Chapitre 7 - Adieu, manoir !

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Nous avions assez trainé. Il était temps de s'éloigner, de se détourner définitivement du manoir. Quoi qu'il se passe à présent, c'était écrit. Que j'y appesantisse mon regard n'y changerait plus rien car désormais, la magie à l'œuvre évoluait en dehors de toute influence. Qu'elle progresse ou au contraire régresse n'était plus de notre ressort, je le savais bien, mais il m'était pénible de rompre tout contact visuel.

Athar parut le comprendre et sans rien dire, il laissa glisser sa main de mon visage vers mes rênes, qu'il saisit fermement. Une simple impulsion du talon suffit à remettre son cheval dans l'axe du chemin, et ma propre monture ne protesta pas à cet excès d'autorité. J'étais bien la seule à ne pas désirer franchir le col aussi rapidement ! Mais je ne pouvais me garder totalement de la sensation confuse que je ne devais pas relâcher mon attention, qu'il était important de surveiller ce qui se produisait dans la vallée.

Je voulais en parler, mais je ne trouvais pas les mots justes. Que pouvais-je dire ? Tous, nous avions ressenti ce besoin instinctif de nous éloigner au plus vite, et sans doute était-il heureux que nous ayons pu partir sans encombre. Si seule ma magie était de taille, être dans l'incapacité de jeter le moindre sort sans aide extérieure constituait un sérieux handicap. Pourquoi prendre le moindre risque au nom de la simple sensation que « cela pourrait être important de surveiller le manoir » ? Et si ce ressenti n'était rien d'autre qu'une influence du contre-sort, ou peut-être même de la bâtisse et de ce qui en avait pris possession ?

Peut-être aussi que je m'illusionnais moi-même... Après tout, la plus grosse partie de mes souvenirs étaient liés au manoir, à présent. Un sentiment d'inconfort à l'idée de m'éloigner définitivement de la seule maison dont j'avais souvenance, voilà qui n'était certes pas si improbable... C'était même assez logique, à bien y réfléchir. Quel besoin de rechercher des explications plus compliquées, sans parler de faits surnaturels ou magiques... J'étais bien assez humaine, certainement, pour ressentir de tels attachements aux choses connues...

Perdue dans mes pensées, je m'étais temporairement coupée de la réalité. Nous avions largement entamé notre descente, et nous nous éloignions du col au pas allègre de nos montures. Le sentier, pentu et instable, progressait par lacets gravés au flanc de la montagne, et nos compagnons n'avaient pas eu le temps de s'écarter beaucoup. Ils restaient bien visibles, à quelques centaines de mètres de nous à vol d'oiseau.

Soudain, un sourd grondement se fit entendre dans le lointain. Il me sembla venir de par delà le col, mais je ne pouvais en être certaine car le son était bas, presque diffus.

― Tu as entendu ? Qu'est-ce que c'était ?

― Entendu quoi ? me répondit Athar, surpris.

― Un grondement, juste à l'instant... Le tonnerre, peut-être ?

Ce bruit avait sonné pour moi comme un appel, proche d'un son de la nature mais pas exactement semblable. Un grondement étrange pour un orage qui l'était tout autant, c'était sans doute cohérent, pourtant j'avais besoin qu'il me rassure.

― Non, je n'ai rien entendu de tel. Mais mes oreilles ne sont pas aussi sensibles que les tiennes, Sia. Est-ce que cela venait de...

― Oui... Je dirais que oui.

Nul besoin de le laisser terminer sa phrase pour savoir ce qu'il avait voulu dire, l'endroit qui m'obnubilait était évident. De quoi aurais-je pu parler si ce n'était de ce maudit manoir ?

― Quelle que soit l'origine de ce bruit, nous sommes loin à présent... Tout ira bien. Ne t'inquiète donc pas tant de ce qui est hors de ta portée, et rejoignons les autres, ajouta-t-il d'une voix calme et mesurée, avant de pousser son cheval devant le mien et de s'engager résolument sur le sentier pierreux qui serpentait jusqu'au pied de la montagne.

Oui. Voilà les mots que j'attendais. Athar me connaissait si bien, et c'était tellement confortable de le laisser me rassurer et surtout, décider pour moi... Un profond sentiment de sécurité m'envahissait, si chaud et réconfortant. Je m'y abandonnais toute entière, et fixais mon regard sur sa silhouette qui me devenait de plus en plus familière. Le dos musclé du sorcier bougeait souplement devant moi, légèrement incliné en arrière et roulant de droite à gauche pour s'équilibrer avec les mouvements de sa monture. Un spectacle hypnotique qui absorbait l'entièreté de mon attention, au point d'anesthésier mes derniers lambeaux d'inquiétude.

Le chemin que nous suivions s'annonçait plus praticable et moins pentu au fur et à mesure que nous nous rapprochions de la vallée. Il formait à présent des lacets de plus en plus larges où les éclats rocheux se raréfiaient, et bientôt, Athar n'hésita plus à lancer nos montures au trot, puis au galop.

Le printemps semblait avoir entièrement repris ses droits initiaux, et le ciel de grisaille n'était plus qu'un lointain souvenir. Quoi qu'il se trouve derrière le col que nous venions de franchir, la montagne y faisait écran de sa masse imposante et compacte. Rien de nocif ne pouvait filtrer à travers autant de bon granit, le géant de pierre ne le permettrait pas.

Désormais, je respirais plus librement, apaisée et presque séduite par le spectacle de la nature triomphante et saine qui s'offrait enfin à mes yeux... Bien moins encaissée que celle où se trouvait le manoir, cette vallée-ci paraissait d'une normalité plus que rassurante. Largement ouverte au sud, elle offrait au regard un panorama d'exception, avec une vue superbe sur les différents milieux qui s'étageaient entre le col et le fond de la vallée.

Au fil de notre progression, la couleur cendrée de la roche tout juste étoilée du vert terne des quelques buissons tolérant l'altitude - au pied desquels poussait une herbe grise et étiolée - avait laissé place au vert plus tendre et frais des prairies de milieu et fond de vallée. Les arbustes malingres s'étaient peu à peu densifiés. Bientôt de plus hautes tiges les parsemèrent, jusqu'à se rejoindre en forêts de plus en plus touffues, dont la canopée moutonnait par plaques, visibles depuis le sentier. Nous ne tarderions pas à les atteindre, en même temps que nos compagnons car nos montures allaient bon train.

Comme je l'avais prévu, nous nous rejoignîmes à l'orée du premier massif d'arbres, constitué d'énormes résineux aux aiguilles vert sombre. Leurs branches pendaient vers le sol, générant une ombre épaisse sous laquelle aucun arbuste n'avait réussi à croître. Un fin gazon prospérait par taches, loin des troncs près desquels un épais tapis d'aiguilles roussies par le temps s'accumulait. Une agréable odeur de mousse fraiche flottait jusqu'à mon nez, mélangée aux piquantes senteurs résinées qui s'élevaient légèrement du sol, et plus fortement des branches environnantes. L'origine de ces effluves moussus provenait en partie des troncs gigantesques, mais aussi et surtout des berges d'un ruisselet qui courait à proximité, égrenant dans l'air ses notes cristallines et pures.

L'endroit semblait parfait pour notre campement. Le jour ayant entamé son déclin, la nuit s'annoncerait bientôt.

Il était peu probable de croiser un second site plus favorable, et dangereux de l'espérer.

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