Collaboration

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Elbar put rentrer en s'incrustant dans la première caravane venue. Celles encore peu connues passaient par les taudis, longeant les fortifications jusqu'à leurs lieux de vente pour éviter les agressions. De plus, le droit de passage par cette porte de la cité coûtait trois fois rien.

Jarvioss ne dissimula pas son soulagement en le voyant revenir, et ils firent la manche ensemble, se grimant en estropiés pour s'attirer la pitié des nantis. Comme toujours, personne ne lui demanda ce qu'il avait fait durant sa sortie nocturne.

Malgré l'approche de l'hiver, le Quézermistoss avait l'estomac noué. Il sentait que guider les licorniens dans les taudis amènerait à une catastrophe. D'un autre côté, apprendre à lire et écrire... Ses doutes l'aidèrent à prendre des airs désespérés réussis. Les deux traîne-misère demandèrent à un guérisseur de passage de compter pour eux, puis réfléchirent à ce qu'ils pourraient faire de cet argent. Ils décidèrent d'économiser. Ils ignoraient de quoi ils pourraient avoir besoin au cours de leur voyage, le nombre de personnes qu'ils devraient soudoyer.

Deux nuits plus tard, Elbar rejoignit la porte des taudis, et n'attendit pas longtemps avant qu'une personne invisible ne le saisisse par les cheveux et le soulève. Une licornienne en armure se révéla à lui, et parla sans la moindre trace d'accent, avec un mépris non dissimulé.

- Jamais vu quelqu'un d'aussi rouquemoute... L'est facile à repérer au moins, hein.

Le dragonien sentait tout le mépris qu'inspirait sa couleur de cheveux à la licornienne, sans comprendre pourquoi. Ses cheveux et ses yeux le désignaient comme descendant du clan Quézermistoss, les meilleurs forgerons et orfèvres du monde, ainsi que ceux ayant découvert le vin et le cidre. Et puissants mages du feu. Il n'en ferma pas moins les yeux, une boule d'angoisse surgissant dans son ventre. Pour qu'elle parle si bien sa langue, l'étrangère devait s'exprimer sous sort traducteur, le genre de chose que seuls les invocateurs savaient faire.

Un second licornien apparut. Son casque dissimulait ses traits.

- On doit pouvoir trouver le temple de l'eau aisément. Montre-nous le chemin le plus court.

Toujours les yeux fermés, Elbar accepta en silence. Il entendit qu'on approchait des chaînes de lui. Il couina, horrifié, quand il vit que le licornien lui mettait un collier autour du cou, rattaché à une chaîne. Il saisit le collier métallique, et voulut retourner le fermoir. Une pression d'acier froid contre la gorge l'en dissuada. Humilié, il se laissa faire, regrettant déjà d'avoir accepté l'offre du prince. De nouveau, il ferma les yeux, et expira tout l'air de ses poumons quand on lui mit la laisse. Dans l'obscurité, il n'avait pas vu le système de ressorts qui le contraindrait à garder les mâchoires serrées. Le soldat tira sèchement sur la laisse pour tester la résistance. Le ton était donné.

Soumis, il les guida en silence jusqu'au temple de l'eau, restant attentif à la potentielle venue de gardes ou de mercenaires. Le soldat tenait la laisse courte, et ne communiquait que via des tractions qui étranglaient à demi le dragonien. Quand il trouvait que son guide ne respectait pas le rythme lent de leur marche, il lui fouettait les jambes avec la chaîne. La licornienne avait fait apparaître une lance, qu'elle changeait régulièrement de main. Souvent, ils s'arrêtaient, le soldat confiait la laisse à sa comparse et il dessinait. Elbar devait rester parfaitement immobile, sous peine de se faire prendre pour cible d'entraînement par la lancière. Elle aimait viser les mollets. Quand ils repartaient, consciente que l'odeur de sang attirait les résidents et les patrouilles, l'invocatrice refermait les plaies de son souffre-douleur, satisfaite de le voir se recroqueviller et gémir à chaque fois.

À partir du temple de l'eau, ils lui demandèrent s'ils pouvaient grimper sur le toit. Le bâtiment en forme de goutte géante, parfaitement lisse, n'offrait que peu de points de vue accessibles. Elbar leur montra tout de même ces lieux, et les devança sur les endroits assez grands pour les accueillir tous les trois. De là, ils voyaient une partie des rues chaotiques des taudis, jusqu'aux remparts extérieurs.

Le licornien schématisa ce qu'il voyait, tandis que la lancière troquait sa lance contre une arbalète à recharge rapide. Un pavé de bois surmontait l'objet, qui lui épargnait de recharger manuellement l'arme. Ils allaient redescendre, quand l'arbalétrière vit deux groupes converger vers le temple. Quatre gardes et six mercenaires se rassemblèrent.

- Vous avez repéré quelque chose ? demanda un garde.

- Quelques taches de sang frais, comme souvent. Et vous ?

- Une pute crevée que personne n'a osé manger.

- Poison ?

- Quelle importance, on l'a brûlée ?

Les deux groupes s'échangèrent quelques réflexions. L'un des gardes s'enquit de la paie des Sel.

- On vient de groupes différents, l'informa le grand dominant Sel, moi je suis payé cinq écailles de bronze par heure pour coordonner nos patrouilles avec les vôtres, faire ces groupes et le ménage dans le coin. Les autres sont payés trois de cuivre par mise à mort.

- Quand je pense qu'on gagne une écaille de cuivre par jour... pesta le dominant des soldats.

L'annonce fit s'esclaffer les mercenaires.

- La preuve qu'il faut jamais être un régulier ! Ssseh, plus sérieusement, on recrute tout le monde, on peut même t'envoyer en mission chez les elfes ou à Guétrice si le cœur t'en dit. Tous frais payés, nourri et logé par nos soins. Sans compter l'entraînement, et on peut t'apprendre les langues.

- Bordel... jura le soldat. Je comprends mieux les désertions.

-Nahrdivska, auberge Linn-Fia, demande à voir un recruteur. On aime accueillir des groupes déjà formés et hiérarchisés. On forme aussi les jeunes, d'un siècle minimum, pour pas se faire emmerder par la justice. Au moins un siècle et demi, c'est mieux.

Elbar releva que les quatre soldats hésitaient à déserter leur poste, pour partir au lieu de recrutement avec leurs familles et plusieurs collègues. Il grimaça. Si jamais ils revenaient comme mercenaires... Mieux payés, mieux entraînés, et plus libres...

Les deux groupes reprirent leur patrouille. Les licorniens attendirent que le danger s'éloigne, et la lancière jeta Elbar d'un coup de pied dans les genoux. Il rebondit plusieurs fois le long des murs de marbre du temple, parvint à saisir sa laisse et se trouva pendu au-dessus du sol. Ses mains et ses poignets absorbèrent une partie du choc. Le reste résonna avec violence dans son corps, ce qui lui coupa le souffle.

Sa tortionnaire le fit lentement descendre jusqu'en bas, il s'assit tant bien que mal, dos au mur, pour reprendre ses esprits. Le licornien se téléporta près de lui, et la lancière se laissa tomber, ralentissant sa chute grâce à un sort. Elbar remarqua le regard désapprobateur du soldat pour l'invocatrice, qui lui sourit avec effronterie.

- Tu vas pas me reprocher de lui montrer qui commande, tout de même ? insista-t-elle.

Elle n'obtint pour toute réponse qu'un soupir, puis le licornien montra une direction. Elle acquiesça, puis remit Elbar sur pieds en tirant brutalement sur la laisse.

- Y'a quoi par là ?

Il répondit de façon hachée, n'ayant pas encore récupéré de sa chute et de son étranglement. Honteux, il se rendit compte qu'il tremblait. Lui reprochant de parler de façon incompréhensible, la licornienne voulut lui donner un coup de pied dans la figure. Le soldat la fit trébucher.

- Assez, femme.

- Je ne...

- On perd du temps. Avançons.

Elbar leur montra les environs du temple, et sa tortionnaire le laissa tranquille jusqu'au lever du jour. À l'aurore, ils se téléportèrent à leur lieu de rendez-vous, et libérèrent le dragonien. L'invocatrice effaça toute trace de ses sévices, et le soldat lui garantit qu'ils sauraient à l'instant s'il les trahissait. Et qu'il en mourrait bien avant. La licornienne effaça leurs traces olfactives, et ils se donnèrent rendez-vous au même endroit, trois nuits plus tard.

Il retrouva Jarvioss tant bien que mal, et l'accompagna, avec un autre membre du groupe, chercher des réserves de nourriture et des récipients pour leur voyage. Au crépuscule, Jarvioss voulut lui parler en privé. Une fois dans un endroit calme, le grand dominant saisit son second par le col, et le plaqua contre un mur. Ses pupilles s'étirèrent verticalement. Il était inquiet.

- Tu bandes pas encore que tu vas déjà aux putes, Elbar ? siffla-t-il.

- Je te jure que non... murmura le guet.

- Deux nuits que tu t'éloignes de nous sans prévenir, gronda l'autre en découvrant légèrement les crocs, qu'est-ce qui peut bien te prendre des nuits entières ? On a besoin de toi, le matin, pour vérifier qu'on peut sortir sans risques ! On a failli se faire prendre par des mercenaires zélés, aujourd'hui ! On aurait pu perdre Svida...

Les deux connaissaient la valeur de la dragonienne aux yeux d'argent. Surtout s'ils voulaient vivre de par les mers. Ou tout simplement charmer quelqu'un et obtenir des réductions de prix. Pour finir, Elbar sentait que son grand dominant portait une attention toute particulière à la seule fille du groupe.

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