Chapitre 3

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La Brume est devenue un élément essentiel à notre vie moderne. Un élixir étrange, à la composition inconnue, qui a le mystérieux pouvoir d’alimenter nos engins sans jamais qu’elles ne défaillent d’un problème technique. Combien de litre en pompons-nous chaque année pour nos besoins ménagers ? Des milliers ? Des centaines de milliers ? Plus ?

De telles statistiques n’existent pas : le monopole de sa fabrication et de sa distribution n’étant qu’à la discrétion de la SCAE – la Société Continentale d’Alimentation en Énergie – en étroite collaboration avec la CCM pour effectuer des contrôles. À ma connaissance, aucun Chercheur n’a été habilité à ce jour à se pencher sur la question, ou, si c’est le cas, leurs rapports ont dû être tenus secrets et n’avoir été reportés qu’à la Société elle-même. Je ne doute pas de l’existence d’apprentis sorciers, quelques fous prêts à sacrifier leur ration ménagère de Brume, il y en a certainement eu, mais je crois qu’affirmer que, sans la certitude sur la composition de cette « potion magique », aucune recherche ne pourra avancer sans faire de dommages collatéraux.

Extrait de Les rouages d’un ménage moderne

par Tuì Wollensberg


– Est-ce que tu te sens mieux ?

– Oui, oui, enfin… je crois. Oublie. Encore désolé pour tout à l’heure. J’étais juste…

– Sol’, ne t’excuse pas ! C’est normal d’être humaine.

Délicatement, Hari’ essuie les résidus de larmes sur mes joues.

– « Pleurer, ça te permet d’évacuer ton trop plein d’émotions. » C’est ce que tu m’as dit, la première fois que l’on s’est rencontré.

– C’est vrai… Je m’en souviens.

Silence.

Hari’ et moi, on se regarde un moment. Assis l’un en face de l’autre, deux tasses fumantes devant nous. Deux faibles sourires s’étirent sur nos visages. Gênés. Authentiques.

Quelques instants plus tôt, après avoir laissé s’échapper toutes les larmes de mon corps, Harion m’a traînée jusqu’ici, ce café dissimulé par d’immenses pieds de lierre. Aussi petit que le laisse penser la devanture, l’intérieur est plongé dans le noir. Les tables ne semblent pas avoir la moindre envie d’accueillir des clients : avec leur bougie à moitié fondue, elles restent dans une ombre oppressante. Malgré cela, je trouve à l’endroit un air enchanteur. Préservé de la lumière de la réalité. Un abri, un refuge.

Nous sommes seuls dans la pièce. Le gérant, un homme de peu de mots, nous a fait signe qu’il allait inspecter la réserve. Son visage inexpressif, sa cicatrice allant de son oreille droite à sa pommette gauche, ses manières brusques.… Depuis aussi longtemps que je me souvienne, il a toujours eu l’air intimidant. Mais, cela fait tellement longtemps que l’on fréquente son café, il a fini par ne plus se déranger pour nous. C’est à peine si ses lèvres se descellent pour nous saluer.

– Je sais que ce n’est pas vraiment la meilleure manière d’aborder le sujet, surtout après ce qui vient de se passer, dis-le-moi si ça te dérange, parce que ce n’est pas du tout mon but, je veux juste que tu saches que je suis là pour toi et que… je crois que je m’écarte du sujet. Je voulais dire que… que je…

Hari’ s’emmêle avec ses mots. Je vois sa main qui tremble, comme s’il se retenait pour ne pas attraper une de ses mèches et tirer nerveusement dessus. Une petite habitude à lui.

– Je… bref, ce que je veux te demander, Sol’, c’est… qu’est-ce que tu comptes faire maintenant ?

– Ah… ah ahah…

Je ne m’y attendais pas à celle-là. Tout sauf cette question. Et quelle entrée en matière en plus ! Ma gorge est sèche ; les mots crissent en sortant. Je joue nerveusement avec le médaillon d’Allie.

– Honnêtement, je n’en ai aucune idée.

– Ah… Je vois.

Silence.

Seule la volute qui s’envole de nos tasses fulmine dans l’air.

Fscchhh !

– Tu pourrais peut-être t’enrôler chez les Gardes ? Après tout, tu as de l’expérience sur le terrain et la CCM ne t’a pas retiré ton arme… non ?

Le regard d’Hari’ descend sur ma hanche, désertée de tout holster.

– Non, Éverine m’appartient. Même s’ils l’avaient voulu, ils n’auraient pas eu le droit : comme il s’agit d’une propriété privée. Par contre… je crois que son utilisation m’est interdite désormais. C’est pour ça que je ne l’ai pas prise aujourd’hui.

Éverine. Un revolver noir. Deux canons l’un au-dessus de l’autre. Chaque soir, mes doigts parcourent le motif intriqué de feuilles gravé dessus. Elles qui ne se flétriront jamais, indifférentes au temps qui passe… aux personnes qui nous quittent.

– Et puis, Garde et Trappeur ce n’est pas le même métier : la formation est différente, leur vocation aussi… je ne suis pas sûre que je supporterais de protéger tous ces…ces… gens.

– Mais, Trappeur aussi, non ? En capturant les créatures magiques, tu protèges la population d’une potentielle attaque.

Ah…

Sourire.

– J’imagine que l’on peut voir les choses comme ça aussi… Mais… quand tu es Trappeur, tu ne vois pas le visage des personnes que tu as sauvées passer de la reconnaissance au dégoût. Je ne veux pas… je ne veux pas mettre ma vie en danger avec leur regard qui me transperce le dos.

Les yeux d’Hari’ s’écarquillent brièvement.

– Désolé ! Je suis… ! Je… Je n’avais pas vu les choses sous cet angle-là…

Silence.

Nous buvons une gorgée de nos boissons. L’eau chaude légèrement infusée avec quelques herbes inconnues se déverse dans mon corps. Un déluge de chaleur. Qui s’évanouit en un instant…

Je me sens pitoyable.

– Et sinon… partir ? Est-ce que tu l’as déjà envisagé ?

Je manque de m’étouffer. Je tousse. Recrache mes poumons.

– Par…pardon ?

J’engloutis le reste de ma boisson pour faire passer cette sensation désagréable au fond de ma gorge. Calmement, Hari’ redresse ses lunettes sur son nez, jusqu’au bout, pour les redescendre tout de suite après parce que cette position est inconfortable.

– C’est logique, non ? Tu n’as jamais vraiment été attachée à Mer’u : que ce soit ses gens ou ces lieux. Aldena et…

Les mots s’étranglent dans sa gorge. Il tousse légèrement, les dégage sans ménagement du cours de sa pensée.

– Ils ne sont plus là. Alors pourquoi ne pas partir ? Là où personne ne te connaît, où tu pourras recommencer à zéro ?

– Ah…

– Je sais que c’est assez… radical comme plan, et aussi que l’on pourrait penser que tu prends la fuite, mais je pense que…

Le reste de sa phrase est englouti. Hari’ parle, parle, parle ! Mais je n’entends rien. Sa voix est recouverte de bruits blancs. Je l’observe. Si fin et délicat. Une ossature fine que l’on devine sous cette peau presque opalescente. Un visage neutre. Sérieux. Dont les propos de son propriétaire ne sauraient déformer. Mais au fond de ses yeux, une flamme brûle à mesure qu’il me présente de long en large son idée. Comme un professeur passionné qui voudrait partager tout son savoir, mais… Je ne suis pas ton élève, Hari’. Je me fiche de connaître tes arguments. Comment peux-tu penser ça ?

– Hari’…

– … et puis, la formation de Trappeur est assez exigeante, comparée à d’autres. Cela prouve déjà ton engagement à…

– Hari’.

–… et si tu changes de lieux, tu pourras plus facilement trouver du travail ! Ce n’est pas comme si…

– Hari’ !

Sursaut.

Ses yeux s’écarquillent un bref instant. Le temps d’un battement de cœur. Immédiatement, la surprise s’efface de son visage. Hari’ est à nouveau composé.

– Oui, Sol’ ?

Soupir.

– Pourquoi faut-il toujours que tu t’emballes trop vite ? Je… je ne suis pas d’accord avec toi. Je ne peux pas partir. Je ne veux pas partir.

Rien. Je viens de mettre en déroute son argumentaire bien huilé, mais il ne répond rien. Ne contre-attaque pas. Hari’ rame. Les rouages de son cerveau en ébullition, essayant de traquer l’erreur dans son raisonnement répété déjà tant de fois. Pourtant si simple.

– Je ne compte pas t’abandonner ici.

D’abord un long silence. Quelques battements de cils. Puis un petit rire.

C’est à mon tour d’être surprise.

Harion rit gaiement. Sa main portée devant sa bouche, comme un réflexe pour cacher son sourire.

– Tu joues sur les mots là, Sol’.

Gorgée de thé. Son regard effleure la surface liquide portée à hauteur des yeux. Ses semblants de pommettes encore légèrement relevées de joie. Un peu songeur. Un peu rêveur.

– Tu ne vas pas m’abandonner : je pars avec toi.

Je manque de m’étouffer avec ma salive.

– Quoi ! Je ne peux pas te demander ça, Hari’ ! Tu travailles aux Archives ici et puis, qu’est-ce que tu comptes dire à ta mère !?

Tink !

Hari’ repose brusquement sa tasse. Le tintement de la porcelaine sur la table résonne au fond de mes oreilles. En une note ténue. Désagréable.

Frisson.

Harion me fixe du regard, me fusille presque de reproches. Je me fige, tendue. Suspendue à ses lèvres, aux mots qui sortent de sa bouche.

– Pour ce qui est de mon travail, Solfiana, il me suffit d’apprendre le catalogue d’une autre bibliothèque pour être qualifié à y travailler. Quant à cette vieille folle…

Il articule soigneusement, insiste sur chaque mot de cette dernière phrase :

– Elle n’existe plus pour moi depuis longtemps.

Froid.

Mordant.

J’inspire fébrilement.

Les mots sortant de ma bouche chancellent. Précipités.

Irréfléchis.

– Mais… ! Mais elle reste quand même ta mère. Je… Je n’essaie pas de justifier ce qu’elle t’a fait, mais… Si je suis sûre d’une chose, c’est qu’elle t’aime. Sincèrement. Je ne te laisserai pas la faire disparaître de ta vie aussi facilement.

À mon tour de plonger mon regard dans le sien. Je tente de lui communiquer toute ma bonne volonté. La forme du médaillon s’imprime sur ma paume. Mais… Hari’ grimace. Il repousse nerveusement sa frange qui lui retombe dans les yeux.

– J’ai l’impression d’avoir déjà eu cette conversation un millier de fois. Changeons de sujet, tu veux ?

Silence.

Hari’ porte à ses lèvres sa tasse. Puis se fige. Elle est vide. Il la repose, agacé.

Tink !

Ma gorge est nouée. Je n’ose plus rien dire.

Nous baignons dans ce silence étouffant. Immobiles. Comme effrayés de respirer. D’être encore vivants.

Mes doigts tirent nerveusement sur l’ourlet de ma chemise. Frustrés. Abattus. J’aimerais tant… J’aimerais tant qu’il puisse voir ce que je vois. En lui, en les autres. Mer’u est un trou où il est facile de rester piégé. La plupart des personnes qu’on y croise sont des aveuglés des préjugés, mais… il y a tant de gens qui t’aime ici, Hari’. À commencer par ta mère. Tes voisins, tes collègues de travail. Les lecteurs que tu as conseillés, que tu as aidés. Puis moi. Si seulement…

– Désolé…

Ce simple murmure me tire de mes pensées. À nouveau, je fixe Harion du regard. Il se mordille la lèvre, hésite, mais il continue sur sa lancée :

– Je suis désolé, je n’aurais pas dû être aussi… brusque. Je sais que tu essaies juste de m’aider, mais… Oublie. Ce que je veux dire c’est : peu importe ce que tu décides de faire, je te suivrais. Que ce soit ici ou dans une autre ville à l’autre bout du Continent, je te retrouverais.

– Hari’, je…

Il lève sa main, signe de me taire.

– Sol’, tu es quelqu’un d’important pour moi… non, tu es plus que ça. Tu es une personne irremplaçable dans mon cœur. Si tu disparaissais, je me retrouverais tout seul et cette pensée m’est insupportable : je ne saurais plus où aller, je ne saurais plus si je suis en train de me perdre. Partir avec toi, prends ça comme un gage de ma gratitude pour m’avoir sorti de ce trou. Rien de plus, rien de moins. Vraiment.

Alors que des morceaux phrases se bousculaient dans ma bouche un instant auparavant, maintenant, il n’y reste plus qu’un mince filet de silence. Je ne suis capable de ne lui répondre qu’avec un faible hochement de la tête. Et même si je me sentais soudainement bavarde, je ne trouverais pas les mots justes. Les mots qui ne briseraient pas cet instant… unique.

Je pose ma main sur la table. Hari’ vient la prendre dans la sienne. Une douce chaleur envahit mes doigts. Nous sommes bien vivants.


Ƹ§Ʒ


– Rentre bien, Sol’. Fais attention sur le retour.

– Toi aussi, fais attention. Je ne voudrais pas te retrouver de nouveau avec le visage tout tuméfié !

Petit rire.

– Je ne peux rien te promettre.

– Exactement ça… Attends, quoi ? Qu’est-ce que ça veut dire ça ? Hari’ ! Qu’est-ce que ça veut dire ? Hari’ ? Hari’ ! Eh !

Sans même me répondre, mon meilleur ami se fait la malle. Il me laisse en plan, n’agitant que vaguement sa main en l’air en signe d’au revoir. Je souffle agacée. Et un peu amusée… J’observe sa silhouette squelettique déambuler un moment. Ses longues enjambées, ses mèches aux couleurs hétérogènes. Les petits sursauts de son corps à chaque pas, comme si ses os se déboîtaient et se remettaient en place à chacun de ses mouvements. Il est grand Hari’. Une grande asperge un peu fatiguée ou qui a poussé dans la mauvaise direction. Mes yeux le suivent jusqu’à qu’il disparaisse dans un tournant.

– Ah…

Autour de moi, seul le vent s’agite, souffle. Je frémis, resserre les pans de ma veste contre moi. L’hiver ne saurait tarder. Sa neige et ses nuits presque sans fin. À mesure que la vague de froid s’installera, le prix de la Brume explosera. J’espère que l’on a pensé à en faire des réserves cette année. Coup d’œil en l’air. La barbe à papa grise dans le ciel se fait plus dense. Plus menaçante de minute en minute.

Maigre sourire avant de se remettre en route. Les rues sont vides. Vides de monde, vides de son. Il est encore tôt, les travailleurs des champs ne sont pas encore sur le retour. Trop tard pour que les enfants crapahutent dehors. L’heure creuse de la journée. J’expire bruyamment. Le cœur léger. Je marche d’un bon pas.

Tac ! Tac ! Tac !

En quelques battements de cils, l’itinéraire touche à sa fin ; c’est sans accident que j’arrive sur le perron de notre maison… de ma maison.

Craquante.

Je relève la tête, embrasse du regard la bâtisse éteinte.

– Ah…

Le vent souffle. Il fait crisser la structure de bois. Fait s’envoler, s’effondrer le maigre souvenir qui s’y rattachait encore.


Eeeet, voilà ! Nous sommes arrivés ! Alors petite, ça te plaît ? C’est ta nouvelle maison.

– … C’est… c’est vrai ? Je peux… vraiment habiter ici ?

Bien sûr ! Je t’ai adoptée, je suis donc ton tuteur légal. À partir de maintenant, appelle-moi Oncle Orléo !


Tout s’est envolé. Son lustre, sa magie d’antan. Ce n’est plus qu’une maison fantôme. Je ne trouve en moi aucune force, aucune volonté de la ranimer. Et même si j’en avais, …

– … ce ne serait jamais la même chose.

Je secoue la tête, soupire. Je suis lasse de tout ça. Le médaillon autour de mon cou semble plus lourd. Le peu de joie qu’Hari’ avait réussi à m’insuffler s’est essoufflé. Refroidi face à cette vue. Ma main s’empare des clés au fond de ma poche. D’un mouvement fluide, elle déverrouille la porte.

Crrrrri !

C’est un craquement sinistre qui me souhaite la bienvenue. À l’intérieur, seule l’obscurité m’attend, peu câline, fuyante. Je cherche, sens un interrupteur s’enfoncer sous mon doigt.

Clic !

Rien. Les ampoules demeurent inertes. Je souffle faiblement.

– Pas encore…

Je n’ai même plus la force m’agacer. Je ne peux que… Soupir. Me mettre rapidement au boulot. Je m’avance prudemment dans le noir. Mes doigts effleurent la surface lisse d’une commode, heurtent un vase esseulé. La porte refermée dans mon dos n’ose faire passer qu’un fin rideau de lumière. À peine suffisant pour me guider. Dérisoire face à ce que pourrait laisser entrer les fenêtres si de lourds rideaux ne les aveuglaient pas. Je fais quelques pas en avant. Tantôt mes pieds se posent sur un parquet rayé, tantôt sur un vieux tapis épais. Je manque de trébucher plus d’une fois. D’habitude, lors de ce genre de panne, Allie se tiendrait derrière moi et…

– … !

Je sursaute. Froid. Ma main est entrée en contact avec une surface métallique. Je tâtonne, trace le contour de l’objet. Sous ma main, je reconnais la poignée en laiton que je cherchais. Seulement… Aucun bruit ne sort de derrière cette porte. Le ronronnement régulier, crissant, bourdonnant s’est tu. En panne. Comme d’habitude. J’abaisse la poignée, m’accroche au cadre de la porte pour descendre les quelques marches… Un souffle froid me caresse la nuque. Je frémis. Elle est là. Même sans la voir, je sens la brume glacée s’enrouler autour de moi. Observer le moindre de mes gestes.

–…

Silencieuse.

Vivante.

Normalement, sa présence ne m’effraie en rien, mais…


Aaah ! Aaaarrrh ! Aidez-moi ! Je vous en supplie… ! Aaaah ! Aidez… ! Aaaah ! …

Non ! Non non ! Je ne veux pas mourir, je ne veux pas ! Je… ! Aaaah !

Je n’ai rien fait de mal ! Je n’ai rien fait de mal ! Je n’ai rien à voir avec tout ça !


–… !

Qu’est-ce que… !

Boum !

Des sueurs froides courent sur ma peau.

Boum ! Boum !

Les battements de mon cœur font trembler mes os.

L’air a du mal à rentrer dans mes poumons.

Boum !

Pour la deuxième fois de la journée, je me retrouve à terre, à genoux, le souvenir de m’être effondrée effacé.

Qu’est-ce qui…

Je lève mes mains devant mon visage.

Qu’est-ce qui vient… de se passer ?

Mon regard parcourt mes paumes, mes doigts, détaille le réseau de veines… J’essaie de me raccrocher à quelque chose de familier. Mais plus je fixe mon attention dessus, plus elles ne semblent pas m’appartenir.

Étrangères.

Comme si mon propre corps était un mensonge.

Comme si…

– Attends un peu…

Comment est-ce que j’arrive à voir mes mains ? Je suis censée être dans le noir, non ?

– Ah…

Tout autour de moi, un liquide blanc luminescent s’est répandu. Une flaque. Par endroits transparente, par d’autres faite d’étoiles. Soupir. Vu la quantité… Je regarde autour de moi, repère le jerrican renversé. Vidé. Sans surprise. Il a saigné toute la Brume qu’il contenait. Le quart d’une paie qui s’envole. J’observe misérablement la flaque au sol. Mon reflet est troublé, rongé par ces lumières. Un bout de tresse, des lèvres serrées. Un œil éteint. Je détourne le regard. Allie aurait réussi à voir le bon dans cette situation. Elle aurait fait maintes pitreries pour m’arracher un sourire…

Mais Allie n’est plus là.

Sans elle, je suis juste… Mon cœur se serre.

De la flaque de Brume, un petit grésillement se fait entendre. Des braises blanches s’en envolent. Le temps d’un clin d’œil, avant de retourner au néant. Je les regarde valser, impuissante. À quoi bon essayer d’en sauver ? Il est trop tard : elles se sont déjà embrasées.

Je me retrouve à nouveau dans le noir. Frissonnante. Perdue. La brume glacée m’enserrant entre ses tentacules. Mon esprit est vide.

Éteint.

– Qu’est-ce que je dois faire maintenant, Allie ?

Silence.

Je me recroqueville sur moi-même. Le tissu râpeux de ma veste contre ma joue. Mon souffle qui résonne au creux de mon oreille. Mes mains entourant précieusement le collier de ma sœur. Je n’ai plus la force de me relever.

Le noir dissimule mon corps. L’avale tout cru.

Je disparais.

La torpeur m’envahit lentement.

Juste une minute… Une petite minute…

Viens à moi…

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