avisés ne seraient pas souhaités. Je sais plaindre ceux qui geignent et rire de toutes les blagues. Mais ce n'est pas ce que tu attends d'une amie, n'est-ce pas ?

— Non, effectivement. Ne ris que si ça te paraît drôle. Ne me plains pas, si quelque chose te fais penser que j'exagère. Et surtout, ne te prive jamais d'être franche, même si c'est malvenu. Voilà ce que ferait une amie.

Un bref silence me répond, signe que Rosythia médite sur mes propos. Quelque chose s'éveille en elle. Peut-être pas l'humanité, telle qu'on pourrait l'entendre. Mais un petit bourgeon de personnalité, ça je n'en doute pas.

Autant que j'aime observer les réactions de la plante en moi, j'aime contempler l’imitation parfaite de l'humain sur sa chair froide. Le détail des torsions musculaires qui l'animent. Les simulacres de veines électriques sous sa peau translucide. Et l'expression triste de sa figure figée. Je crois qu'elle a renoncé à forcer les sourires.

Lorsque nous arrivons à l'endroit habituel, la plage est déserte. Il s'agit d'une petite crique, à l’abri du vent, au pied de la falaise favorite de Luna, celle sur laquelle elle aimait se hisser pour lire. L'océan y est calme, en général, mais les touristes ne s'y aventurent que rarement, car seul un bout de rocher escarpé leur permet de contourner la colline pour accéder à l'anse. À la belle saison, ils préfèrent s'amasser sur la grande plage de sable fin, près du court de tennis, plutôt que de braver le passage glissant des blocs érodés. Depuis la terrasse de la villa, des escaliers descendent la colline jusqu'à la crique et, en raison de cet accès privilégié, la famille Iunger a toujours plus ou moins considéré cette plage comme sienne. Mon père, mes sœurs et moi nous y rendions quotidiennement, comme on se rend dans son jardin. Il arrivait même que Papa laisse flotter son bateau dans la petite baie, amarré à une borne de fortune sculptée dans la falaise. Ad' et Emma avaient bricolé ça avec lui, à l'époque ; elles formaient une fine équipe, la vitalité de l'une au service de l'ingéniosité de l'autre. Alors que j'y participais rarement, les travaux d'équipe me manquent.

— Un bateau approche, déclare Rosythia.

J'ajuste le paréo qui protège mon visage avant de m'assurer :

— Je ne suis pas verte ?

La jeune fille mécanique secoue la tête. Après quatre semaines à me délecter pleinement des joies de la photosynthèse, je devrais bien être en mesure de m'abstenir une journée ! Mon amie l'androïde n'a pas l'air d'en douter.

Comme elle me l’annonçait, la silhouette d'une petite embarcation à la coque jaunie fend les vagues de la crique. Nolwenn, à la barre, lève un bras pour m'adresser un grand signe. Je lui réponds modestement. Mon regard glisse sur celle qui l'accompagne, une grande fille à la chevelure noir corbeau et à la peau aussi blanche qu'un os de seiche. Si elle n'avait pas les yeux si sombres et le regard si doux, je jurerais voire Faustine avec une perruque : la même pâleur, la même carrure d'athlète, la même expression vide. Je laisse de côté cette comparaison incongrue et m'avance à leur rencontre tandis que ma sœur manœuvre soigneusement sa petite embarcation et envoie son amie l'amarrer à notre plot rugueux. Aussitôt le moteur coupé, Nolwenn bondit du bateau et accourt à pieds nus me sauter dans les bras.

— Pardon, pardon, pardon, répète-t-elle comme une enfant.

J'avance une caresse affectueuse entre ses mèches châtains.

— Ne t'excuse pas, voyons. Tu t'es bien amusée ?

Un large sourire envahit son visage lorsqu'elle hoche la tête. La vérité, c'est qu'elle a l'air plus mûre ; je ne saurais dire pourquoi. Peut-être ai-je simplement pris conscience qu'elle n'était pas ma petite sœur, peut-être ne le sera-t-elle plus jamais. J'imagine qu'elle n'aurait pas fugué, si j'avais eu le cœur de le reconnaître alors.

Nolwenn s'écarte et tire par la main son amie, restée en retrait.

— Je te présente Dolorès ! Dolly vient de Puertoculto.

J'adresse un sourire amical à la nouvelle venue, puis introduis à mon tour mon invitée d'honneur.

— Tu te souviens de RF5 ? Nous l'appelons Rosythia, désormais. Elle va devenir humaine.

Dolorès hausse un sourcil, intriguée. Pour Nolwenn, ce que je viens de dire paraît tout naturel. Déjà elle s'est tournée vers Rosie pour lui clamer tout son soutien. Un silence tendu s'installe entre la farouche Dolorès et moi. Entretenir le malaise ou lui faire part de ma perplexité, voilà le choix qui s'offre à moi. Par soucis d'honnêteté, je prends le risque de la contrarier :

— Puertoculto ? Ça, c'est inattendu. Je pensais que tout les gens de ton village détestaient ma famille. D'ailleurs, je me suis rendue là-bas au début de la saison. Je ne crois pas t'avoir vue.

— Moi non plus, je ne me souviens pas de toi, me répond-t-elle posément. Tu es sans doute venue avant que je rentre au bercail. Je suis métisse, je crois que ça se voit. Et, à cause de ça, au village, les gens ne me portent pas non plus dans leurs cœurs. Alors, dès que j'ai eu huit ans, il m'ont envoyée étudier à l'étranger. Faire des rencontres, ça nous change, n'est-ce pas ?

En prononçant ces mots, ses yeux vont et viennent entre Rosythia et moi.

— À l'étranger ? Ça a dû leur coûter un bras !

— Oh, la tranquillité, pour eux, ça n'a pas de prix ! Et puis, ils ont dû se dire qu'une militaire dans la tribu, ça pourrait être utile.

— Tu as fait l'armée, Dolly ? tressaillit Nolwenn, visiblement plus surprise que moi.

— Oui, enfin... Je n'ai pas tenu longtemps...

Un détail me frappe, mais je comprendrai vite. Dolorès a souri, cette fois, en s'adressant à Nolwenn. Un sourire de ceux qu'on ne peut pas feindre, à moins d'être vraiment un acteur de talent ; un acteur comme il n'en existe plus aujourd'hui, je crois.

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