Chapitre 1

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Avant de pouvoir parler de métarph, il faut déjà comprendre le principe de métamorphose. La métamorphose est l’une des nombreuses capacités que seule une poignée de créatures magiques développe durant leur temps de vie. Ce changement dans leur structure corporelle est ce qui s’approche le plus d’une mutation. La plupart des Chercheurs s’accordent sur le fait que quelque chose a changé dans leur environnement. Quelque chose qui les mettrait en danger. En réponse, ces créatures développeraient cette capacité hors norme qui leur permet de prendre l’apparence de l’objet désiré, peu importe la taille ou la matière. La métarph quant à elle est la substance qu’ils sécrètent pour effectuer la métamorphose.

Grâce aux avancées technologiques, les Trappeurs possèdent désormais des lunettes équipées du MECA — Module Extrasensoriel de Créature Anomalie pour les non-initiés — qui met en évidence ces objets factices.

Extrait de Les Trappeurs d’aujourd’hui

par Tuì Wollensberg


Je rouvre lentement mes yeux. Les flammes m’encerclent. Elles crachent leur souffle ardent sur le sol, les cartons de marchandises et saturent l’air d’une chaleur étouffante. Soudain, la fumée me prend à la gorge. Je tousse violemment, des larmes dévalent mon visage. Il faut que je m’en aille. Il faut que… Je regarde, paniquée, autour de moi. Où est-elle ? Aldena, où… ?! Une horrible odeur de chair qui brûle envahit à son tour l’espace de stockage.


Sol’ !


Je frotte frénétiquement mes yeux pour effacer ces images. Ce n’est pas réel. Ce n’est pas réel… Le sang bat frénétiquement contre mes tempes. Boum ! Boum ! Des tambours oppressants dans ma tête. Ce n’est pas réel. Allez, calme-toi. Le feu finit par disparaître ; la pièce revient à ma vue. Petit, carré, sombre, seule une lampe solitaire au-dessus de ma tête éclaire l’espace confiné. Je respire difficilement. Mes doigts tremblants effleurent ma gorge.


Sol’ !


Mes yeux se ferment. Une larme roule le long de ma joue. Pourquoi… ? Pourquoi… ! Pourquoi… Je respire un bon coup. Je tente de me reprendre. Il faut que je fixe mon attention ailleurs, sinon… J’essuie maladroitement la pellicule de sueur sur mon front. Tout va bien se passer. Calme-toi : tout va bien se passer. Quand je serais dehors…

Tout le monde me regardera.

Je sens mes mains trembler. Tout le monde me jugera… La nausée me reprend.

Oublie-la…

Frisson. Mes muscles sont transis de froid. J’enserre ma tête avec mes mains. Des pas pressés, des voix étouffées me parviennent de l’autre côté de la porte. Des chuchotements rampent jusqu’à mon esprit.

Oublie-la… Une bonne chose de faite…

Je resserre ma prise sur son collier. Le motif d’une fleur au centre d’un cercle en orichalque. Impossible à briser. Impossible à brûler…

– Ah…

Si seulement je n’avais pas cédé, Aldena respirerait encore. On serait à la maison, pestant joyeusement contre le four qui ne voudrait pas s’allumer malgré le jerrican de Brume qu’on aurait versé dessus. Elle me sourirait tel le Soleil, ses yeux couleur ambre s’illumineraient de cette étincelle que j’aime tant. Ses mains dans les miennes, on tournoierait dans la pièce avec des cris de joie. Mais… tout ça est fini désormais. Le goût de la bile me parvient en bouche.

Soudain, la porte s’ouvre. Je relève la tête. La nouvelle venue, une femme d’âge mûr pénètre dans la pièce. Ses cheveux noirs tombent en cascade sur ses épaules tandis qu’une frange droite barre son front pâle. Hormis son rouge à lèvres rubis, tout est noir ou blanc chez elle. Je me raidis sur ma chaise. Une broche dorée en forme de triangle avec un dragon est accrochée sur sa veste de satin. Un agent haut gradé du CCM — le Contrôle des Créatures Magiques — l’organisation qui gère tout ce qui est relatif aux Trappeurs. Elle incline la tête à mon attention.

– Mademoiselle Dorlémon, je suis Rubis. Vous avez sûrement entendu parler de moi.

Je hoche de la tête. Qui ne connaît pas Rubis, la plus grande Trappeuse de sa génération ?

– Dans ce cas, vous savez sûrement ce qui m’amène ici ? Les détails de la mort de votre coéquipière, Aldena Faliez, doivent être…

Un sifflement aigu transperce mes tympans. Mes dents grincent. Je secoue ma tête pour essayer de le chasser. Rien à faire ; c’est comme si tous les sons ne se résumaient plus qu’à lui. Rubis continue de parler comme si de rien n’était ; je vois sa bouche bouger, mais aucun son n’en sort. Ma vue se trouble légèrement. La pièce tangue… des bruits de marteau envahissent ma tête… des lumières multicolores apparaissent autour de moi… Je ferme les yeux pour me ressaisir. Encore ces migraines, je croyais m’en être débarrassé.

– … Dorlémon ? Mademoiselle Dorlémon, est-ce que vous m’écoutez ?

Les lumières disparaissent. Rubis, son stylo encore en l’air, me lance un regard étrange. Des flammes dansent dans ses prunelles. Je retiens un cri de surprise. Je… juste pendant une seconde… Mais quand je la regarde de nouveau, ces iris noirs sont des plus banals. Je secoue ma tête. Ce n’est qu’une illusion ; tout ça, c’est dans ma tête.

– Mademoiselle Dorlémon ?

– Je… je vous écoute…

Ma voix n’est qu’un murmure. Ma bouche est pâteuse. J’ai soif, mais je n’ose pas esquisser un mouvement. Rubis me scrute. Je détourne mon regard, fixant le bout de mes chaussures. Le marteau dans ma tête résonne encore.

Boum ! Boum ! Boum !

Une illusion, rien de tout cela n’est réel… C’est juste une migraine. Ça va passer. Respire profondément. Mes mains tremblent ; je les serre l’une contre l’autre pour essayer de les calmer. La voix de Rubis me sort de mes pensées.

– Mademoiselle Dorlémon, racontez-moi ce qui s’est passé.

Ah…

– Je… Nous avons reçu un rapport sur un lutin qui causait des ennuis dans un centre commercial. J’ai voulu refuser la mission à cause de l’heure tardive, mais Aldena a insisté pour y aller. Elle voulait faire ses preuves. J’ai fini par céder. Après tout, un lutin, ce n’était pas un CM — créature magique — difficile.

– Et ensuite ?

J’avale difficilement ma salive. Une bouffée de chaleur me submerge tandis que l’étau se resserre sur mon cœur. Je respire un bon coup avant de continuer.

– Ensuite, sur place, j’ai remarqué une étrange fumée rouge. Le MECA. détectait ce phénomène comme étant de la métarph, mais sous une forme qui m’était inconnue. Je l’ai signalé à Aldena qui s’en est approchée tout de suite malgré mes protestations. Tout s’est enchaîné très vite après. L’attaque du feu follet, l’explosion et… et…

Les mots se coincent dans ma gorge. Je baisse la tête. J’ai soif. Ma main attrape maladroitement le verre d’eau sur la table, une vaine tentative pour soulager ma peine. Le liquide coule dans ma gorge. Je manque de le recracher à la première gorgée. Acide.

– Et ensuite votre partenaire est morte carbonisée et écrasée par l’immeuble en feu, finit Rubis.

J’acquiesce ; il n’y a rien d’autre à ajouter. L’agent du CCM pousse un soupir. On dirait que ça l’agace de me poser toutes ces questions. La manière dont son stylo frappe frénétiquement la table, ses lèvres pincées, ses quelques soupirs… Je me recroqueville un peu plus sur ma chaise. Je ne suis qu’une perte de temps pour elle.

Un silence inconfortable s’installe entre nous. Elle notant méticuleusement le moindre détail de cette conversation sur sa feuille, moi la regardant faire. Je n’ose dire quoi que ce soit de peur de m’enfoncer un peu plus. Les phrases défilent devant mes yeux, s’accumulant toujours plus sur la feuille. Le stylo arrête sa course. Finalement, c’est la célèbre Trappeuse qui prend l’initiative.

– Pensez-vous que vous auriez pu éviter ce drame ?

– Je… Je pense que j’aurais pu être plus convaincante. Peut-être même que j’aurais dû…

– Et pourquoi ne l’avez-vous pas fait ? me coupe Rubis.

La surprise se peint sur mon visage. Ce n’est pas le genre de question à laquelle je m’attendais.

– Je…

Rubis pose d’un coup sec son stylo sur la table, m’empêchant de répliquer quoi que ce soit.

– Voilà votre problème, mademoiselle Dorlémon : vous hésitez. Votre incompétence à prendre des décisions rapidement a coûté la vie d’une personne ce soir. Vous êtes une incapable.

Mon cœur se fracasse à ses mots durs. Les larmes me montent aux yeux. Je suis… une incapable ? Un air désolé s’affiche sur le visage de la représentante du CCM, presque de la pitié.

– Je ne vous dis pas tout ça pour vous faire du mal. Je dis cela pour votre propre sécurité et celle de vos collègues.

D’un coup, Rubis se lève et se dirige vers la porte. Juste avant de sortir, elle se tourne vers moi et me lance :

– Désormais, mademoiselle Dorlémon, vous êtes relevée de vos fonctions de Trappeuse.

La porte claque, brisant mes rêves en morceaux.

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