Chapitre 2

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La mort de son coéquipier est l’un des risques que l’on accepte en devenant Trappeur. Plus que de l’amitié, c’est un lien de confiance qui se crée au fil des missions. Il ne s’agit pas de coopérer, mais de confier sa vie à autrui. Une quelconque barrière, un secret, une honte, une peur met en danger son partenaire. Une équipe soudée est le seul moyen de s’en sortir. On devient un tout qui, sans un regard, sans un mot, est capable de surmonter tous les obstacles. Sans sa moitié, les perspectives futures sont restreintes si ce ne sont nulles. En effet, comment peut-on se relever après une perte pareille ?

Extrait de Les dangers du métier de Trappeur

par Tuì Wollensberg


Je soupire une fois encore. Retour à la case départ. Mon regard se porte sur la boîte en carton que je viens de poser sur le comptoir. Tout notre matériel de Trappeuses… Lunettes MECA, fléchettes tranquillisantes et oreillettes, vous ne m’appartenez plus désormais. Un équipement presque neuf… Je laisse glisser mes doigts le long d’un gantelet. Celui d’Aldena…

– Solfiana ? Tu es sûre que ça va aller ?

Soupir.

– Ça va aller, Freddy. Ne t’inquiète surtout pas.

Je fais tant bien que mal un sourire à l’intermédiaire de la CCM. Il me décoche un regard bizarre. Cependant, il se reprend vite et fait disparaître le matériel derrière le comptoir. Puis, quand il se relève, quand il me refait enfin face, son regard se dérobe. Ses lèvres esquissent un début de phrase. Mais rien de plus. Un silence gêné s’installe entre nous.

Rien à dire… comme d’habitude. On ne s’est jamais beaucoup parlé et le peu de nos interactions peuvent se résumer à des formalités plates, mais… Freddy a toujours été bienveillant à notre égard. Il a toujours réussi à nous sourire depuis son comptoir. Malgré tout ce qu’il a subit par notre faute…

Un raclement de gorge me tire de mes pensées.

– Tu comptes faire quoi maintenant ?

Ah… L’émotion m’étrangle. Que vais-je faire ? Je ne sais pas. Ma tête se tourne vers la droite, ma bouche s’ouvre pour poser une question… mais il n’y a personne à côté de moi. La réalité me revient en pleine face. C’est vrai. Aldena… n’est plus là. J’avale difficilement ma salive et refait face à Freddy comme si de rien n’était.

– Je ne sais pas encore. On verra bien ce que l’avenir nous… me réserve !

Le silence se glisse à nouveau dans la conversation. Des murmures me parviennent.

– C’est… c’est toujours un plaisir de papoter avec toi, Freddy, mais je crois que je ne vais pas m’attarder plus longtemps.

Je lance quelques regards nerveux en coin.

– Oh, je vois… Ne t’inquiète pas, je ne vais pas te retenir.

On se fixe encore un instant. Les non-dits flottant dans l’air, puis s’évaporant comme s’ils n’avaient jamais existé. Voilà, c’est fait. Pas d’au revoir, ni d’adieu. Je tourne les talons et m’apprête à me diriger vers la sortie…

– Ah ! Attends !

Mes pas se stoppent. Je lance un regard en arrière.

– Oui ?

– A-ah, c’est-à-dire, c’est un peu gênant dit comme ça, mais… Est-ce que… Est-ce que tu pourrais passer me voir de temps en temps ? Pour, enfin, tu vois, garder un peu de contact ? Je veux dire ! Ça fait tellement longtemps que l’on se connaît que… !

Ah… Un sourire contrit se forment sur mes lèvres.

– C’est compris. Je le ferais.

Le visage de Freddy s’illumine. Il me salue énergiquement de la main, ravi. Inévitablement, mon regard parcoure la longue cicatrice qui zèbre sa paume. Mon cœur tressaille. Je me remets vite en route. Les portes s’ouvrent dans un claquement. De l’air frais caresse mon visage.

Je te demande pardon, Freddy.

Une grande inspiration. Avant de faire un pas en avant.

Pardonne-moi, car c’est la dernière fois que l’on se voit.


Tu as entendu ? L’une des orphelines est morte hier soir.

Tss ! Ça c’est parce qu’on les a mal éduquées. Elles ont dû se croire libres de tout faire et voilà le résultat.

Elles ont quand même perdu deux fois leurs parents. C’est louche, non ? Tu ne crois pas que …qu’elles les auraient tués ? Pour toucher l’héritage ?

Tu veux dire que c’est pour ça que l’une d’entre elles est… ? Parce qu’elles ne voulaient pas partager ?

Ça, ça ne m’étonnerait pas ! Après tout, elles ne partagent même pas le même sang.


Je secoue la tête, chasse ces mots de mes pensées. Ils ne savent rien. Ce n’est qu’un jeu pour eux. La mer est infestée de requins. Je tente de ne pas reculer, de ne pas me laisser impressionner, mais… mes mains tremblent, je le sens. Des nouveaux murmures s’élèvent déjà.

Boum boum !

Mes pas sur le pavé comme des battements de cœur.

Tac, tac, tac !

Les regards me suivent. J’emprunte des rues au hasard. À droite. Tout droit. À gauche. Ils se harponnent à mon corps ; des milliers de fils en pendent.

Tac, tac !

Boum !

Qui lentement se tendent.

Pour attraper leur prise.

Sploscchhh !

– Ah…

Le jus de tomate dégouline le long ma joue. À mes pieds, quelques morceaux rouges décorent les pavés gris. Je serre les poings. Des rires. Et des doigts qui pointent.

Des mots me brûlent la gorge.

Ils s’y bousculent comme un torrent d’acide.

Mais mes lèvres restent désespérément closes.

Cette bataille est perdue d’avance.

Je baisse la tête et déguerpis sans demander mon reste.

– Tchh ! C’est ça, dégage d’ici.

Des panneaux défilent. Des maisons se succèdent. Les portes claquent et les coups bas pleuvent. Mais quelle importance ?

– Ils ne savent rien…

Je serre le médaillon d’Allie autour de mon cou. Un peu plus fort. Presque au point d’imprimer sa forme dans ma chair.


Dis… pourquoi est-ce que tu portes ça tout le temps ?

Hum ? Oh, ça. C’est un cadeau de mes parents. Ils me l’ont donné quand j’étais encore toute petite.

Ah… d’accord…

Reniflements.

Mais ! Mais pourquoi tu pleures ? J’ai rien dit de méchant pourtant et je ne t’ai même pas piqué quelque chose cette fois !

– …

Soupir.

Est-ce que c’est parce que… tu es triste pour moi, c’est ça, Sol’ ?

Silence. Puis un faible hochement de la tête.

Petit rire

Aïe aïe aïe, mais qu’est-ce qu’on va bien pouvoir faire de toi, pleurnicheuse comme tu es. Ce n’est rien Sol’, c’est de l’histoire ancienne. Alors, arrête de pleurer, veux-tu ?

D-d’accord.

Sourire.

Oui, c’est mieux comme ça. Tu n’as pas à pleurer pour si peu, tu sais ? Regarde, je ne pleure même pas !

C’est… c’est vrai.

Bien sûr que c’est vrai ! Tu ne me crois pas ? Et tu sais pourquoi ? C’est parce que je t’ai, toi. Mon adorable petite sœur !


Soudain mes doigts tressaillent.

– Ah…

Je ne voulais pas venir ici. De tous les endroits… Mon pied hésite un instant. Je me mords la lèvre.

Déclic.

Mon pied se pose, fait un pas de plus. La place du Midi apparaît alors à ma vue. Cet endroit… Là où tous les parents se réunissent. Quelle vue. Assis autour d’une fontaine, de beaux sourires s’étirent sur leur visage. Je les vois rayonner. Ils applaudissent, ils rient, ils exultent de bonheur. Leur regard bienveillant fixé sur leurs enfants. Et pour couronner le tout, le Soleil vient les baigner d’une lumière chaleureuse. Des portraits de famille charmants. J’ai le cœur au bord des lèvres.


Tonton ! Tonton ! Regarde !

Eeeet, tadaa !

C’est époustouflant, ma chérie ! Mais où as-tu appris à faire la roue ?

Haha, je l’ai appris toute seule, comme une grande.

Wow ! Moi aussi ! Moi aussi, je veux le faire ! Apprends-moi, Allie !


L’illusion s’évapore.

Pincement au cœur.

Il faut que je parte. Il faut… il faut… !

C’est ce que je me dis, mais mes pieds sont cloués au sol. Mes yeux n’arrivent pas à se détacher de ces enfants. De leur sourire.

Ils sont rayonnants.

Ils se passent une balle en cuir. Ils rient, ils crient.

La balle, elle, elle s’envole dans les airs.

Hypnotique.

Je me souviens encore d’avoir observé pendant des heures ce genre de jouet. À travers une vitrine ou dans les mains de quelqu’un d’autre. D’avoir rêvé de pouvoir m’amuser avec. Shooter et lui courir après. La chérir de tout mon cœur. Mais… ce genre de pensées est inutile quand on sait avec quelle facilité on peut crever ces jouets.

Alors je ne fais que la regarder. Atterrir entre des mains avant de les quitter aussitôt. De passe en passe. De saut en saut. En un cycle ininterrompu.

Ou presque.

Soudain, comme au ralenti, je vois des petites mains déraper à sa surface. La balle glisser le long de ces doigts, jusqu’à leur extrémité. Puis leur échapper. Elle rebondit une fois, deux fois au sol. Et elle roule.

Frisson. Je me fige.

Elle heurte le bout de ma chaussure.

– Ah…

Sourire amer. Il ne manquait plus que ça.

Le poids des regards revient sur moi.

Scrutateurs.

Devrais-je les ignorer ? M’enfuir ?

Une petite fille s’approche de moi. Par réflexe, mon regard effleure son visage. Des joues rebondies, une peau foncée et des mèches crépues. Mon cœur se serre. Une autre année, des autres habits… j’aurais pu la prendre pour Allie. Sa manière de faire battre ses cils, sa petite moue boudeuse et ce regard défiant…

Sans que je n’y pense, mes jambes se plient, mes mains ramassent la balle. Puis mon regard se relève et je tends la balle à la petite fille.

Elle se fige net.

Pourquoi ?

Je force les mots hors de ma gorge.

–… C’est… c’est à toi, je crois.

Silence.

Derrière elle, ses amis ne font plus un bruit.

Les autres enfants chahutent en arrière-fond ; les parents n’ont encore rien remarqué.

Pourquoi je fais ça ?

Mon corps est tendu. En attente. Mon cerveau tourne à plein régime. J’aurais dû partir ! Tant que je le pouvais. M’éclipser, faire comme si je n’avais rien vu, les laisser tranquilles, mais je… !

Des petites mains se tendent vers moi. Le poids entre mes doigts disparaît.

Enfin.

Je me relève, le dos raide.

La petite fille se tient encore devant moi.

Elle me fixe avec des grands yeux.

Souviens-toi…

Spurt !

… que peu importe leur âge…

Un filet de bave décore le bout de ma chaussure.

… ils sont tous pareils ici.

La petite fille me toise, renifle avec dédain, avant de trottiner jusqu’à la fontaine en riant.

– Ah…

Sourire. Évidemment. Comment ai-je pu être aussi naïve ?

Un pas en arrière. Puis un deuxième.

Soudain, mes jambes se remettent en route. Marche, marche. Toujours plus vite. Les pavés claquent sous mes talons. Ma respiration se fait plus présente. La place du Midi disparaît loin derrière moi. Son agitation, et ses gens. Ses souvenirs. Pourtant… Je couvre mes oreilles. Pourquoi j’entends encore leur rire ?


Tu ne nous attraperas jamais !

C’est ce que vous croyez ! Attention les filles, le méchant monstre va vous manger !

Ahahah !

Et bien, et bien, voyez-vous ça ? On ne sait plus comment marcher ?

Pff, haha !

Allons, allons, ce n’est pas très gentil de se moquer de l’infirmité d’autre personne. Quoique… est-ce qu’on peut vraiment te considérer comme telle ?

Ahahaaah !


Assez !

Mon cœur bat à tout rompre. Comme sur le point d’exploser.

Avisant un banc isolé, j’y abandonne tout mon poids. La tête en arrière, un bras couvrant mes yeux. Mais, même si ma vue se soustrait au monde, mes pensées, elles, ne me lâchent pas.

La balle en cuir.

Les rires.

Et tous ces regards.

Ils tournent dans ma tête.

Ils jugent, ils ricanent. Ils crient.

Bonne à rien. Vermine. Parasite.

Des mots vides de sens.

– Ils ne savent rien… ils ne savent rien…

J’en pleurerai presque. Graduellement, comme lentement étouffé, le murmure des passants se tarit. Le brouhaha omniprésent se réduit. À un long silence.

– Ah…

Je respire enfin.

Tous ces regards ont disparu. Leur poids ne pèse plus sur moi. Ils ne viennent plus me scruter, me juger, me disséquer. Leurs paupières se sont fermées. Mais ce n’est sans doute qu’un répit. Un sourire amer sur mes lèvres. Je n’ai plus envie de lutter. De me battre. Contre ces injustices et ces gens. Mes doigts dessinent les contours du médaillon d’Allie. Je suis juste…

– Fatiguée…

Mon corps est lourd. Je n’ai plus la force de bouger. C’est comme si mon existence disparaissait. Avalée par le banc. Le vivant devenant inanimé. Un simple décor. J’aimerais… j’aimerais que ce silence dure pour l’éternité. Que cette bulle n’éclate jamais. Que je reste seule, ici. Juste encore un peu. Encore un tout petit peu…

Ah… Je perds la notion du temps. Mes muscles sont engourdis. C’est à peine si ma conscience ne glisse pas vers le sommeil. Depuis quand suis-je là ? Quelques minutes ? Sûrement… Ou quelques jours ? Qui sait ?

Boum…

Est-ce que… Si je soulevais ce bras, si je rouvrais à nouveau les yeux… est-ce que ce serait un tout autre paysage que je verrais ? Un autre village avec d’autres gens ? Comme si le temps avait décidé de continuer d’avancer sans moi. Où le monde m’aurait oubliée.

– Ah…

Un sourire se glisse sur mes lèvres.

– Où je ne serais plus rien.

Tout ceci n’est peut-être qu’un songe, un rêve. Une histoire écrite par quelqu’un d’autre.

Si on éliminait quelques personnages secondaires, personne ne s’en soucierait.

– Si tout pouvait… juste disparaître…

Boum…

Une pulsation.

Une brève étincelle qui traverse tout mon corps.

Boum…boum…

Un bourdonnement désagréable.

Et une présence.

Viens…

Boum…

Des doigts qui se tendent vers moi.

Des voix.

Viens à moi…

Je rejette d’un coup sec la main qui allait se poser sur mon épaule.

– J’espère que tu as une bonne raison…

Mes yeux s’écarquillent. Le reste de ma phrase reste coincée dans ma gorge. Ma bouche n’arrive qu’à articuler un mot :

– Hari’ ?!

– Ah ! Je suis désolé Sol’ ! Je pensais que tu dormais. Je voulais juste te réveiller.

Devant moi, c’est un jeune homme penaud qui se tient. Harion. Mon ami d’enfance. Mon cerveau a du mal à intégrer cette information. Hari’… ici ? Comment ? Pourquoi ? Les souvenirs de ce qui vient juste de se passer me reviennent.

– Non ! Aaaah ! C’est moi qui devrais m’excuser ! J’espère que je ne t’ai pas fait mal…

Je m’empare de sa main, l’inspecte nerveusement. Pas d’égratignure, pas de bleus. À première vue… Mais, est-ce que c’est possible que je lui ai fracturé un os ? C’est peut-être à cause de l’adrénaline qu’il n’a pas cillé !?

Petit rire. Harion me retire sa main.

– Ne t’en fais pas pour si peu : je sais que j’ai l’air frêle, mais je ne suis pas… euh… je ne suis pas… fait en papier mâché ! C’est ça !

Je souffle. Cette phrase… N’importe qui d’autre aurait levé les yeux au ciel. D’un banal et si peu créative. Elle arrive tout de même à m’arracher un sourire. Ravi d’avoir fait mouche, le visage d’Harion s’illumine.

« C’est si rare… »

C’est ce que tout le monde se dirait en le voyant. Son air lugubre. Ses tenues débraillées. Ses lunettes toujours « embuées ». Quant à ses cheveux…

La lumière du jour ne lui donne vraiment pas bonne mine. Ses cernes ont l’air plus creusés et son corps plus malingre encore. Si inoffensif…

Je crois que personne n’ose encore s’attaquer à lui.

– Est-ce que tu peux te lever ?

Sa question me tire de mes pensées. Je vois Hari’ me tendre la main. Je souris – comme si je ne pouvais pas le faire toute seule–, m’apprête à décliner son aide quand mon regard s’égare un peu plus loin derrière lui… Deux villageoises nous observent du coin de l’œil.

– Ce quartier se déprécie à chaque fois qu’ils sont là. Vraiment, quelle…


Vous avez-vous vu ? Cette coupe de cheveux…

Encore un gamin de plus à mal tourner.

Je n’imagine même pas la honte de sa mère !


J’ai du mal à respirer.

– Sol’ ?

Mon regard se fixe à nouveau sur Hari’. Mais c’est presque comme si je ne le voyais plus. Sa silhouette se trouble. Son visage se fait imprécis.


C’est sûrement ces orphelines qui l’ont influencé.

Un si bon garçon…

Tss ! Ne raconte pas n’importe quoi. Ce gosse était déjà bizarre avant. Tu sais… Ça tournait pas rond là-haut.


Assez… Assez !

Chaud. Une main chaude dans la mienne qui tremble. Hari’… Lentement, son visage me revient. Mais son expression… ! La même le jour où… Les mots se bousculent dans ma gorge. Hari’, je… ! Comme s’il lisait dans mes pensées, un faible sourire se dessine sur ses lèvres.

– Ce n’est rien, Sol’. Aller, viens. Partons d’ici.

Délicatement, il tire sur mon bras, me remet sur pieds. Je vacille un instant, mais il me stabilise immédiatement. Hari’, comment peux-tu… ? Doucement, il m’entraîne derrière lui.

Nous marchons comme ça pendant un moment. Le paysage change. Je crois reconnaître les rues, les chemins que nous empruntons, mais… mon cerveau ne semble plus s’en soucier. La seule chose sur laquelle j’arrive encore à me concentrer est Harion. Il marche devant moi, sans se retourner une fois pour me lancer un regard. Ses mèches de cheveux se soulèvent et retombent au rythme de notre marche. Des blanches, des châtains. Des décolorées.


Harion… ?

Ah, tu es là, Sol’. Comment tu trouves ?

C’est…

C’est mieux, non ? Terminé les coupes de petits garçons sages. Cette fois, cette vieille folle la fermera pour de bon !


– Ah… ah ah…

Un goût amer dans la bouche. C’est vrai. Tout le monde a ses propres problèmes. Mon regard descend plus bas, de ses cheveux à ses habits. Son uniforme d’Archiviste. C’est vrai. Harion… n’aurait jamais dû être là en premier lieu… à cette heure, il aurait dû être… Non, je ne devrai vraiment pas… Je ne devrais pas m’accaparer de son temps pour des problèmes aussi futiles.

– Hari’, tu…

– Oh, regarde Sol’ ! Tu adores cet endroit, non ? Allons-y !

– Ah ! Attends, je…

Sans me laisser le temps de finir, il m’entraîne en courant jusqu’à une allée un peu plus en retrait. Plus petite que les autres artères du village, elle est plongée sous l’ombre des grands marronniers qui la surplombent. Mon cœur tambourine dans ma poitrine. Quand nous passons devant, je ne peux m’empêcher de lire son nom en coup de vent. Chemin du Curé-Desclouds. À mesure que l’on avance, les pavés gris se font plus disparates. Des herbes folles et autres plantes osant les déloger. Des feuilles, nuances d’or et de rouge, parsèment le sol. Rapidement, l’ombre des grands marronniers me domine. L’odeur du bois, des feuilles et de la terre embaume l’air. Nous adorions venir jouer ici. Tous les trois…


Eeeeet, c’est fait !

Euh… qu’est-ce qui est fait, au juste ?

Notre lien, gros bêta ! J’ai demandé aux esprits de relier nos âmes. Comme ça, même quand on ne sera plus de ce monde, on pourra se retrouver !

Si tu le dis… ça marche vraiment ces trucs ?

– Comment ça, ces trucs ! C’est de la magie. M-A-G-I-E, magie ! Si c’est tout l’effet que ça te fait, Hari’, je t’attendrais pas. Nah !

Qu-quoi ? Tu ne nous attendrais pas, Allie ? Mais… Mais je croyais que… Mais je sais pas ce que je ferais si tu n’es plus là !

Ne t’inquiète. Toi, tu es adorable, Sol’. Pas comme cette grosse tête de linotte. Tu n’auras qu’à m’attendre ! Après tout, je ne compte pas être la première à partir !


–… ol’. Sol’ ! Je suis désolé, je voulais pas… !

Devant moi, je vois Harion paniqué. Il cherche fébrilement dans ses poches, s’accroupit à ma hauteur. Qu’est-ce que… Hari’… s’est accroupi ?

– Ah…

Mes jambes m’ont lâchée. Je suis à terre. À bout de souffle. Les joues humides de larmes.

Pathétique.


Oh, regardez l’Orpheline pleurer pour son si cher oncle. Bouhou… Quelle blague !

Tss ! Arrête donc ton show, tout le monde connaît tes larmes de crocodile ici !

Je me demande qu’est-ce qu’il faudrait faire pour voir de vraies larmes. Eh ! Qu’est-ce que vous en dites ? On essaie ?


Assez !

Je ne veux plus qu’ils me prennent de haut.

Qu’ils salissent leur mémoire.

Je ne le supporterai pas. Pas encore une fois !

– Sol’ ! Je t’en prie, regarde-moi. Regarde-moi.

Cette voix… Je tente de m’y raccrocher. Je… Mes yeux se plongent dans ceux d’Harion. Ah… L’émotion m’étrangle à nouveau. Mon cœur se serre. Dans ce regard… J’y vois toute son inquiétude pour moi, toutes ses incertitudes pour lui. Cette tourmente qui ne le quitte plus depuis des années. Hari’… Même après tous ce temps… J’arrive encore à reconnaître le petit garçon qu’il a été. Effrayé. Et seul.

Je craque.

– Hari’… Allie… Allie, elle est…

Soudain, je sens des bras m’entourer.

– Hari’… ?

Sa tête est enfouie contre mon épaule. Son cœur, battant à tout rompre. Et ses bras qui ne semblent vouloir jamais me lâcher. Qui me serrent fort contre lui. Cette chaleur, je…

Les larmes recommencent à couler à flot.

Mon cœur brûle.

J’ai mal. J’ai mal et j’ai peur.

Je ne sais plus quoi faire.

La prise autour de moi se resserre, tremblante. Chaud…

– Ah… !

Je souffle, je crie. Toute ma douleur, toutes mes cicatrices. À m’en brûler la gorge. Crier jusqu’à me vider. Jusqu’à ne plus ressentir.

Rien.

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