Défense territoriale

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Jarvioss les fit sursauter.

- Venez, vite ! La bande d'Irlass vient réclamer notre territoire, nous devons les chasser !

Les deux autres se hérissèrent aussitôt. Irlass trempait dans tous les trafics possibles.

- Combien ? demanda Elbar en saisissant son poignard.

- Douze, il ne manque plus que vous et...

- J'irais pas, le coupa Svida.

Elbar voulut faire quelque chose. L'engueuler, lui faire signe de s'arrêter là, ou au moins lui donner un coup de coude. Jarvioss ne lui en laissa pas le temps. Il saisit Svida par la gorge et la souleva d'une main, avant de la plaquer contre un mur couvert de moisissures. Il siffla avec un air mauvais :

- Tu viens pas, hein ?

Elle voulut répondre, mais il serrait trop fort. Le grand dominant déploya ses ailes, et il la tint plus haut, à bout de bras en lui montrant les crocs.

- Nous venons tous, ou nous mourrons. Tu comprends, ça ? Nous serons à huit contre douze. Douze adultes qui vont nous sous-estimer, et tenter de nous garder vivants. Tu sais ce qui t'attends, sans ma protection ?

Ils savaient tous les trois. À partir de sa septième décennie, elle intéresserait aussi bien les pédophiles que les violeurs plus classiques, ainsi que les dégénérés désireux de trancher gratuitement des gorges. Jusqu'à la fin de ses jours. De ce qu'en savait Elbar, seul Jarvioss ne profitait pas de son statut de grand dominant pour abuser des plus faibles que lui. Elle aggrava son cas en se débattant.

- Tu ne me fais pas confiance ? lui reprocha Jarvioss. Très bien, je vais te donner une raison d'agir comme ça. Soit tu pars te battre, soit je t'égorge.

Il la jeta au sol, et la toisa avec fureur.

- Alors, tu choisis quoi ?

Elle ne put répondre, trop occupée à reprendre son souffle. Elbar dévisagea son grand dominant, curieux de voir la suite des événements. Svida se redressa tant bien que mal, sous le regard furieux de Jarvioss. Une fois relevée, elle feula. L'autre y répondit en faisant claquer la membrane de ses ailes, et Svida insista une dernière fois.

- Jarvioss, tu ne peux pas demander à ta seconde...

- Ma quoi ? l'interrompit le grand dominant, incrédule.

- Je...

- Alors attends, je vais t'expliquer deux ou trois trucs, petite... soupira le dragonien. Tu vois, lui ? demanda-t-il en désignant Elbar du menton. Lui, quand il se promène de jour comme de nuit, il ramène ce qu'il trouve de comestible. C'est le seul parmi nous qui ose sortir de la ville, et en plus le seul qui soit parvenu à se lier d'amitié avec un noble et en plus, il nous permet d'éviter les patrouilles depuis des décennies. Je ne compte plus les occasions qu'il a eues pour me poignarder dans le dos qu'il n'a pas saisies, pas vrai Elbar ? Il peut se passer de sommeil plus longtemps que nous tous, et il ne moufte pas quand je diminue sa part pour en donner plus à nos malades ou nos blessés. Toi, à côté, tu sers uniquement à venir faire larmoyer ou bander les nantis contre de la bouffe. Et tu crois encore me seconder ?

Elbar sentit une bouffée de fierté. Jarvioss remarquait donc tout ça ? Quel grand dominant fantastique ! En plus, il appréciait ses efforts à leur juste valeur. Svida voulut répliquer, et fut sonnée d'un violent coup de poing. Ne perdant pas plus de temps, Jarvioss la saisit par le col et la traîna comme un sac jusqu'à la limite de leur territoire, suivi de près par le Quézermistoss.

Les autres les attendaient déjà, près de l'endroit où des membres du groupe d'Irlass marquaient leur territoire, cherchant les traces olfactives à couvrir. Une fois Svida debout, Jarvioss et les siens arrivèrent par les toits, et les quatre archers descendirent les guetteurs à leur hauteur. Les arcs, de mauvaise qualité, ne permettaient pas des tirs puissants. Heureusement, personne dans les bas-fonds ne pouvait se payer d'armure, et les gardes Driss s'assuraient que rien ne permette de s'y substituer.

Elbar se jeta en avant, et rejoingit les blessés. Il les acheva sans état d'âme. Les archers de Jarvioss bondirent ensuite dans la rue, pour chasser les adultes d'Irlass. Les autres, et le grand dominant lui-même, les rejoingnirent dans la mêlée. Elbar s'assura que plus aucun danger ne les menaçait depuis les toits, et mit un point d'honneur à suriner les envahisseurs dans le dos.

Bien vite, ce combat dégénéra en mêlée générale. Durant le chaos du combat, Elbar sentit une lame lui effleurer les côtes, venant de derrière lui. Il se retourna et plongea son poignard dans le corps de Srass. Ce dernier voulut l'emporter dans la mort, Elbar lui arracha le visage avec les crocs. Débarrassé du traître, il continua de lutter pour sa survie, et celles de Jarvioss et Svida. Les autres pouvaient bien crever, il s'en moquait. Personne ne pouvait égaler les talents de leader de Jarvioss, et la dragonienne possédait de grands talents de comédienne, doublés de son regard envoûtant de Lorias bien utiles pour obtenir ce qu'ils voulaient.

Des gardes Driss accompagnés de mercenaires dispersèrent la foule et emportèrent les blessés. Jarvioss et les siens en profitèrent pour s'éclipser. Deux d'entres eux saignaient abondament, ils les rafistolèrent comme ils purent. Le groupe s'était réfugié derrière le temple de l'eau. Elbar en profita pour dénoncer la trahison de Srass, et sa mort.

- Ça m'étonne pas, maugréa le grand dominant.

- Mais pourquoi il aurait fait ça ? geignit Svida.

- Tu te souviens de son idée, pour qu'on n'ai plus jamais faim ?

Tous hochèrent la tête. Il avait proposé que Svida fasse le trottoir, puis qu'ils égorgent les clients. À l'unaminité, ils avaient trouvé l'entreprise dangereuse, fatale à court terme, en un mot, inexploitable.

- Je pense que ça l'a poussé à venir voir Irlass.

- Faudrait que quelqu'un lui fasse la peau, un jour, pesta un autre.

La bande approuva. Ils attendaient en mangeant que l'escarmouche s'achève, pour revenir marquer leur territoire. Un seul mort, seulement deux blessés, ils s'en sortaient merveilleusement bien. Les mages issus des bas-fonds ne s'y attardaient jamais longtemps, profitant de leur avantage pour foutre le camp, et se faire recruter au petit bonheur la chance.

Ils durent attendre le lendemain matin. Des flaques de sang qu'ils virent, ils s'estimèrent heureux que la garde Driss puisse imposer le couvre-feu. Jarvioss estima qu'ils n'étaient pas les seuls à vouloir se défendre de l'influence d'Irlass. Toutefois, il interdit à sa bande de penser à un soulèvement quelconque contre ce trafiquant. Certes, plusieurs dragoniens préféraient rester hors de sa sphère d'influence. Mais Irlass offrait un contre-pouvoir bien trop intéressant pour disparaître. Eux-mêmes, quand ils seraient adultes, s'ils survivaient assez longtemps, lui trouveraient une utilité. Il profitait du même fond de commerce que les Sel : il se salissait les mains à la place de ses clients.

Le territoire réapproprié, ils se séparèrent pour trouver de la nourriture, de l'eau et de l'argent. Elbar passa la journée seul, et ne trouva que des choses classiques. Ils devaient préparer leurs réserves pour l'hiver.

Le soir, Jarvioss leur fit part d'une idée qu'il nourrissait depuis quelques lunaisons.

- Si nous devenions pirates ?

- D'où tu sors cette idée, toi ? se hérissa un membre du groupe.

- Tu sais, je pratique quelque chose de fort utile, qui se nomme "écouter les conversations", gronda Jarvioss. Et il semblerait que la piraterie, ça marche. On sait survivre en milieu hostile, rester vigilants sans se relâcher, on est jeunes...

- On ne sait rien faire de nos dix doigts, on n'a pas la moindre goutte de sang Novia ou Lorias en nous, on n'y connait rien à la navigation, pas même combien il faut de personnes pour former un équipage... ajouta sombrement Svida ; Ssseh, et il est hors de question que je devienne une sans-terre bouffeuse de poissons.

Jarvioss fit claquer ses mâchoires, et poursuivit, non sans jeter un regard torve à Svida.

- Rien ne nous empêche de nous entraîner sur les rivières et les fleuves, qui sait d'ailleurs si bateliers ne nous conviendrait pas ? On peut aussi apprendre sur le tas une fois dans un port, ou tous devenir serviteurs, ou je ne sais pas comment ça s'appelle sur un bateau.

- Mousses, précisa un autre.

- Si tu le dis. Qui ça intéresse ?

Elbar fut le premier à lever la main. Ils quitteraient cette cité où sa mère avait été pendue, où les nantis, malgré la proximité géographique, ignoraient tout de la vie des loqueteux dans son genre, où la justice n'existait pas, où il ne pouvait manger que du chien, du chat, du rat parfois du pigeon, du corbeau et autres oiseaux nécrophages, ainsi que ses propres pairs. Où manger du boeuf tenait du miracle, où l'eau non contaminée tenait presque de la légende, où la moindre égratignure pouvait s'infecter et conduire à une mort lente, où la quasi-totalité de ceux de moins d'un siècle et demi se faisaient exploiter de mille et une façon par d'autres parfois à peine plus âgés. N'importe où lui semblait mieux que Narhcouyss.

Deux autres levèrent aussi la main. Svida et les deux derniers croisèrent plutôt les bras. La dragonienne siffla.

- Vous voulez vraiment devenir des sans-terres ? Enfin réfléchissez, ici nous possédons un territoire...

- Lorgné par Irlass, l'interrompit Jarvioss. Je doute qu'il nous rate à sa prochaine offensive. Vu la mêlée générale d'hier, il n'aura même pas à nous envoyer quelqu'un. Je pense que nous devons partir, avant qu'il ne nous soumette. Je n'obligerais personne à me suivre. Sachez juste que je compte rassembler toutes les vivres que nous pourrons, tout l'argent sur lequel nous pourrons mettre la main... et partir vers la côte Nord.

- Mais ça nous fait traverser les lignes licorniennes ! s'écria un des plus jeunes membres du groupe.

- Ils veulent nous tuer autant que nos propres frères, rétorqua Jarvioss, ça ne nous changera pas de d'habitude. Et puis avec notre guetteur, on devrait survivre. Pas vrai Elbar ?

Ce dernier acquiesça avec vigueur. Il était d'accord avec tout ce que disait son grand dominant. Jarvioss laissa les autres émettre d'autres objections, auxquelles il prit le temps de répondre. Ils y passèrent la nuit, et même Svida fut convaincue. Alors, au petit matin, en plus de chercher des réserves pour l'hiver, ils partirent en quête de sacs pour transporter leurs affaires, et tout ce qui leur permettrait de voyager.

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