La rose

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Une heure déjà, et Alexandre n'est toujours pas revenu. A trois reprises, j'ai bondi sur mes pieds lorsque des pas ont retenti dans le couloir, mais ce n'était jamais lui. Les pas se sont arrêtés, ont tourné court avant d'atteindre le bout du couloir, que nous nous partageons lui et moi. Un bruit de clés, une porte qui s'ouvre, se referme, puis plus rien. J'essaie de me concentrer sur la lecture de mes cours. Il faut que j'avance. Mes notes ne sont pas fameuses ce semestre. Si je ne remonte pas ma moyenne, je peux dire adieu à mon master. Cet après-midi, je n'ai pas révisé, j'avais autre chose à faire. Quelque chose de capital.

Des pas, encore ! Mon cœur bat trop vite, mon ventre se tord. Cette fois, ils ne s'arrêtent pas, ils continuent à longer le couloir, avec le martèlement assuré de celui qui avance en territoire connu. Mais quelque chose ne va pas. Ce son qui résonne, claque. C'est une démarche de femme.

Mais qui c'est, celle-là ?

Je me précipite pour lorgner à travers l'œilleton vissé sur la porte d'entrée de mon studio. Il m'offre une vision floue et déformée, mais panoramique, du palier de la chambre d'Alexandre. Le rouge pompier agressif de la porte me transperce l'œil. Sur le paillasson, dont l'illustration tirée du mythique jeu vidéo « Space Invaders » est réduite à une nuée de taches noires sans signification, mes présents sont disposés avec soin. Une boîte de chocolats achetés chez Jeff de Bruges, au centre-ville, une carte et une rose rouge. Je voulais les lui offrir en main propre, ce soir, pour la Saint-Valentin. Je le voulais vraiment. Mais je n'ose pas. Rien que d'y penser, mes jambes flageolent et mon souffle se bloque.

Elle est là. Déformée, étrange. J'ai l'impression de la voir évoluer sous l'eau. C'est une grande rousse, longue et mince, les cheveux coupés au carré, ondulés. Elle s'arrête devant le paillasson, contemple mes cadeaux. Elle reste plantée là, un long moment. Je ne la connais pas, je ne l'ai jamais croisée sur le campus. Mais qu'est-ce qu'elle vient faire là ? Est-ce qu'Alexandre la connaît ? Elle reste toujours là, sans bouger. Les secondes s'étirent, je suis au supplice.

Puis, lentement, elle se penche. Elle s'empare de la boîte de chocolats et de la carte, les lève devant son nez, les contemple un moment, puis, sa curiosité satisfaite, conclut son inspection en les fourrant au fond de son sac mauve à franges. Hé ! Mais pour qui elle se prend, elle ? Je m'apprête à sortir pour lui bondir dessus, mais la suite des événements me cloue sur place : elle regarde autour d'elle, se saisit de la rose d'un geste furtif de félin en chasse, la fourre dans sa bouche et commence à la dévorer. Elle mâche avec délectation, sans se presser, comme s'il s'agissait de la chose la plus normale au monde. Une fois la fleur engloutie, elle s'attaque à la tige bardée d'épines avec la même gourmandise. Je devrais réagir, faire quelque chose ! Mais l'incrédulité me laisse ébahie. Cette fille est complètement folle. Elle me fiche la trouille. Et puis elle n'est déjà plus là, je l'entends courir dans l'escalier. Je n'arrive pas à y croire. Elle a volé mes chocolats et mangé ma rose !

D'autres pas, plus lents, plus feutrés. Alexandre. Il ouvre sa porte, ne remarque rien. Normal, il n'y a plus rien à remarquer.

Pas de Saint-Valentin pour toi cette année, Flora...

Elle me paiera ça.

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