Chapitre 8 - La clairière

6 minutes de lecture

Nous choisîmes une petite clairière située à proximité immédiate du ruisseau afin d'y dresser un camp pour la nuit. Nos chevaux auraient de quoi paître, et la configuration générale du terrain offrait la possibilité d'allumer un feu et d'agencer notre couchage autour sans se sentir à l'étroit, et surtout, sans risquer d'incendier toute la zone : un léger creux de terre nue – large comme un bouclier et de moins d'un demi-pied de profondeur – ferait un parfait foyer, pour peu qu'une rangée de pierres viennent le délimiter. Les rives du cours d'eau étaient abondamment pourvues en roches de tailles diverses, et Devil fut chargé de les prélever et de les agencer au mieux, ainsi que de récolter assez de bois mort pour entretenir une bonne flambée, qui durerait toute la nuit.

Chacun mettait la main à la pâte, avec Athar en chef d'orchestre. Dans les derniers rayons du soleil couchant, il s'activait à distribuer les taches de façon à employer les capacités de chacun le plus judicieusement possible.

― Nel, jette un œil tout autour de la zone de campement, veux-tu ? Le site ne semble pas très fréquenté, mais je préfère m'en assurer. Il est encore possible de pousser un peu plus loin si tu détectes des signes de passage régulier. La discrétion est notre meilleur atout, évitons de croiser d'autres voyageurs, si possible.

― Bien Athar, je m'en occupe, répondit Nel, sans enthousiasme.

Sans doute n’était-elle pas ravie de se séparer du groupe, mais c’était là le rôle qui lui était confié : s'assurer que le site ne présentait aucune source de danger immédiat.

Je la vis s'éloigner en prenant soin de garder son arbalète à portée de main, bien entendu par sécurité, mais aussi au cas où une rencontre lui permettrait d'augmenter nos réserves de viande. Nel était une chasseuse habile. Un couple de lapins avait surgit d’un buisson juste avant que nous parvenions à l’orée de la forêt, et je l’avais vue les abattre en deux jets de carreaux si rapprochés qu’un humain aurait pu jurer n’avoir observé qu’un seul tir. Il fallait lui rendre cette justice, elle ne rechignait pas au douteux plaisir d'occire tout ce qui avait le malheur de croiser sa route et d'être raisonnablement comestible.

Par contre Madame ne salissait pas ses outils de guerrière avec les basses besognes ; Sathis la guérisseuse avait été chargée d'écorcher, vider, découper et assaisonner les deux bêtes qui constitueraient notre repas du soir. Sa science des plantes lui avait permis de dénicher quelques champignons et autres racines comestibles, qui agrémenteraient le ragoût.

Nos paquetages regorgeaient de provisions conditionnées pour le voyage, viandes séchées, gâteaux secs ou céréales faciles à cuire en gruau. Mais en disposant du temps nécessaire, élaborer un repas à base de nourriture fraîche était tout de même bien plus agréable. Décidément, nous avions bien fait de partir au plus tôt !

Je fus pour ma part chargée de m'occuper de nos montures, et nul n’eut besoin de m’expliquer les gestes nécessaires : j'entrepris de les desseller pour les mettre à la longe, de les bouchonner avec vigueur, de vérifier leurs jambes et leurs sabots – un caillou traître ou même une blessure sont si vite arrivés. Pour finir, je m’attachai à les nourrir d'une portion de grain adaptée, ayant estimé que la ration d'herbe procurée par la clairière ne suffirait pas à compenser la dépense énergétique de la journée. Un élément supplémentaire s’ajoutait à mon puzzle intérieur : je savais prendre soin d’un cheval.

Tout en m’activant, j'observais Athar du coin de l'œil, et l'avais vu minutieusement prospecter les limites de la zone de bivouac, aux côtés d’une Nel revenue satisfaite de sa rapide expédition.

Il avait profité de son inspection pour placer de fins piquets rougeâtres aux quatre points cardinaux, juste à la frontière des arbres. Dans les dernières lueurs du jour mourant, notre feu semblait de plus en plus vif, dansant allègrement au rythme des mots que le magicien récitait, en désignant chaque bâton tout à tour. Le dernier mot de l'incantation se prolongeait par un son grave qui flottait dans l'air, accompagné par un léger scintillement qui paraissait se déployer d'un bâton à l'autre à la manière d'une voile irisée, presque totalement transparente. Au passage de cette brume légère, chaque piquet se couronnait d'un écarlate chatoyant, un peu à la manière d'une torche.

― Que personne ne s'éloigne, dit Athar, quand il eut terminé le processus. Franchir la limite fixée par les baguettes de protection serait une mauvaise idée à présent qu'elles sont activées...

« Une mauvaise idée », voilà qui était assez vague... mais avant même que j'ouvre la bouche pour poser la question qui me brûlait les lèvres, Devil me devança, comme il semblait en prendre l'habitude.

― Pourquoi donc ? Il se passera quoi, si on franchit la limite ? C'est idiot comme tout cette protection... Imagine : je me réveille pendant la nuit pour aller pisser, j'ai oublié que tu as allumé tes foutus trucs rougeoyants, et paf ! Je me grille l'oiseau sur ta barrière stupide ! ronchonna-t-il d'une traite, enchaînant ses objections imagées sans même laisser le temps à Athar d'y répondre.

Les perspectives évoquées étaient assez drôles, pourtant nous résistâmes tous à l'envie de rire tant elles paraissaient contrarier leur auteur. Athar lui répondit d'un ton sérieux, mais on pouvait deviner à sa voix que la situation l'amusait lui aussi, en dépit de la mise en cause flagrante de son bon sens de magicien, et peut-être même de ses compétences de chef, d'une certaine façon.

― Ce serait une mauvaise idée car si vous franchissiez la barrière, toi et ton oiseau, vous ne pourriez plus revenir en arrière. Sans pouvoirs magiques, tu serais incapable de retourner vers nous, tu ne nous verrais même pas, en fait. Cette barrière n'a pas d'autre fonction que de nous rendre invisibles aux regards extérieurs, pour l'instant. Si besoin, je peux y transférer assez d'énergie pour assommer ou même tuer un ennemi. Mais ce soir, cela ne me paraît pas utile...

― Pas de grillades nocturnes au programme, donc, ajouta-t-il avec un petit sourire.

Ainsi rassuré sur sa future intégrité physique, Devil se calma enfin et s'accroupit près du feu où mijotait le repas du soir. D'alléchantes effluves commençaient à se répandre, et je me pris à penser qu'il ne servait pas à grand-chose d'être invisible quand on répandait des senteurs pareilles. Moi, je nous aurais probablement repérés de très loin... mais cette possibilité ne semblait inquiéter personne. Sans doute la barrière était-elle plus étanche que ce que je m'imaginais. J’avais envie de poser la question pour me rassurer, mais en même temps, je ne voulais pas une fois encore révéler la portée de mon ignorance. C’était la magie d’Athar, j’aurais dû la connaître par cœur, et peut-être même l’aider ? Toute la joie que j’éprouvais à m’être occupée efficacement de nos montures s’évaporait à présent, impatiente que j’étais de recouvrer toutes les pièces de mon esprit et surtout, la maîtrise pleine et entière de mes pouvoirs magiques. Je détestais me sentir ainsi limitée.

Le crépuscule était venu diminuer plus encore la luminosité ambiante, et désormais toute tâche de précision devrait s'effectuer à la lueur des flammes. Nous nous regroupâmes autour du foyer, et dès que le ragoût fut cuit, nous attaquâmes notre repas avec plaisir, profitant du calme relatif pour nous détendre autant que possible.

Nel et Sathis devisaient à voix basse, échangeant sur des questions de stratégie militaire qui ne m'intéressaient pas assez pour que j'y prête une oreille attentive. Devil dormait déjà, roulé en boule dans ses couvertures dès l'ultime bouchée avalée. Notre collation dévorée jusqu'à la dernière miette, l'air tiédi par le feu ne sentait plus guère que la fumée et la résine.

Seuls de rares bruits nocturnes, chants de grillons en mal d'amour ou hiboux radoteurs, contrariaient par instants le léger crépitement des flammes. Une portion de ciel outremer était visible de la clairière, et peu à peu, des milliers d'étoiles s'y allumaient dans un ballet hypnotique.

La nuit s'annonçait douce et calme, et je glissai lentement vers le sommeil, moi aussi.

Jusqu'à ce qu'un long cri rauque résonne à proximité du ruisseau, rapidement repris par une dizaine d'autres.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Clelia Maria CASANOVA ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0