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Le retour au commissariat fut vécu comme ce qu’il y eut de pire.

À peine étions-nous arrivés, Charly et moi-même, que le chef nous y attendait de pied ferme. Je n’en étais pas réellement surpris, il s’agissait là de son habitude afin de recevoir nos premières observations ainsi que nos premières représentations instinctives sur le potentiel suspect ; de sorte qu’il ait pu faire filer informations et demandes de dossiers à nos supérieurs. Ce qui ne le rendait pas moins respectueux ; et, il n’en fallait pas plus pour penser le contraire si vous ne vouliez pas finir transférés à l’endroit que nous appelions le caniveau de la police : la salle des archives. Tout ce à quoi je n’avais pas encore goûté en fin de compte.

Sandy Mœns était considéré comme un excellent leader. Turbulent, avec les anciens, et un peu plus que père-poule avec les bleus, il ne pouvait pas se permettre de les brutaliser au risque de se voir arracher de sa place. Dommage qu’il fut victime de la faucheuse, trois ans plus tard, à cause d’un crabe à hauteur des testicules. Le comble pour l’homme qui frottait les riches dans le sens du poil.

Le lieutenant nous arrêta une fois à l’intérieur de son grand et spacieux bureau, où tous les éloges de sa brigade ornaient les murs d’un ton gris poussière.

  • Alors, Lisart, Vandeville, sur quel type de monstre votre équipe est-elle tombée ?

Je sentais l’ironie dans sa voix, une sorte de signature orale pour un chef comme lui. Cela semblait nous mettre, Charly et moi, dans une espèce de confiance et il aurait été fou de ne pas l’être avec lui.

  • Oh, et bien, nous sommes tombés sur un tueur d’enfants austère et calculateur, fit premièrement Charly.
  • Et cela ressemble, en quelques points, à l’affaire Stopheek !
  • Stopheek, dîtes-vous ? Mais c’était il y a treize ans !
  • Justement, assez de temps pour que s’améliore le mode opératoire du meurtre. D’ailleurs, sais-tu ce qu’est devenu Steel ?

Le ton était posé et l’ambiance dans la pièce avait suivi, froid et sous-tension. J’avais ainsi mené, comme à mon habitude, la discussion sur une pente plus que glissante, car parler d’anciens suspects revenait à déterrer leurs victimes, salissant dès lors leurs mémoires. Et je venais de faire subir cela à un pauvre gosse mort depuis treize longues années, bien que je pusse espérer que cela ne s’ébruitât pas de manière foudroyante. Il ne fallait pas que je perdisse ma place, sinon tout ce qui m’arriverait en cet instant serait d’une autre dimension.

Sandy lâcha un bref soupir presque indifférent face à ma façon d’agir, n’examinant aucunement mes besoins de réponses.

Je voulais résoudre l’affaire, mais avec le temps, je me dis que je n’aurais pas dû opérer de la sorte et être bien plus indulgent envers tous ; victime, collègue, famille, et même : Charly. Peut-être figurerait-elle encore à mes côtés dans cet horrible bureau au ton poussière ; à gérer des types comme moi, où tout simplement à ma place, à celle qu’avait Sandy il y a vingt-et-un ans ? Oui, avoir ces quarante-quatre ans de carrière peut m’aider à comprendre ce comportement que j’avais par le passé, et qu’aujourd’hui, je regrette.

Mais je ne peux en dire plus, pour ne pas tout vous révéler ! Sinon, à quoi cela me servirait-il de tout retranscrire ?

L’attitude de Sandy resta bien droite, jamais égalée, bien représentative de sa personne, et ce, même s’il fit traverser de manière convulsive les deux mains dans ses cheveux, jadis, de jais.

  • Steel a été condamné à trente ans de prison. Il y est donc encore à l’heure actuelle, mais si tu y tiens tellement, Vandeville, je peux demander au pénitencier d’Ittre quelques informations sur lui.
  • Merci, Lieutenant, avais-je ajouté dans un ton qui ne ressemblait guère.

Pourtant, cela fut ce que j’espérais ; avoir des données afin d’effectuer un potentiel éloignement sur ma liste des suspects pour cette affaire, après tout, il était enfermé depuis treize ans au moment de l’enquête. Malgré cela, pour moi, il restait tout de même probable qu’il y fut pour quelque chose. Les orchestrations de meurtre en prison demeuraient dans notre champ de vision, mais tous ne pouvaient être interceptés, puisque mafia et autres criminels semblaient bien plus discrets et vengeurs qu’on ne pût pas tout maîtriser.

  • Bref ! Commencez à chercher des indices dans vos propres observations et filez me trouver l’assassin de cet enfant !

Charly et moi acquiescions rapidement. Toutefois, sans réelles informations, l’enquête risquait de se retrouver compromise. Comme si, je n’avais pas assez à fouiller en plus de devoir prévenir les parents du môme.

Oui, et pour cela, les procédures n’ont toujours pas changé aujourd’hui. Les proches doivent prendre connaissance du destin funeste de leurs progénitures. Ils doivent savoir assumer la vérité et deviennent, contre notre gré, anéantis par la nouvelle. Pour eux, leur monde s’écroulait, prenant un chemin morose où chaque souvenir ressemble à une séance de torture à cœur ouvert. Leurs larmes prennent possession de leurs yeux. Tout n’est qu’une saveur amère, salée qui chasse la joie d’un revers de la manche. J’en ressens encore la culpabilité d’une telle annonce. Il n’y a aucun doute là-dessus, et ce doute ne me quittera pas jusqu’à la fermeture de ce texte.

Rencontrer la famille Diekans fut troublant. Les parents de ce petit gars paraissaient être des gens simples, dont les emplois leur permettaient d’être, un maximum, présents pour lui. Quelle n’en fut pas leur surprise à notre arrivée ? Il ne fallait pas être aveugle pour remarquer que leur existence sur notre liste était à proscrire.

  • Monsieur et Madame Diekans ? demandais-je.
  • Oui ? Qui êtes-vous ?
  • Inspecteur Lisart et Inspecteur Vandeville de la police fédérale, répondit Charly.
  • Pouvons-nous discuter, je vous prie ?

Leurs regards se croisèrent. Pour eux, difficile de croire que nous voulions simplement dialoguer avec eux. Nous n’étions pas leurs agents de quartier, et au vu de leur comportement, je devinais que les querelles avec les divers voisins étaient envoyées dans la case de l’inexistence. Une vraie famille modeste et discrète.

  • Quel en est le propos ?
  • Il serait préférable que cette conversation se déroule à l’intérieur, insista Charly.

L’accord donné, nous entrâmes dans leur habitation. Une maison tout aussi parfaite de l’habitacle comme de l’extérieur. Les pièces étaient toutes épurées. Trois des murs étaient d’un blanc cassé tandis que le dernier était dans une couleur océan. Cela y transmettait une impression de chaleur, une sensation de douceur pour l’ensemble de la demeure familiale. Une ambiance que j’allais détruire en quelques mots et dont le résultat deviendrait inévitablement catastrophique.

Un ménage bousillé, voilà ce que Charly et moi-même détestions, mais le choix ne nous était guère offert sur un plateau d’argent, et que nous n’aurions jamais dans d’autres situations similaires.

Vous dire que nous pouvons réussir à le faire avec dignité serait mentir, car jamais je n’ai pu y trouver satisfaction ; ce qui a changé quand j’ai atteint le rôle de chef, pourtant, cela n’est pas encore assez pour oublier les cinquante-et une fois où je dus le faire en tant que simple agent de police.

  • Installez-vous, Monsieur et Madame les Inspecteurs.

Cette voix douce nous fit plier et nous nous exécutâmes face à cette demande on ne peut plus maternelle. Nous mettre en confiance pour ce genre de nouvelle était la pire chose à faire, mais nous comprenions. Elle n’avait aucune idée de la véritable cause de notre venue. Mais cela ne saurait tarder.

  • De quoi voulez-vous parler ?
  • De votre fils…
  • Quelque chose est-il arrivé à Ellie et Jonathan ?
  • Madame, votre enfant a été retrouvé sur les abords de l’autoroute.
  • Comment va-t-il ? Et comment a-t-il pu s’y trouver seul ? Il devait être avec ma sœur !

Je pouvais voir sa gêne, sa frustration, ce qui était évident. Sa famille semblait être l’unique chose qui comptait pour elle. De même que pour son époux que je sentis étrangement nerveux. Nous cachait-il quelque chose ?

  • Madame, reprit calmement Charly, laissez-nous vous expliquer la situation !
  • Nous expliquer, est-ce une blague ? Vous nous annoncez que notre fils a été retrouvé sur le bord de l’autoroute. Et vous…
  • Madame Diekans, je vous prierais de nous écouter avec attention si vous ne souhaitez pas que je vous embarque pour obstruction d’une enquête policière. Et je pense que cela serait la dernière chose à laquelle vous songez, l’interrompis-je plus qu’en colère en vue de son comportement.
  • Jo', calme-toi. Veuillez l’excuser… Si nous sommes présents chez vous, c’est parce que Jonathan, votre fils, a été victime d’un meurtre. Nous en sommes désolés.

Des larmes envahirent rapidement les yeux de la mère. Son unique enfant venait de mourir et sa réaction était plus que légitime.

Je pouvais voir son corps subir le relâchement des nerfs. Elle souffrait par notre faute, notre annonce venait de tuer la vie qu’elle s’acharnait à construire pour sa progéniture. Des monstres, voilà ce à quoi elle pensait de nous comme tous les parents avant elle. Et je commençais à le considérer moi aussi.

Ses larmes se transformèrent en crise d’hystérie. La mère Diekans perdait le contrôle de son être ; elle balayait de divers revers de bras tout ce qui se trouvait dans son champ de vision, tandis que son mari restait sans voix, dans ce qui ressemblait à un état végétatif, enfin, ce fut l’impression donnée. Une perception contraire au comportement de Steel, et qui me réjouissait, pour une fois qu’un parent direct n’était pas coupable, mais cela ne pouvait éviter cette pensée qu’un autre parent ait pu accomplir ce fait.

  • Je sais que cela est trop demandé en réponse à notre annonce, mais, vous avez dit que votre fils était avec votre sœur, avais-je tente de dire.
  • Non ! Je vous interdis d’envisager le fait que ma sœur y soit pour quelque chose ! Ellie adore Jonathan ! Alors, elle n’y est pour rien ! Ensuite, vous vous êtes peut-être trompé de personne ! Ce n’est peut-être pas notre Jonathan à nous !

Sa phrase me fit un électrochoc et me transporta vers un moment bien précis de mon passé. Une enquête que j’oubliais par période à cause de l’impact qu’elle avait occasionnée pour la famille : l’affaire Maxime Nichols, mon opération numéro treize. Le litige où un gamin de quatorze ans eut été tué par son beau-père violent, mais il n’était pas le seul mort. Sa mère, Kate Sanchez, fut un dommage collatéral. Elle s’était suicidée après avoir vu le corps de son fils dans notre salle d’identification. Pourtant, avant tout ce malheur, Kate n’avait pas cru la moindre de mes paroles. Pour elle, je n’avais pas regardé la bonne adresse, je m’étais trompé, bien qu’elle ait du mal à dominer ses larmes, pleurant comme personne. Ce qui paraissait normal puisqu’elle s’attendait à ce genre de citations et à des gestes stoïques pour garder le sérieux de nos propos.

Sur l’instant de l’affaire Diekans ; seul ce moment horrible de l’affaire Nichols me revenait comme un traumatisme de ma carrière dont je subissais les brides à chaque battement de cils et aussi longtemps pour que l’accroche se soit réalisée. De telle sorte que je revisse cette scène avec Kate Sanchez.

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